La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Coucher avec Claire Underwood

Avertissement : soyez rassuré, ce billet ne contient pas de divulgâcheur.

C’est la faute à Claire Underwood si j’ai failli à mes obligations littéraires.

alt="claire-underwood"
Photo: Facebook House of Cards

C’est la faute à Claire Underwood si je me sens coupable de ça. Oui, coupable à mourir de l’avoir suivie, elle, la fictive héroïne de House of Cards, si belle dans sa cruauté, et captivante comme une drogue dure, plutôt que d’avoir lu et donc, dans mon cas, d’avoir travaillé. J’ai même dormi collée contre elle. Plusieurs nuits. Puisqu’une infidélité ne vient jamais sans un arrière-goût de regret, ma petite jouissance de téléphage a toujours été assombrie par la montagne de livres au chevet de mon lit, rempart contre la barbarie du plaisir me rappelant ma paresse intellectuelle, ma «larvitude»; mon asservissement au divertissement, enroulée dans un cocon de flanelle, bol de popcorn ou de bonbons acidulés compris, pour me rendre encore plus méprisable.

C’est la faute à Claire Underwood, parce que cette saison, elle s’est déchaînée comme j’aime que les héroïnes le fassent, à la fois complexe et insaisissable. Plus intéressante que son mari, le machiavélique président des États-Unis. Tout est de sa faute à elle, plus attrayante que les personnages de romans que j’ai délaissés par sa faute. Par la mienne aussi, bien sûr. Mea Culpa. Je suis faible quand je plonge dans une série télé qui me happe; ces jours-ci, la saison 4 de House of Cards donc, mais auparavant c’étaient Better Call Saul, et il y a bien sûr eu The Good WifeDownton Abbey avec l’incomparable Maggie Smith... Même si je débranchais le câble de la télé, ce serait la même histoire, puisque je visionne les séries sur ma tablette. Si agréable de la traîner partout, celle-là, si simple, à portée de main… Je pourrais aussi trimbaler mes livres de la sorte, avec l’odeur envoûtante de leurs pages en bonus, mais les livres sont comme ces vieux maris rassurants qui procurent moins de sensations avec l’habitude, moins de divertissement rapide et satisfaisant.

On se comprend



Bien sûr, en vous demandant si vous me comprenez grâce à un petit sondage maison sur ma page Facebook, parce que c’est toujours rassurant d’être vicieux à plusieurs, vous étiez quelques «parfâââââts», bons premiers de classe, à me répondre que vous, vous ne regardiez pas de séries pour éviter justement d’amputer votre temps de lecture au profit de l’écran. Vous m’énervez dans votre réussite, dans votre acharnement, votre persévérance. Ça me ramène à mes failles quand je vous imagine en train de lire la biographie de Gaston Miron ou le dernier roman de Marie-Claire Blais, assis bien droit sur une chaise de votre bureau, l’air concentré, à chaque page plus cultivé que la moyenne des ours. J’espère que vous vous accordez un petit verre de vin avec ça au moins!? Vous n’êtes pas lâches, vous. À l’école, vous faisiez sûrement vos devoirs dans les temps, vous appreniez vos leçons sagement pour vous garantir de bonnes notes au bulletin et des mots élogieux des enseignants. Je vous aime quand même, vous êtes la crème de la crème des lectrices et lecteurs.

Selon mon humble enquête sur Facebook, vous êtes quand même majoritaires dans ma secte de pas fins, d’accros aux séries. De ceux, les influençables, qui s’enfoncent dans le grand mal de l’écran plutôt que de retourner vers le dernier livre entamé la veille. Nous, on se comprend.

J’ai l’air de blaguer en écrivant ce billet sur un ton léger et guilleret, mais il n’en demeure pas moins que l’heure est grave pour le livre. Selon Katherine Fafard, directrice générale de l’Association des libraires du Québec (ALQ), je ne suis pas la seule passionnée de lecture aux prises avec la tentation du mal. «On voit les séries comme les autres divertissements accessibles et peu chers, voire gratuits, comme de réelles menaces au livre. C’est plus frappant d’ailleurs depuis deux ou trois ans…» Elle rappelle que les ventes de livres sont en baisse de manière graduelle depuis au moins cinq ans, que c’est dû à plusieurs facteurs, mais que les séries télé qui connaissent leurs beaux jours comptent pour beaucoup dans ce triste constat. «Il ne faut pas oublier à quel point ces séries sont aussi des gobeurs de temps par excellence. Et ce n’est pas comme si on ne courait déjà pas tous comme des fous entre le travail, la famille, les obligations.»

L’art de se fouetter

Avant de trouver LA solution qui sauvera les livres de cette menace parmi d’autres, c’est d’abord à chacun d’entre nous de se dompter un peu… Fouettons-nous collectivement en pensant à ces livres qui attendent d’être lus, et qui resteront sur les tablettes à cause, entre autres, d’une blonde fascinante aspirant à la présidence des États-Unis. Pensons-y et, après, je vous sacre patience avec ça. Pour ma part, il en va de mon professionnalisme: une cure de désintoxication de séries s’impose à partir de maintenant. Comme vous, peut-être, je croyais pouvoir y aller avec modération, me raisonner, y consacrer seulement une ou deux heures par semaine, mais, telle une junkie, je n’ai pas pu, je me suis enfoncée, une série après l’autre. Les dernières manœuvres manipulatrices de Claire viennent de sonner le glas de ma débauche. Les infidèles ne reviennent-ils pas toujours au bercail, un peu repentants? Claire Underwood n’aura donc été qu’une aventure, un vague souvenir, rien d’aussi profond qu’un roman qui me chavire et change un peu ma vie. Avec Claire, j’aurai au moins amélioré mon anglais... Faut bien qu’elle ait pu servir à autre chose qu’au pur plaisir des sens. Or, c’est décidé, malgré toutes ses stratégies pour prendre le contrôle du monde, la blonde Underwood ne m’aura plus. Je reste avec mes livres. Et je me reprends en double: durant le congé de Pâques, je me consacrerai à eux jour et nuit. Pour me punir, je me priverai même de chocolat (c’est beaucoup me demander). Ça évitera de salir leurs jolies pages.

Je craque pour …

Les six trophées du Gala du cinéma québécois qui sont allés au merveilleux film La passion d’Augustine, dont ceux honorant le travail de la réalisatrice Léa Pool et de l’actrice Céline Bonnier. Imaginez-vous donc qu’en 18 ans d’histoire, dimanche dernier, c’était la première fois qu'un film réalisé par une femme remportait le prix du meilleur film! Et bien sûr, pas n’importe laquelle. Léa Pool est une pro qui trace sa voie depuis 35 ans déjà. En espérant que ça ouvre la voie à d’autres talentueuses…