La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

5 livres pour passer à travers le lundi blues et l’hiver au grand complet

Le troisième lundi de janvier serait le jour le plus déprimant de l’année. Pour vous prémunir contre ces blues, voici quelques lectures qui pourraient vous apporter un peu de réconfort. Rien de scientifique ici, juste des livres testés et approuvés au fil des ans et lus à la lueur d’une lampe… de luminothérapie.


L’art de la joie de Goliarda Sapienza

Vous n’avez jamais lu ce chef-d’œuvre de la littérature italienne? Chanceux! Ça vous fera donc une joie assurément de découvrir cette histoire que Goliarda Sapienza a mis des années à écrire entre 1967 et 1976 et à qui l’éditrice française Viviane Hamy a donné une troisième naissance en 2005, près de sept ans après la première parution initiale en italien.

Succès posthume incontestable, cette histoire est celle de la communiste et antifasciste Modesta, féministe bisexuelle née le 1er janvier 1900 et qui, entourée d’une galerie d’épatants personnages, tente de faire sa place dans un 20e siècle sicilien et mondial où tout gronde. Comment trouver l’équilibre dans ce chaos? Modesta y parvient. C’est fou à quel point le début du 21e siècle chante le même refrain. Entre les pages de Sapienza, qui n’aura jamais connu la gloire de son vivant, une certaine recette tissée de sensualité pour se réchapper.

Avant-goût:

Non, on ne peut communiquer à personne cette plénitude de joie que donne l’excitation vitale de défier le temps à deux, d’être partenaires dans l’art de le dilater, en le vivant le plus intensément possible avant que ne sonne l’heure de la dernière aventure. Et si cet homme – mon vieux petit ami – s’étend sur moi avec son beau corps lourd et léger, et me prend comme il le fait maintenant, ou me baise entre les jambes comme Tuzzu le faisait autrefois, je me retrouve à penser bizarrement que la mort ne sera peut-être qu’un orgasme aussi comblant que celui-là. 

L’art de la joie, Goliarda Sapienza. Éditions Le Tripode. 2015. 624 pages.

Carnets – Montparnasse 1971-1980 de Shirley Goldfarb

Peintre et écrivaine américaine installée à Paris, celle qui a étudié l’hébreu pour devenir rabbine n’aura elle non plus pas vécu les tressaillements de la parution de ces mots publiés en 1994, 14 ans après sa mort à 55 ans. Celle qui a côtoyé les Riopelle, Hockney, Mitchell et compagnie dresse ses observations et réflexions sur le Paris artistique qui en rend plus d’un nostalgique de par sa permissivité et ses exaltations. De quoi faire apparaître le sourire sur le plus grognon des visages.

Avant-goût:

Mon bonheur présent est un carnet à dessins, un carnet de notes, mon chien et un café chez Lipp… cela suffit à la tranquillité rythmique de mon être. Je ne veux être dérangée par quiconque, qu’importe son statut, supérieur ou inférieur – sauf si je choisis d’être dérangée… 

 

Carnets –Montparnasse 1971-1980, Shirley Goldfarb. Éditions La Table Ronde. 1994. 304 pages. 

Pensées pour moi-même de Marc Aurèle 

J’adore cette recommandation littéraire que m’a un jour faite l’écrivaine québécoise Caroline Allard et qui tombait tellement bien en période de doutes.

Série de réflexions rédigées en grec entre 170 et 180 par l’empereur Marc Aurèle et écrites en partie pendant ses campagnes militaires, elles n’étaient pas destinées à être lues par personne d’autre que lui-même. Désolée, Marc Aurèle, mais elles ne peuvent pas mieux tomber qu’entre les mains de lectrices et de lecteurs actuels alors que l’ego, l’opinion des autres, l’image qu’on projette et la quête d’efficacité et de rapidité comptent tant. Agrémenté de mantras pour remettre bien des choses en perspective, ce livre rappelle aussi de ne pas s’inquiéter de ce qui ne dépend pas de soi. Le bien qu’il fait… !

Avant-goût:

N’aime que ce qui t’arrive, ce qui forme la trame de ta vie. Est-il rien de mieux fait pour toi ?  

Fouille en dedans. C’est en dedans qu’est la source du bien et elle peut jaillir sans cesse, si tu fouilles toujours.  

Que l’avenir ne te trouble pas! Tu y arriveras, s’il le faut, portant en toi la même raison dont tu te sers maintenant pour les affaires présentes. 

 

Pensées pour moi-même, Marc Aurèle. Éditions Flammarion. 224 pages.

Conseils d’une amie pour des temps difficiles – Quand tout s’effondre de Pema Chödrön

Il ne s’agit pas de psychopop, non pas que j’en ai contre, mais j’aime préciser que les essais de cette Américaine octogénaire, mère et grand-mère devenue moniale bouddhiste, sont d’un tout autre ordre, à l’abri de toutes les considérations d’époques ou de courants sociaux.

Ses enseignements accessibles donnent quelques pistes pour émerger des quelques gouffres dont nul n’est à l’abri. S’il s’agit ici de phrases bienveillantes entendues mille fois, il est aussi bon de constater qu’elle ne les vulgarise pas comme tout le monde, qu’elle utilise les chemins de travers, que c’est là aussi que beaucoup se retrouvent.

Avant-goût:

Les choses qui s’écroulent sont une sorte d’épreuve, mais aussi une sorte de guérison. On pense que l’essentiel est de venir à bout de l’épreuve ou de triompher du problème, mais la vérité c’est que les choses ne sont pas vraiment résolues. Il y a réconciliation puis écroulement. On les réconcilie encore et elles s’écroulent de nouveau. C’est comme ça que ça marche. La guérison vient de ce qu’on laisse de l’espace pour que tout ça se produise: de l’espace pour la douleur, pour le soulagement, pour la tristesse, pour la joie. 

Conseils d’une amie pour des temps difficiles – Quand tout s’effondre, Pema Chödrön. Éditions Pocket. 2003. 

Notes de chevet de Sei Shonagon

Parmi les plus grands chefs-d’œuvre de la littérature japonaise des 9e au 12e siècle, ce livre de celle qui serait née vers 965 et qui s’est inspirée de ses observations au service de Sadako, jeune princesse devenue l’épouse de l’empereur Ichijô, est un pur bijou de poésie et de délicatesse pour regarder le monde avec d’autres yeux, à commencer avec une nouvelle candeur, mais jamais avec légèreté ou mièvrerie.

Longs ou courts textes, listes, fragments, dessins, et autres observations sur ce qui l’entourait font partie de ce texte ensorcelant qui ne ressemble à rien d’autre.

Avant-goût:

Choses qui ne font que passer

Un bateau dont la voile est hissée.

L’âge des gens.

Le printemps, l’été, l’automne et l’hiver.

Notes de chevet, Sei Shonagon. Éditions Citadelles & Mazenod. 2014. 352 pages.