La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Une femme en guerre, une fable écologiste islandaise qui vise dans le mille

L’image est impressionnante. Une femme, armée d’un arc à flèches, vise un pylône électrique. J’ai été harponné par cette photo qui apparaît sur l’affiche du film Une femme en guerre, à l’affiche à Montréal à compter de cette semaine (le 5 avril à Québec et Trois-Rivières). Je n’avais encore rien vu!



Le film débute avec cette même image: une femme d’âge mûr, seule au milieu des impressionnantes montagnes de l’Islande, s’attaque à une ligne de haute tension avec les moyens de Robin des bois. Pourquoi? On ne sait pas, mais à l’évidence, son méfait est grave. La panne d’électricité qu’elle cause perturbe la production d’une usine de fabrication d’aluminium, en plein au moment où le gouvernement est en négociations avec la Chine pour augmenter la capacité de production du pays.

Un film qui se décline sur plusieurs tons

Tout est en place pour un suspense. Pendant qu’on la voit fuir la scène du crime, pourchassée par des policiers en hélicoptère, on se demande: qui est cette femme? Quels sont ses motifs? Agit-elle seule? A-t-on affaire à une terroriste?

Premier revirement. Ayant échappé à ses poursuivants, Halla, c’est son nom, reprend ses activités. Elle se révèle être directrice d’une chorale. Tout en sourire. Les murs de son salon, décorés de photos de Gandhi et de Mandela, nous font comprendre qu’elle est aussi une pacifiste, une pacifiste préoccupée par les changements climatiques qui bousillent la planète, comme on le voit dans les images qui tournent en boucle sur sa télévision.

Au suspense, s’ajoute donc une dimension plus sociale en phase avec la grande préoccupation de l’heure, l’environnement. Ce qui donne une pertinence indéniable à ce film.

Autre revirement, qui ajoute cette fois une dimension humaine au récit. Halla reçoit un appel qu’elle n’attendait plus. Une demande d’adoption faite quatre ans plus tôt se concrétise. Une petite fille l’attend en Ukraine. Le large sourire fait place à un front plissé. Pour réactiver son dossier, Halla, qui est mère monoparentale, doit obtenir l’accord du répondant qui avait endossé sa demande. Comme le scénario aime nous surprendre, ce répondant n’est nul autre que la sœur jumelle d’Halla, prof de yoga sur le point de partir vivre dans un ashram en Inde.

Le fait qu’elles soient des jumelles identiques ne sera pas anodin dans la suite des choses. Surtout qu’Halla n’entend pas laisser le gouvernement augmenter la production d’aluminium impunément. Avant de partir pour l’Ukraine, notre militante commettra un autre geste d’éclat, à l’explosif cette fois. Je vous laisse découvrir la suite des rebondissements, mais je vous assure qu’on ne s’ennuie pas une minute, même si parfois on trouve que le réalisateur Benedikt Erlingsson en fait un peu trop.

Pour l’actrice et la musique

L’actrice principale, Halldóra Geirharðsdóttir, est une véritable révélation. Elle a quelque chose d’Élise Guilbault pour l’intériorité et de Marie-Thérèse Fortin pour l’énergie. Son rôle d’héroïne sans peur et sans reproche lui demande d’être à la fois très performante physiquement et très nuancée dans les émotions. Qui plus est, elle assume également le rôle de la jumelle. Les scènes où les deux sœurs sont ensemble sont stupéfiantes. Elles se parlent dans les yeux, s’étreignent, vont à la piscine, et on y croit dur comme fer.

On dit de Halldóra Geirharðsdóttir qu’elle est une comédienne rompue aux projets audacieux. On n’est pas surpris d’apprendre qu’elle a entre autres joué le personnage de Don Quichotte au théâtre, celui de Vladimir dans En attendant Godot, et qu’elle fait même partie d’un duo, Hannes et Smari, où elle prend les traits d’un gros macho abruti!

La musique est un autre des attraits majeurs de ce film. Le réalisateur a eu la formidable idée de mettre les musiciens à l’écran. Selon l’action, c’est un trio (accordéon/piano, percussion, soubassophone) ou un chœur de chanteuses traditionnelles ukrainiennes qui rythme les scènes. Ils sont comme les témoins de ce qui se passe sous nos yeux. L’effet est franchement fabuleux.

Pour toutes ces raisons, cette femme en guerre atteint sa cible. Allez-y voir, vous serez harponné vous aussi.