La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Sur le plateau de La passion de Paul-Émile Borduas

En cette année du 75e anniversaire de Refus Global, un film sur son auteur, Paul-Émile Borduas, est en tournage. J'ai eu la chance d'aller visiter le plateau.



Nous sommes dans la maison de Paul-Émile Borduas à Saint-Hilaire, sur le bord du Richelieu. Le peintre est au travail. Il fait de la gouache. Tout à coup, son épouse rentre de faire les courses. Comme les femmes de son époque, elle est très chic. Après tout, c’est une fille de médecin. Qu’elle soit allée à la messe avant ne serait pas surprenant. Un crucifix trône en évidence au mur du salon. Avec un ton assez sec, elle s’étonne que son mari travaille à la peinture à l’eau. En répondant que c’est moins cher que l’huile, c’est comme si Borduas ouvre la porte à ce qui va suivre: une sainte colère. Gabrielle Goyette n’en peut plus! En retirant deux oignons et une patate de son sac brun, elle déballe aussi toute sa rancœur. Elle ne pardonne pas à son mari d’avoir bradé sa sécurité d’emploi à l’École du meuble pour mener la cause des Automatistes, une bande d’artistes beaucoup plus jeunes que lui qui viennent de s’attirer le courroux des autorités religieuses avec un texte jusqu’au-boutisme baptisé Refus Global, dont ne sait pas encore qu’il fera époque. Devant la charge des reproches, Borduas se tord de douleur et tombe par terre. Deux des trois enfants Borduas déboulent les escaliers pour aller constater ce qui se passe.

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Photo: Claude Deschênes

Fin de la scène, car nous sommes au cinéma. Sur le plateau de tournage où je suis invité le 21 février, je comprends en moins de deux minutes que l’aventure de Borduas avec ses élèves de l’École du meuble n’a pas été sans conséquences sur sa vie privée.

J’ai accepté l’invitation de me rendre sur le plateau à Mont-Saint-Hilaire pour deux raisons. D’abord, je n’avais jamais mis les pieds dans la Maison Paul-Émile Borduas sur le Chemin des Patriotes. Ensuite, c’est bien la première fois dans l’histoire du cinéma québécois, sauf erreur, qu’on tourne un film sur le père spirituel des Automatistes. Cela ajoutait à ma curiosité.

La Maison Paul-Émile Borduas sur le Chemin des Patriotes, à Saint-Hilaire. Photo: Claude Deschênes

Le plus surprenant c’est que le film La passion de Paul-Émile Borduas a été initié par un personnage inconnu de moi: Michael Cutler, un natif de Westmount de confession juive, qui a passé plus d’une trentaine d’années à New York à enseigner les arts.

À la retraite, âgé de 64 ans, et maintenant de retour au Québec, Cutler a décidé de plonger dans ce projet en mémoire de sa mère, May Cutler, qui a toujours eu une fascination pour Borduas, particulièrement son approche pédagogique. Quand il était tout petit et apprenait à peindre, il se souvient que sa mère lui donnait le peintre automatiste comme exemple. Pour elle, Borduas était le Jackson Pollock du Canada.

May Cutler aurait eu 100 ans cette année, comme Riopelle, Françoise Sullivan et Madeleine Arbour, trois signataires de Refus Global. Cette femme, qui a été la seule mairesse de toute l’histoire de la ville de Westmount (1987-1991), a eu une carrière de journaliste, d’auteure et d’éditrice. Parmi ses écrits, il y a un livre sur Borduas qu’elle a gardé pour elle. Plutôt que d’en faire une publication posthume, Michael Cutler a décidé de s’inspirer des recherches de sa mère pour écrire un scénario de film.

Lors de ma visite sur le plateau de tournage, j’ai pu constater qu’on ne lésinait pas sur les moyens. Photo: Claude Deschênes

Il existe sur papier une version long métrage de cette histoire, mais le réalisateur débutant a choisi de commencer par une version abrégée question de voir comment le projet sera accueilli, et en attendant aussi un financement en bonne et due forme. Pour le moment, il produit son court-métrage avec ses économies.

Lors de ma visite sur le plateau de tournage, j’ai pu constater qu’on ne lésinait pas sur les moyens. Direction photo, son, éclairage, maquillages, coiffures, décors, ça bourdonnait dans l’espace exigu de la maison originale de Borduas que la production a pu utiliser grâce au concours du Musée des beaux-arts de Mont-Saint-Hilaire (MBAMSH) qui gère ce lieu historique depuis que la Fondation de la maison Paul-Émile Borduas lui en a fait don en 2007. L’endroit, qui est un centre d’exposition sur l’homme et son œuvre, est fermé au public de novembre à juin, ce qui laissait l’espace disponible pour les cinq jours de tournage nécessaires en février.

La production a donc pu compter sur plusieurs éléments de décor originaux, notamment le mobilier en bois du salon qui a été conçu et fabriqué dans les années 1940 à la suite d’un concours auprès des élèves de Borduas à l’École du meuble.

Le mobilier en bois du salon a été conçu et fabriqué dans les années 1940 à la suite d’un concours auprès des élèves de Borduas à l’École du meuble. Photo: Claude Deschênes

Pour son casting, Michael Cutler a fait appel à Patrick Caux et Ève Gadouas pour incarner le couple Borduas. Étonnant coup du hasard, Patrick Caux habite à deux rues de la Maison Borduas. Pour ressembler à l’homme frêle et malade qu’était Borduas (il meurt en 1960 à Paris, 7 ans après sa séparation), le comédien a perdu une vingtaine de kilos et s’est imposé une coupe de cheveux typique des années 1950.

Pour ressembler à l’homme frêle et malade qu’était Borduas, le comédien Patrick Caux a perdu une vingtaine de kilos et s’est imposé une coupe de cheveux typique des années 1950. Photo: Claude Deschênes

Pour ce qui est d’Ève Gadouas, sa prestance et son chic ne sont pas été étrangers à ses propres origines. Elle est la fille de Catherine Gadouas, la petite fille d’Andrée Lachapelle, dont elle a hérité du panache.

Ève Gadouas, petite fille d’Andrée Lachapelle, incarne la femme de Borduas. Photo: Claude Deschênes

La passion de Paul-Émile Borduas aura une durée approximative de 15 minutes, un format qui permettra au réalisateur de soumettre son film dans les nombreux festivals qui ont des sections réservées aux court-métrages. À cause de son sujet et de la rareté des documents sur cette période, la production risque d’être très en demande en cette année du 75e anniversaire de la publication de Refus Global.

La Maison Paul-Émile Borduas, l’endroit même où l’historique manifeste a été rédigé, sera un des lieux de célébration de ce 75e anniversaire au cours de l’été. Le Musée des beaux-arts de Mont-Saint-Hilaire n’a pas encore fait connaître l’ampleur de sa programmation, mais on planche déjà sur une lecture publique du manifeste à l’automne par des artistes habitant la région accompagnée de la projection du film de Michael Cutler.

En attendant, le MBAMSH souligne le centenaire d’un des plus illustres signataires de Refus Global, Jean Paul Riopelle. Le musée présente, depuis l’automne dernier et jusqu’à octobre prochain, sa collection Jean Paul Riopelle qui rassemble onze œuvres diverses, dont 7 lithographies et 2 œuvres originales réalisée réalisées entre 1967 et 1977.

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