La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Surprenant Portugal

Paris est occupée avec ses Jeux olympiques, Barcelone souffre de sécheresse, Malaga a les touristes en grippe, la Grèce achète des Canadairs pour combattre ses répétitifs incendies de forêt… pendant ce temps, Lisbonne et le Portugal se font accueillants à l’égard des touristes. Avec beaucoup de retard, parce que la vague est commencée depuis longtemps, nous avons décidé de faire la découverte de cette destination surprenante à plus d’un titre.



Il y a 40 ans, ma blonde et moi avions acheté un guide touristique du Portugal. À la première page, ça disait que le pays, réputé pour ses sardines et sa morue, sentait le poisson! Pas trop invitant pour quiconque n’est pas entiché des produits de la mer, d’autant que le pays était à l’époque un des plus pauvres d’Europe.

Le pont du 25-Avril et une œuvre de Joana Vasconcelos, «Portugal a banhos-2010». Photo: Claude Deschênes
Une sculpture en hommage aux carquejeiras, ces femmes traitées comme des bêtes humaines qui transportaient des fagots de bois de foyer. Photo: Claude Deschênes

Les temps ont bien changé. Le Portugal a fait son entrée dans la Communauté économique européenne en 1986, s’est converti à l’euro en 2002. En 2011, au bord de la banqueroute, le pays a été sauvé par un plan d’aide de l’Union européenne de 78 milliards d’euros. Lisbonne a eu son Expo 67 en 1998, au même moment, on creusait le métro de Porto, à l’époque le plus grand projet de construction de l’Union européenne, on a investi dans les réseaux autoroutiers. Bref, en 20 ans, le Portugal est devenu moderne, et attirant pour les visiteurs.

La gare de Lisbonne-Oriente commandée à l’architecte espagnol Santiago Calatrava pour l’Exposition universelle de 1998. Photo: Claude Deschênes

Moi, qui pensais que comparativement à ma visite en France l’an dernier, je serais en manque d’art public, de musées, d’innovations architecturales, j’ai été confondu, car la culture, y compris l’art public, les musées, l’architecture, a la faveur du gouvernement portugais, qui a beaucoup investi en culture dans les années 2010.

Le pont Vasco de Gama. Photo: Claude Deschênes

Ajoutez à ça le legs d’une longue histoire qui a du panache, ça fait beaucoup à voir. Qu’on pense seulement à la tour de Belém, au monastère des Hiéronymites, au parc Eduardo VII, et à la grande tradition maritime et coloniale.

Monastère des Hiéronymites. Photo: Claude Deschênes

Mais c’est du Portugal d’aujourd’hui que je veux vous parler. Ce pays qui compte une multitude de musées, dont un musée d’art contemporain (MAC), hébergé dans le centre culturel de Belém.

Centre culturel de Belém. Photo: Claude Deschênes

Le MAC présente une exposition très complète sur l’histoire de l’art moderne dans le monde, avec des Mondrian, Man Ray, Fernand Léger, Riopelle, Warhol.

Jean Paul Riopelle, Abstraction (orange), 1952. Photo: Claude Deschênes

Sur l’esplanade, avant de pénétrer dans le bâtiment, des œuvres de Niki de Saint Phalle et Henry Moore nous accueillent.

Henry Moore, Reclining Figure : Arched Leg, 4/6, 1969-1970. Photo: Claude Deschênes

Passé la porte, on a eu l’impression d’un air de déjà-vu avec les sculptures de Stephan Balkenhol, artiste allemand dont on peut voir des œuvres de la même période au Musée des beaux-arts de Montréal.

Stephan Balkenhol, Angel, Devil, World, 1994. Photo: Claude Deschênes

À Porto, c’est le Musée de la photographie qui m’a épaté. Le lieu est saisissant. On a transformé les étages d’une ancienne prison construite au 18e siècle en salles d’exposition.

Intérieur du Musée de la photographie de Porto. Photo: Claude Deschênes

Cette geôle avait ceci de particulier qu’elle offrait des conditions de détention différentes selon le statut social des personnes incarcérées. Le premier étage est tout ce qu’il y a de plus rudimentaire, alors que le troisième avait des airs d’hôtel de villégiature. Le grand écrivain portugais Camilo Castelo Branco y a écoulé sa peine pour adultère sans trop souffrir. Sa maîtresse était même au deuxième étage!

Deuxième étage du Musée de la photographie de Porto. Photo: Claude Deschênes

Dans ces espaces, on présente, entre autres, une exposition qui rappelle le 25 avril 1974, date historique au Portugal, alors que le pays a mis fin à 50 ans de dictature salazariste. Cette révolution des œillets s’est faite sans effusion de sang, le jour où les militaires ont décidé de redonner la démocratie aux citoyens.

Exposition de photos prises le 25 avril 1974 par le photojournaliste Alfredo Cunha. Photo: Claude Deschênes

Le Musée de la photographie de Porto, dont l’accès est gratuit, compte aussi une incroyable collection d’appareils photo; des premiers spécimens géants aux appareils miniatures utilisés pour l’espionnage.

Exposition d’appareils photo au dernier étage du Musée de la photographie de Porto. Photo: Claude Deschênes

L’art public est omniprésent au Portugal. Le site qui a accueilli l’exposition universelle de Lisbonne, le Parque das Nações, en compte de gigantesques qui demeurent toujours aussi pimpantes, même 25 ans après leur création.

L’art public est omniprésent sur le site de l’ancienne Exposition universelle de Lisbonne de 1998. Ici : The Cat, par l’artiste Bordalo II. Photo: Claude Deschênes

La céramique, très liée à l’histoire du pays, se présente dans des couleurs et des formes très nouvelles dans cette magnifique fontaine-installation intitulée Volcans d’eau.

Volcans d’eau, Parque das Nações, Lisbonne. Photo: Claude Deschênes

La promenade qui mène du Monument aux Découvertes, à Belém, jusqu’au pont du 25-Avril (inspiré du Golden Gate de San Francisco) a aussi son côté galerie d’art à ciel ouvert. On y trouve même un monument rappelant la pandémie.

Rogério Abreu, Heroes of the Pandemic. Photo: Claude Deschênes

En matière d’art public, ma palme revient à la citadelle Pestana de Cascais, station de villégiature en banlieue de Lisbonne. Ce lieu historique, qui fut autrefois une forteresse militaire, a été transformé en hôtel avec restaurants, librairies et galeries d’art. La cour intérieure offre une série de sculptures on ne peut plus «instagrammables».

La cour intérieure de la citadelle Pestana de Cascais. Photo: Claude Deschênes

L’an dernier, au Musée Picasso de Paris, j’ai découvert la peintre noire féministe Faith Ringgold (1930-2024). Cette année, place à une de ses contemporaines, une autre femme peintre féministe: Paula Rego (1935-2022). Cette Portugaise a vécu une bonne partie de sa vie en Angleterre. Elle a été la seule femme à faire partie de l’école de Londres, aux côtés de Francis Bacon, David Hockney et Lucian Freud. Tout un personnage!

Un musée est consacré à son travail extrêmement percutant à Cascais.

Paula Rego, Salazar Vomiting the Homeland, 1960. Photo: Claude Deschênes

Le bâtiment qui accueille les œuvres les plus significatives de sa carrière agit comme un aimant. On a juste envie de s’approcher de la Casa das Historias, formée de deux pyramides en béton de couleur rouge.

Casa das Historias, musée imaginé par l’architecte Eduardo Souto de Moura. Photo: Claude Deschênes

C’est l’artiste elle-même qui a choisi l’architecte, Eduardo Souto de Moura, un compatriote qui a été lauréat en 2011 du prix d’architecture Pritzker, qu’on appelle aussi le Nobel d’architecture, pour qu’on saisisse bien son importance.

Casa das Historias, musée imaginé par l’architecte Eduardo Souto de Moura. Photo: Claude Deschênes

Ce musée n’a pas été ma seule surprise architecturale. Lisbonne et Porto comptent aussi leurs lots d’édifices signatures. Dans ce pays, on aime les «starchitectes», et on les laisse créer.

Je m’en tiendrai à trois exemples.

Le tout nouvel édifice en béton que l’architecte péruvien Alejandro Aravena (lui aussi lauréat d’un prix d’architecture Pritzker, en 2016) a imaginé pour le géant de l’énergie portugais EDP. Cette curiosité est à deux pas du Time Out Market de Lisbonne.

Édifice de la compagnie EDP par Alejandro Aravena. Photo: Claude Deschênes

Le terminal de croisière de Matosinhos semble aussi spectaculaire. Je dis semble, parce que je ne l’ai vu que de loin. Malheureusement, on ne peut le visiter que le dimanche matin, ou en arrivant à Lisbonne sur un paquebot. Cet édifice qui prend la forme d’un ruban qui se déroule a été imaginé par l’architecte portugais Luis Pedro Silva.

Terminal de croisière de Matosinhos par l’architecte Luis Pedro Silva. Photo: Claude Deschênes

Et à Cascais, il y a la conversion d’un ancien centre commercial en 28 logements par Tiago Rebelo de Andrade, un autre Portugais, dont l’enveloppe extérieure ne peut laisser indifférent.

Nauticau, édifice à logements à Cascais, par l’architecte Tiago Rebelo de Andrade. Photo: Claude Deschênes

Décidément, au Portugal, l’architecture d’aujourd’hui est sous le signe de l’audace.

Je terminerais, parce qu’il faut bien s’arrêter, avec l’art mural. Dans ce pays où l’on réussit à juguler la présence des graffitis dans les villes, on peut voir de magnifiques murales d’une grande poésie.

Murale Because art matters, par J. De Montaigne, 2022. Photo: Claude Deschênes
Murale Poseidon Facing the Tagus River, par PichiAvo. Photo: Claude Deschênes

Tout ce dont je viens de vous parler, à l’exception des visites au MAC et à la Casa das Historias, est accessible gratuitement. Même si le taux de change avec l’euro n’est pas à notre avantage, à nous la chance!