La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Retour à Walden, un disque magistral de Richard Séguin

Pour la première fois depuis bien des années, je ne suis pas allé passer quelques jours de mon été au Massachusetts. C’est beaucoup à cause de l’occupant de la Maison-Blanche. Mais grâce à Richard Séguin et à son disque Retour à Walden, qui sort cette semaine, le Mass est venu à moi. Son hommage au poète Henry David Thoreau (1817-1862), né et mort à Concord (Massachusetts), est un petit chef-d’œuvre.



Je suis la carrière de Richard Séguin depuis 45 ans. Ce gars-là ne m’a jamais déçu. Son intégrité et sa sincérité sont sans failles. Depuis son premier disque (Séguin, en duo avec sa sœur jumelle Marie-Claire), Richard chante son attachement à la nature, vante les vertus de la simplicité, prend la défense des démunis. Son nouvel enregistrement est comme un point d’orgue de cette démarche. On y retrouve les valeurs qu’il a toujours défendues et toute la quintessence de son métier d’auteur-compositeur.

Photo: Jean-François Vézina
Photo: Jean-François Vézina

Avant d’aller plus loin, dire qui est Henry David Thoreau s’impose. Ce poète américain a été un précurseur de l’écologie. Le Walden, auquel le titre du disque fait référence, est un étang où Thoreau a vécu en solitaire pendant deux ans, deux mois et deux jours. Les réflexions que sa retraite en cet endroit lui a inspirées ont été publiées en 1854 dans un ouvrage intitulé Walden ou La vie dans les bois.

Les écrits de Thoreau sont à la fois poétiques, scientifiques et militants. Ils lui ont valu de devenir une référence en matière de respect de la nature, d’égalité des races et d’expression de la dissidence. Thoreau n’hésitait pas à dire qu’il fallait désobéir pour protéger ce qu’on appelle aujourd’hui notre environnement. On dit que son concept de désobéissance civile a été un modèle pour Gandhi et Martin Luther King, qui sont venus après lui.

Richard Séguin vit avec la poésie de Thoreau depuis sa jeune vingtaine. Il a créé, à partir de ce terreau fertile, ce qu’il appelle un théâtre musical dans lequel l’esprit du penseur jaillit.

Séguin récite les mots du poète, comme ceux-ci qui m’interpellent.

«Impossible d’écrire bien et sincèrement si on ne le fait pas dans la joie. Le corps, les sens doivent travailler avec l’esprit: l’expression est l’acte du corps tout entier.»

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L’auteur-compositeur a aussi écrit de magnifiques chansons inspirées de la philosophie de son maître à penser. L’entendre nous souffler «Je ferai ma cabane de feuilles et de racines, aux couleurs des saisons» sonne juste. Même chose pour Simplifier, ode à la simplicité volontaire qui rend grâce à la richesse d’un potager sur un air de banjo, alors que Désobéir prend l’allure d’un hymne qu’on a envie d’entonner avec lui comme on le faisait avec Journées d’Amérique.

On a aussi droit à la visite de personnages qui ont gravité dans l’univers de Thoreau: l’amie intellectuelle Lidiane Emerson, l’esclave William et l’abolitionniste John Brown. Jorane, Élage Diouf et Normand D’Amour prêtent leurs voix. La contribution de Jorane est particulièrement remarquable.

Le philosophe Normand Baillargeon est également présent. Dans la chanson Guerre et tempête, il récite son texte On a raison de se révolter, démonstration sans équivoque que les préoccupations de Thoreau sont toujours d’actualité.

«Malgré ce qu’on voudrait parfois nous inciter à croire, une démocratie ce n’est pas un régime de spectateurs. C’est une organisation politique de citoyens qui se tiennent informés, qui se parlent et qui agissent ensemble. Notre salut collectif passe par l’action collective. Je le répète: on devrait être beaucoup plus indignés que nous le sommes.»

C’est une production très soignée. L’apport d’une vingtaine de musiciens donne beaucoup de richesse à cet enregistrement réalisé par Hugo Perreault, artisan depuis longtemps du son folk-rock de Séguin, et Guido Del Fabbro, qui signe des arrangements de cordes fabuleux.

On sent que Richard Séguin s’est totalement investi dans ce projet créatif. De fait, il y a mis quatre ans. À une époque où les disques se vendent morceau par morceau sur le Web, voilà un produit à contre-courant, en dehors de la mode de l’heure. Retour à Walden est une somme de convictions qui s’écoute comme un tout, comme un plaidoyer. C’est une œuvre faite avec le cœur qui va traverser le temps. Une rareté de nos jours.

«L’intelligence est impuissante à exprimer la pensée sans l’aide du cœur…» - Henry David Thoreau

Si vous passez par là

Si vous allez au Massachusetts, vous pouvez vous rendre sur les lieux qui ont inspiré le livre Walden ou La vie dans les bois de Henry David Thoreau. Le Walden Pond State Reservation offre un rappel de la cabane du poète et permet d’apprécier la nature généreuse de cet étang qui a une profondeur de 31 m et un pourtour de 2,7 km. Tout ça à une quarantaine de minutes de Boston.

Reconstitution de la cabane de Thoreau au Walden Pond State Reservation. Photo: Miguel Vieira, Flickr
Reconstitution de la cabane de Thoreau au Walden Pond State Reservation. Photo: Miguel Vieira, Flickr