La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Pub Royal, le spectacle de la résurrection

L’année 2023 s’achève, elle aura été marquée par le phénomène Cowboys Fringants. La mort de Karl Tremblay a propulsé ce groupe dans une catégorie encore plus à part de l’adulation populaire qu’il ne l’était déjà. Une tournée du Québec avait au préalable exacerbé les émotions. Et ce n’est pas fini. Pub Royal, nouveau spectacle alliant cirque et comédie musicale, échafaudé sur des chansons des Cowboys Fringants, qui offre la possibilité aux fans en deuil de vivre un moment de résurrection, se révèle un immense succès de billetterie.



Ce n’est pas la première fois qu’une compagnie de cirque fait de la musique des Cowboys Fringants la trame musicale de son spectacle. En 2019, le Cirque du Soleil créait à Trois-Rivières Joyeux Calvaire, très bel hommage circassien au groupe de Repentigny.

Quatre ans plus tard, c’est au tour des 7 Doigts de la main de s’inspirer du répertoire des Cowboys. En fait, Sébastien Soldevila, un des sept cofondateurs de la compagnie, a tablé sur les succès de la formation musicale, et la popularité de la danse, genre Révolution, pour élaborer une proposition plus proche de la comédie musicale que du cirque.

Pub Royal, nouveau spectacle alliant cirque et comédie musicale, échafaudé sur des chansons des Cowboys Fringants, offre la possibilité aux fans en deuil de vivre un moment de résurrection. Photo: Jean-François Savaria

Soldevila, qui agit comme librettiste et metteur en scène, a inventé de toutes pièces une histoire en s’inspirant de l’univers chansonnier des Cowboys Fringants. Pourtant, les 14 chansons qu’il a choisies n’ont pas vraiment de rapport entre elles, sinon qu’elles ont été écrites et composées par le même Jean-François Pauzé.

Au fil des ans et des disques, l’auteur du groupe a peuplé ses textes d’une faune bien particulière. Un univers de gens ordinaires de banlieue, des fois perdus et nostalgiques, souvent revendicateurs, capables d’élans solidaires, et ne se laissant jamais prier pour faire le party. Soldevila a donc convoqué tout ce beau monde au fameux Pub Royal.

Pour moi qui ne connais pas très intimement l’univers des Cowboys Fringants (le groupe n’a jamais été très ouvert aux médias électroniques, où j’ai fait l’essentiel de ma carrière), ça m’a pris presque toute la première partie du spectacle pour comprendre qui était qui. Et qu’est-ce qui les réunissait tous dans ce bar sans issues de secours, dominé par Siriso, un maître des lieux cassant et intransigeant?

Attention, je vais faire un divulgâcheur de moi.

Quand j’ai compris que cet univers clos était une métaphore du coma dans lequel se trouvaient tous les personnages, j’ai attrapé de quoi, comme on dit. J’ai commencé à trouver que Sébastien Soldevila avait été très astucieux dans sa démarche. Sa fable sur la vie est émaillée de chansons des Cowboys qui sont bien souvent des hymnes aux regrets, aux aveux, aux adieux, un répertoire qui colle très bien à ce décor d’antichambre de la mort.

Cette rencontre entre la plus songée de nos compagnies de cirque et le plus authentique des groupes québécois donne un résultat qui ne peut que réjouir les fans endeuillés. Photo: Jean-François Savaria

Le spectacle se termine avec le retour à la vie du personnage principal, Jonathan Doyer, avec lequel la salle entière est invitée à entonner Les étoiles filantes.

Ce qui nous manquera le plus de Karl Tremblay, c’est sa voix, qui donnait beaucoup d’humanité au groupe. Pas évident pour les chanteurs du spectacle Pub Royal d’imposer la leur, mais ils y arrivent assez rapidement. La facture du spectacle, très comédie musicale avec chant, jeu, danse, nous amène vite ailleurs, loin des grands-messes que sont les shows des Cowboys.

La manière dont Alexia Gourd interprète Pub Royal, le moment le plus poignant du spectacle, nous en donne la preuve.

La facture du spectacle, très comédie musicale avec chant, jeu, danse, nous amène loin des grands-messes que sont les shows des Cowboys. Photo: Jean-François Savaria

Richard Charest, excellent chanteur, vu notamment dans Notre-Dame de Paris, se défend bien dans le rôle très parlé et exigeant du personnage principal.

Aussi, quand on saisit que Siriso est l’équivalent d’un ordinateur quantique, un proche parent de Siri, on comprend pourquoi le personnage a un ton cinglant, très loin du style fringant. Très bon vocalement dans son rôle, Kevin Houle est franchement impressionnant dans sa gestuelle. Un vrai félin! Il se moule parfaitement à la troupe de sept danseurs dirigée par l’énergique chorégraphe Geneviève Dorion Coupal.

Il ne faut pas s’attendre à voir trop de cirque dans ce spectacle. C’est la partie congrue, même si on compte six acrobates dans la distribution. Photo: Sébastien Lozé

Il ne faut pas s’attendre à voir trop de cirque dans ce spectacle. C’est la partie congrue, même si on compte six acrobates dans la distribution. Ils font un peu de mâts chinois, d’équilibre, de banquine, des pirouettes, mais surtout beaucoup de danse acrobatique.

Cette rencontre entre la plus songée de nos compagnies de cirque et le plus authentique des groupes québécois donne un résultat qui ne peut que réjouir les fans endeuillés. Ils ont d’ailleurs répondu présents en grand nombre à l’invitation des 7 Doigts de la main. Pub Royal accumule déjà les supplémentaires. Le spectacle est à l’affiche du Théâtre Maisonneuve jusqu’au 7 janvier 2024. Après quoi, la troupe visitera Paris en avril, Trois-Rivières en mai, Québec en juin, Ottawa en juillet, Sherbrooke en octobre.

En décembre, Pub Royal reviendra au Théâtre Maisonneuve pour devenir le rendez-vous d’avant Noël annuel à la place du légendaire Décembre de Québec Issime.

Je dirais, en terminant, que si on n’est pas un irréductible du groupe, ce spectacle, plutôt sombre et tonitruant, ne convient pas à la période de l’avent. Il est plus dans l’esprit de Pâques, en raison de la réflexion assez philosophique qu’il propose sur la vie et la mort.