La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Pierre Boucher et André Chagnon, deux destins d’hommes plus grands que nature

Par hasard, cette semaine, je me suis retrouvé sur le chemin de deux bâtisseurs du Québec, deux hommes malheureusement méconnus: Pierre Boucher, le fondateur de Boucherville, et André Chagnon, l’homme derrière Vidéotron. Dans le cas de Pierre Boucher, c’est un livre qui m’a fait découvrir sa vie, alors que pour André Chagnon, c’est un film qui m’a raconté son histoire. Chronique en forme de devoir de mémoire.


L’étonnante destinée de Pierre Boucher de Nicole Lavigne aux Éditions Québec Amérique

D’abord un aveu. Je ne suis pas un adepte de romans historiques. Tellement, qu’il était plutôt improbable que je me lance dans la lecture d’un livre racontant l’histoire de Pierre Boucher, fondateur de Boucherville. Pourquoi alors ai-je lu L’étonnante destinée de Pierre Boucher? Je l’avoue candidement, parce que son auteure, Nicole Lavigne, ancienne collègue à la salle des nouvelles de Radio-Canada, m’en a envoyé un exemplaire. Je ne me sens jamais obligé de rien, mais par curiosité, j’ai plongé dans ce récit qui s’est révélé absolument surprenant, car c’est d’un homme plus grand que nature dont il est ici question.

Pierre Boucher a quitté sa région natale du Perche pour la Nouvelle-France en 1635. Il a 13 ans. Jusqu’à sa mort à Boucherville, en 1717, à l’âge vénérable de 95 ans, il n’aura de cesse d’accumuler les exploits. Dès son arrivée à Québec, il croise des personnages qui sont devenus des légendes: Samuel de Champlain, Jeanne Mance, Maisonneuve. Avec les Jésuites, dont le père Brébeuf, il sera des premières expéditions en Huronie, y apprenant avec une certaine facilité les langues autochtones. De simple soldat à capitaine, à gouverneur, Boucher monte les échelons rapidement. Le roi l’anoblit. Sa grande connaissance du territoire et de la géopolitique en fait le candidat parfait pour aller plaider auprès de Louis XIV la cause d’une Nouvelle-France négligée par son souverain, menacée par les Iroquois, et déclassée par ses voisins anglais et hollandais. Dans le cirque qu’est la cour, la parole de cet homme réaliste, bien informé et visionnaire, sera entendue par Colbert et le roi Soleil lui-même.

Nicole Lavigne nous raconte ce parcours en utilisant le «je». C’est Pierre Boucher qui nous parle. L’écrivaine manie admirablement la langue française. Le style est virevoltant et le vocabulaire utilisé, foisonnant. Le joueur de Scrabble en moi a fait des réserves de beaux mots payants.

Le livre se divise en deux parties: les années barbares (croyez-moi, elles le sont), et l’année française. Dans ce dernier cas, cela nous permet de vivre au rythme du Paris de l’année 1662, où la pauvreté, l’indigence, la famine côtoient la frivolité des courtisans, la fourberie des intrigants et l’opulence de la cour.

Bien sûr, l’auteure invente des dialogues, imagine des situations, mais on sent que toute cette prose enlevée repose sur une bonne recherche.

Les faits sont là, mais tout est dans la manière de les mettre en scène. Son récit du voyage de retour de Boucher sur le voilier L’Aigle d’Or nous fait passer par toute la gamme des émotions: de l’exaltation du départ avec de bons vents qui donnent de l’allant, en passant par le découragement à faire du surplace sur une mer d’huile, l’horreur des tempêtes, et celle du scorbut qui n’offre d’autre choix que de jeter les morts par-dessus bord, sans oublier la cohabitation obligée avec les rats.

Après cette traversée, Pierre Boucher a eu 55 autres années pour continuer à faire sa marque à la fois comme gouverneur de Trois-Rivières et seigneur de Boucherville, comme auteur avec son ouvrage Histoire véritable et naturelle des mœurs et productions du Pays de la Nouvelle-France vulgairement dite le Canada, et comme géniteur, avec Jeanne Crevier, d’une des plus importances descendances attribuables à un colon de la Nouvelle-France.

Moi qui croyais en apprendre sur la fondation de Boucherville, le livre n’en dit mot. Maintenant que je sais qu’il peut y avoir beaucoup de plaisir à lire des romans historiques, je me dis que ce sera peut-être pour une autre fois, Nicole Lavigne étant une écrivaine très productive, ce livre étant son sixième.

L'étonnante destinée de Pierre Boucher, Nicole Lavigne. Québec Amérique. 2021. 256 pages.

En tête de ligne de Joëlle Arseneau et Garance Chagnon-Grégoire

Les Léger, Coutu, Bouchard, Bombardier, Saputo, fondateurs des Rôtisseries Saint-Hubert, des pharmacies Jean Coutu, des dépanneurs Couche-Tard, du géant de l’aéronautique Bombardier et de l’empire du fromage Saputo, sont en général bien connus du public. Dans ce groupe sélect de bâtisseurs, il y en a un autre, plutôt discret, j’ai nommé André Chagnon, l’homme derrière Vidéotron, une autre des grandes réussites du Québec inc.

Eh bien! voilà qu’André Chagnon accepte de raconter son parcours dans un grand documentaire de 1 h 47 qui sort en salle à travers le Québec cette semaine. L’homme d’affaires, aujourd’hui âgé de 93 ans, ne s’est pas confié à n’importe qui: le film est coréalisé par Joëlle Arseneau et Garance Chagnon-Grégoire, cette dernière étant la fille de Johanne, l’aînée des cinq enfants Chagnon.

Disons-le tout de suite, ça donne un film de famille; d’ailleurs, tous les enfants d’André Chagnon témoignent, ainsi que plusieurs des personnes qui ont fait partie de sa garde rapprochée. On n’est donc pas dans la controverse, car à l’évidence, monsieur Chagnon a été un bon père et un bon boss, selon les personnes interrogées. Néanmoins, les moments marquants de la vie de cet entrepreneur visionnaire et persévérant s’y trouvent, les réussites comme les échecs et les deuils. Et franchement, c’est fascinant, d’autant que la production a pu compter sur une mine d’or d’archives, ce qui permet de bien illustrer les nombreux sujets abordés.

André Chagnon, fils d’électricien né à Montréal-Nord en pleine Grande Dépression, a su très jeune faire des choix judicieux. Plutôt que de poursuivre dans la veine de l’enfouissement des câbles électriques avec son entreprise de construction Chagnon Electric, il bifurque vers le transport de signaux par câble, un marché qu’il développe en périphérie de Montréal avec un succès retentissant sous le nom de Vidéotron.

André Chagnon, c’est l’homme de la multiplication des postes de télévision. Qui n’a pas de souvenirs de l’arrivée du câble dans sa chaumière dans les années 1970? On s’abonnait en masse à son service pour suivre les délibérations de la Commission d’enquête sur le crime organisé (CECO) retransmises intégralement par Vidéotron.

Avec ses équipes, il pousse la technologie à son maximum, créant des services comme la télé sur demande, une révolution! C’est bon de se faire rappeler que le Québec a été un chef de file dans le développement de la câblodistribution, de la télévision par satellite et du divertissement interactif, autant d’avancées qui ont mené à l’Internet que l’on connaît aujourd’hui. On venait de l’étranger pour s’informer des prouesses de Vidéotron. La compagnie a même fait une percée spectaculaire dans le domaine de la câblodistribution en Angleterre.

À cette époque, l’entreprise ne cesse de prendre de l’expansion. Le présentateur de nouvelles Pierre Bruneau nous raconte l’impact qu’a eu l’acquisition de Télé-Métropole par Vidéotron. Cette prise de possession a fait du Canal 10 et ses affiliés un grand réseau de télévision toujours aussi populaire en divertissement, mais désormais un compétiteur redoutable en production de contenus d’information.

Le film passe aussi un bon moment à expliquer pourquoi Vidéotron s’est laissé séduire par son grand concurrent canadien Rogers, et la saga qui s’ensuivit, c’est-à-dire son rachat par Québecor avec l’aide de la Caisse de dépôt, qui ne voulait pas que ce joyau québécois passe aux mains d’une entreprise de Toronto.

La fortune colossale, 1,9 milliard de dollars, que la famille Chagnon a touchée lors de la vente de l’entreprise ruisselle depuis lors vers une multitude d’organismes communautaires qu’André Chagnon a choisi d’aider par le biais de sa Fondation. Cet organisme a mis, selon ce qu’on comprend, un certain temps à trouver la bonne approche pour faire la charité, mais sa générosité est indéniable.

Sur un plan plus personnel, En tête de ligne nous permet de voir que malgré sa richesse, André Chagnon est demeuré un homme simple, animé de valeurs humanistes, soucieux de sa forme et de sa santé. Il est aussi très touchant de l’entendre parler de sa femme, Lucie, avec qui il a vécu 65 ans de mariage, jusqu’à sa mort en 2014 des suites de la maladie d’Alzheimer.

Un documentaire à voir.