La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Notre-Dame brûle: Jean-Jacques Annaud recrée au cinéma l’incendie de la cathédrale de Paris

Le 15 avril 2019, le lundi précédant la fête de Pâques, la cathédrale Notre-Dame de Paris, joyau du patrimoine mondial, était la proie des flammes. Trois ans plus tard, on peut revivre minute par minute la terrible tragédie grâce au réalisateur français Jean-Jacques Annaud, qui a reconstitué au cinéma ce moment historique. Notre-Dame brûle prend l’affiche dans une douzaine de salles québécoises le 15 avril, en pleine semaine sainte.



Notre-Dame brûle n’est pas un documentaire, pas plus qu’une enquête sur les causes d’un sinistre qui n’a pas encore révélé tous ses secrets. À défaut d’un meilleur vocable, appelons ça une fiction calquée sur la réalité. Ce film, réalisé dans l’urgence, veut témoigner de l’outrage que le célèbre monument gothique parisien a subi, et de la bravoure des pompiers qui ont contribué, les 15 et 16 avril 2019, à ce que le bâtiment reste debout.

Tournage de «Notre Dame brûle» au studio à Bry-sur-Marne. Photo: Mickael Lefevre

Jean-Jacques Annaud, qui dirigeait il y a 40 ans la production franco-canadienne La guerre du feu (1982), a mis toute sa fougue et son expertise dans Notre-Dame brûle, projet commandé par le propriétaire de la maison de production Pathé, Jérôme Seydoux, huit mois après les événements. Cela vaut la peine d’être mentionné, les artisans de cet exploit sont des aînés «bioniques». Annaud a 78 ans, Seydoux, 87 ans.

Le réalisateur Jean-Jacques Annaud. Photo: David Koskas

Avec le milliardaire François Pinault (86 ans), Seydoux a allongé les millions nécessaires (30 millions d’euros) à la réalisation du film, et donné carte blanche à Annaud, un cinéaste natif de la région parisienne qui ne manque pas de faits d’armes (Le nom de la rose, L’ours, Sept ans au Tibet, Stalingrad), un homme connu pour son athéisme et sa passion pour l’architecture médiévale.

Photo: Mickael Lefevre

Dès le départ, considérant qu’il n’existait pas suffisamment de films d’archives variés et de qualité sur cet immense brasier, Annaud opte pour la fiction au détriment du documentaire. Un pari colossal considérant que nous sommes en 2020 et que la pandémie commence à faire des siennes.

Photo: David Koskas

Autre choix, qui s’avèrera extrêmement payant, le réalisateur opte pour une reconstitution avec de vrais décors, du vrai feu, et d’authentiques trombes d’eau, se réservant les effets spéciaux pour la finition, notamment faire disparaître de l’image les tuyères de gaz qui alimentent le feu ou les câbles qui sécurisent les comédiens-pompiers. À cet effet, on a judicieusement préféré utiliser des acteurs et des cascadeurs plutôt que de faire appel à de véritables sapeurs. Autre choix qui contribue à la crédibilité du film, la distribution ne compte aucune vedette connue. Anne Hidalgo, la mairesse de Paris, fait une apparition éclair dans le film, et le président Emmanuel Macron apparaît tel qu’en lui-même grâce à l’insertion très réussie de films d’archives.

Photo: Mickael Lefevre

Notre-Dame brûle a été tourné en différents endroits. À Sens et à Bourges, où se trouvent des cathédrales semblables à celle de Paris, ce qui a permis de recréer l’activité touristique bourdonnante qui régnait à Notre-Dame en ce lundi saint 15 avril 2019. Les autorités françaises ont donné des autorisations de tournage pour des prises de vue sur le parvis sécurisé de la prestigieuse église de l’île de la Cité. Les scènes de combat d’incendie dans les combles et la charpente, d’effondrement de la flèche, de la périlleuse opération de sauvetage des tours et de la délicate récupération de la précieuse couronne d’épines, ont été réalisées à la Cité du cinéma de Saint-Denis et à Bry-sur-Marne, où on a reconstruit à l’échelle plusieurs éléments de la cathédrale de Paris.

Tournage de Notre Dame de Paris brûle au studio à Saint-Denis. Brûlage du beffroi. Photo: Mickael Lefevre

La conception de ces décors extrêmement impressionnants de vraisemblance a été confiée à Jean Rabasse, qui compte au nombre de ses réalisations les décors des films Delicatessen et La cité des enfants perdus de Jean-Pierre Jeunet, Astérix et Obélix contre César de Claude Zidi, J’accuse de Roman Polanski, et des spectacles Cortéo, Love et Iris du Cirque du Soleil. Ça ne s’invente pas, juste avant de se voir offrir le contrat par Jean-Jacques Annaud, Jean Rabasse venait de terminer la lecture de Notre-Dame de Paris. Inutile de dire que le chef décorateur avait fraichement en mémoire les descriptions de Victor Hugo.

Contrairement au roman, dans le film, ce ne sont pas tant les mots qui contribuent à l’émotion que les sons. Pendant que les dialogues empruntent beaucoup au langage technique des pompiers, les bruits propres au feu qui fait rage touchent directement notre système nerveux. Le crépitement des chênes vieux de 800 ans qui se consument, le plomb qui se liquéfie et dégoutte sur les casques des pompiers ou sort en torrent de la bouche des gargouilles, les cloches qui tintent au contact de l’eau qui s’abat sur elles, le concert de sirènes, un grand soin a été apporté à la bande sonore du film. La musique du compositeur britannique Simon Franglen fait le reste du travail en mélangeant violons vibrants, chants sacrés et roulements de tambours dramatiques.

Photo: David Koskas

Avant que l’action ne s’installe dans le film, Notre-Dame brûle détaille un nombre incroyable de faits vécus survenus le 15 avril 2019 qui, mis bout à bout, confèrent au ridicule, mais que Jean-Jacques Annaud tenait à inclure dans son récit. Citation tirée du dossier de presse:

«Ce que j’ai découvert était inimaginable. Une fascinante cascade de contretemps, d’obstacles, de dysfonctionnements. Du pur invraisemblable, mais vrai. Tout ça m’est apparu fou, grandiose, burlesque, humain et j’ai voulu en faire un opéra visuel avec suspense, drame, générosité, cocasserie.»

Photo: David Koskas

Mais cette réalité désarçonnante que Jean-Jacques Annaud a voulu mettre à l’écran est présentée d’une manière souvent tellement burlesque que j’ai failli décrocher. Ça, c’est sans parler de l’accent québécois caricatural qu’on entend à deux reprises dans le film, qui m’a frisé les oreilles.

Heureusement, la puissance du sujet et la tension que le film génère sont rapidement venues à bout de mes réserves du début et m’ont finalement tenu en alerte générale pendant 110 minutes.

Le film sur le feu qui a détruit une grande partie de Notre-Dame est fait, et bien fait. Reste maintenant à reconstruire ce bâtiment de légende.