La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Katherine Levac et Bachelor: histoires de femmes

Cette semaine, je vous parle de L’homme de ma vie de Katherine Levac et de Bachelor de Louis Saïa, Louise Roy et Michel Rivard, avec Monika Pilon dans une mise en scène d’Édith Cochrane. Deux histoires de femmes qui nous font faire un grand écart dans le temps.



Hiiii, que le temps passe! La dernière fois que j’ai vu Kat Levac, c’est en février 2018. Je la découvrais sur scène. Velours était son premier spectacle en solo. Elle n’avait pas d’enfants, ne s’affichait pas encore lesbienne et n’avait pas encore eu recours au botox (c’est elle qui le dit, pas moi).

Six ans plus tard, rendez-vous dans la même salle Maisonneuve de la Place des Arts pour un nouveau spectacle intitulé L’homme de ma vie, dans lequel on la retrouve, ni plus ni moins, là où elle nous avait laissés.

La forme est la même: un micro avec un fil, un minimum de déplacements sur scène et cette façon de dire des énormités avec un visage d’ange, fendu d’un sourire naïf, et avec toujours ce soupçon d’accent franco-ontarien qui la distingue des autres femmes qui font de l’humour.

Six ans après «Velours», Katherine Levac propose un nouveau spectacle intitulé «L’homme de ma vie», dans lequel on la retrouve, ni plus ni moins, là où elle nous avait laissés. Photo: Alexis GR

Sur le plan du contenu, on sait que les humoristes s’inspirent beaucoup de leur existence pour nous faire rire. Disons que la vie de Kat Levac a été riche en anecdotes ces dernières années. Avoir des jumeaux par fécondation in vitro n’étant pas la moindre.

Elle nous entretient donc de sa nouvelle maternité avec les couacs qui viennent avec, comme les difficultés à allaiter à cause de ses seins petits comme des sachets de thé, comparés à ceux de sa blonde qui sont parfaits comme les belles tasses qu’on sort du vaisselier juste pour la visite. Il y a aussi le retour de ses règles d’après accouchement qui surviennent au moment le plus inopportun qui soit, le soir où elle anime le gala des Olivier. Avec force détails, elle nous confie que ses pertes étaient dangereusement trop abondantes pour la robe en satin rose qu’elle avait choisi de porter ce soir-là.

Elle nous raconte aussi la fois où elle n’a eu d’autre choix que d’appeler l’ambulance pour sauver son poupon qui s’étouffait. Le punch du gag, c’est que le petit allait déjà mieux à l’arrivée des ambulanciers. «Il jouait des maracas!» d’ironiser la maman. Les paramédicaux ont quand même passé une partie de la soirée à la maison pour s’assurer que l’enfant de la vedette n’était pas en danger.

La méprise commise par Jay Du Temple alors qu’il gardait ses jumeaux à la maison était beaucoup plus anodine, enchaîne l’humoriste en guise de contraste. L’ancien animateur d’Occupation double leur a mis une couche de nuit, le jour! C’est infini, tout ce qu’avoir des bébés peut inspirer comme gags.

C’est infini, tout ce qu’avoir des bébés peut inspirer comme gags. Photo: Alexis GR

Parlant de la maison de Montréal de Kat Levac, c’est celle qu’on a vue dans ses sketches du gala des Olivier en 2023. Elle nous apprend qu’elle l’a mise en vente pour retourner vivre en région. Cela nous vaut quelques lignes sur les réactions des personnes venues à la visite libre qu’elle espionnait grâce aux caméras cachées dans sa demeure. «Ah, c’est ça que les artistes se payent avec mes taxes!» dira une visiteuse. «Ah, ça rassemble à ça, une chambre de lesbienne!» dira une autre.

Évidemment, sa sortie du placard est une mine riche à exploiter. Dans Velours, elle nous parlait des camps de leadership auxquels elle assistait plus jeune. Cette fois-ci, elle va dans le détail et ajoute que, la nuit, elle y dormait toute nue dans le même sac de couchage que sa best (sa meilleure amie).

Cela ne l’a pas empêchée de faire l’intéressante auprès des gars, d’abord avec sa collection de cartes de hockey, et après, avec sa micro jupe et sa petite sacoche, ce qui nous amène tout bonnement sur le terrain de la contraception. Pour elle, la pilule n’était pas tant une priorité considérant qu’il n’y a pas à s’inquiéter de la fertilité des dudes qui se nourrissent juste de Subway.

N’empêche, elle nous avoue un avortement, si j’ai bien compris, car au rythme où elle déballe ses histoires, ça va par moments très vite.

À travers cette enfilade de scènes de sa vie personnelle, marquées au sceau de l’impudeur, Kat Levac effleure tout de même des thèmes plus universels, comme la charge mentale des femmes par rapport à l’éducation des enfants et par rapport à l’image. À ce propos, on comprend qu’elle n’a pas complètement résolu les problèmes qu’elle a avec la sienne.

Pour l’ancienne animatrice de l’émission L’amour est dans le pré, la différence entre la vie en ville et la vie à la campagne demeure un thème récurrent de son humour, avec quelques histoires de fermes bien senties.

L’iniquité salariale entre les hommes et les femmes s’invite aussi en toile de fond de ses propos. Dans son couple, c’est elle qui gagne plus, donc elle ramasse moins le vomi des petits le soir venu puisqu’elle est au travail. Comme les hommes?

J’avoue que j’ai été un peu déboussolé par ce que j’ai vu. J’ai ri, j’ai trouvé qu’elle avait toujours autant d’aplomb, mais contrairement à son premier spectacle, je me suis senti souvent largué, avec l’impression d’appartenir à une époque révolue. C’est vrai que je ne fréquente pas beaucoup les shows d’humour. Au dernier gala des Olivier, je ne connaissais pas la moitié des artistes en nomination.

Au moment des saluts, à la fin du spectacle, j’ai comme trouvé le bobo, quand elle nous a dit qu’il n’y avait personne à nommer officiellement à la mise en scène. Tiens donc! Je pense en effet que ce spectacle manque d’avoir eu un regard extérieur, autre que celui de son frère qui aurait joué ce rôle sans en avoir le titre. En passant, si j’ai bien compris, c’est lui l’homme de sa vie!

Je ne suis du reste pas inquiet pour le succès de la tournée qui mènera Kat Levac aux quatre coins du Québec en 2024. Voilà une fille de son temps qui parle à sa génération et qui peut très bien se passer de l’endossement d’un homme cisgenre de mon espèce.

Bachelor, retour 45 ans en arrière

J’ai vu Kat Levac au Théâtre Maisonneuve le mercredi 27 mars. Une semaine plus tard, le 3 avril, j’étais de retour à la Place des Arts pour la première de la pièce Bachelor à la Cinquième Salle.

«Bachelor» est de retour, 45 ans après sa création. Photo: Jean-Charles Labarre

«Bachelor, c’est revenir à une époque où tout se disait. Rien n’était tabou.»

C’est cette phrase du communiqué de presse qui m’a incité à aller voir la reprise de cette pièce, 45 ans après sa création. J’avais envie de voir comment on était sans tabous en 1979, comparé à l’immense liberté de parole et d’être dont disposent les jeunes d’aujourd’hui.

Dans Bachelor, il n’y a qu’un personnage. Elle s’appelle Dolorès. Elle vient d’Hochelaga et travaille comme étalagiste chez Eaton. Elle parle sans filtre, avec des moé pis toé, de son corps, de sa vie au travail, de son rapport aux hommes, de sa solitude.

Dans «Bachelor», il n’y a qu’un personnage. Elle s’appelle Dolorès. Photo: Jean-Charles Labarre

Sa première préoccupation? Le poil de ses jambes. Premier clash temporel, elle passe le premier tiers de la pièce à nous raconter son concept de vitrine de printemps tout en s’épilant. J’avais l’impression de sentir la forte odeur de la crème épilatoire Neet d’autrefois, qu’on appelle Veet maintenant.

La première préoccupation de Dolorès? Le poil de ses jambes. Photo: Jean-Charles Labarre

Dans le deuxième tiers, elle se rhabille en décrivant les hommes qui l’entourent, dont un collègue gai et un patron qu’elle a eu comme amant. Après quelques déguisements pour se moquer des faiblesses des hommes et de sa femme médecin qui rechigne à lui prescrire des somnifères, Dolorès emploie le dernier tiers de la pièce à pleurer sa désillusion amoureuse avec un jeune fils à papa de Ville Mont-Royal qui abuse d’elle.

Dolorès emploie le dernier tiers de la pièce à pleurer sa désillusion amoureuse. Photo: Jean-Charles Labarre

La comédienne Monika Pilon met beaucoup d’énergie à défendre le rôle que Pauline Martin a créé au théâtre des Voyagements en 1979 et que Sylvie Léonard a repris en 2004. Imaginez Broue au féminin, mais avec un seul personnage. Tout un défi d’incarner cette femme qui parle toute seule, à vous saouler de ses histoires personnelles, questions et réponses comprises, sans qu’on l’ait demandé.

La comédienne Monika Pilon met beaucoup d’énergie à défendre le rôle que Pauline Martin a créé au théâtre des Voyagements en 1979 et que Sylvie Léonard a repris en 2004. Photo: Jean-Charles Labarre

À la mise en scène, Édith Cochrane a bien habillé ce soliloque. Dolorès s’épile, se crème, se fait les ongles, se ponce les genoux, se déguise pour faire rire, boit de la champagnette pour noyer ses illusions, et s’écrase finalement lorsqu’elle réalise qu’elle a été, encore une fois, aveuglée par un amour impossible.

À la mise en scène, Édith Cochrane a bien habillé ce soliloque. Photo: Jean-Charles Labarre

Je compare à Broue parce qu’on y retrouve le même genre d’humour à la fois candide et grinçant. Pas étonnant de retrouver Louis Saïa aux textes, aux côtés de sa fidèle complice de l’époque, Louise Roy. Fallait bien une femme pour en faire parler une autre. Plus surprenant, il y a Michel Rivard qui est également crédité aux textes. C’est une des premières choses qu’il a faites après la séparation de Beau Dommage en 1977.

La question qui tue: est-ce que le propos est encore pertinent presque 50 ans plus tard? Moins que les premières chansons de Beau Dommage, disons.

Est-ce que le propos est encore pertinent presque 50 ans plus tard? Moins que les premières chansons de Beau Dommage, disons. Photo: Jean-Charles Labarre

Après avoir vu la réaction au show de Kat Levac, je ne pense pas que les femmes d’aujourd’hui se reconnaîtront dans le personnage soumis de Dolorès. La génération d’aujourd’hui a ses problèmes, mais elle est pas mal plus affirmée. Je peux imaginer qu’à l’époque, un an avant le premier référendum, le besoin d’émancipation de Dolorès était de nature à ébranler les spectateurs. Pas tant aujourd’hui. Peut-être que c’est le désir de plaire et de paraître de Dolorès, un désir qui n’a pas d’âge, ni d’époque, qui trouvera écho auprès du public.

En tout cas, les Productions Martin Leclerc, qu’on retrouve derrière cette production, misent sur une grande tournée du Québec pour prouver que Bachelor mérite, en 2024, un troisième tour de piste.