La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Jane par Charlotte: j’ai filmé ma mère

Le cinéma nous propose cette semaine une expérience rare: partager pendant 88 minutes l’intimité d’une fille avec sa mère. Pas n’importe quelle fille, ni n’importe quelle mère: Charlotte Gainsbourg et Jane Birkin.



Voir le documentaire Jane par Charlotte, ce n’est pas observer une vie par le trou d’une serrure, mais plutôt une occasion de se trouver au milieu de confidences entre deux personnes dont la vie est publique depuis toujours, mais qui s’étaient perdues de vue et se retrouvent sous nos yeux.

Il faut se rappeler que Jane Birkin a quitté la maison familiale en 1980 alors que Charlotte, qui n’a que 9 ans, reste auprès de son père.

Charlotte, fille de Serge Gainsbourg et Jane Birkin, parle de ce film comme d’un prétexte pour se rapprocher de sa mère, pour se donner le droit de la regarder au plus près. Elle la filme et la photographie d’ailleurs sous toutes ses coutures.

Charlotte, fille de Serge Gainsbourg et Jane Birkin, parle de ce film comme d’un prétexte pour se rapprocher de sa mère. © Nolita Cinema - Deadly Valentine

Avant d’aller plus loin, permettez-moi d’évoquer le souvenir personnel d’une entrevue avec Jane Birkin en août 2009. Elle était à Montréal pour présenter aux FrancoFolies les chansons de son disque Enfants d’hiver, le premier où elle se permettait de chanter ses propres mots. Comme à son habitude, elle parlait très librement, joyeusement même, de son enfance, de celle de ses enfants, de sa vie. On avait terminé cette rencontre en jasant du meilleur endroit où trouver des jeans sur la rue Sainte-Catherine!

Les premières minutes de Jane par Charlotte ne correspondent pas du tout à l’esprit léger et désinvolte que je garde de ma rencontre avec cette légende. © Nolita Cinema - Deadly Valentine

Si je raconte ça, c’est parce que les premières minutes de Jane par Charlotte ne correspondent pas du tout à l’esprit léger et désinvolte que je garde de ma rencontre avec cette légende. Non, ici on a une Jane tendue qui a devant elle une fille dont elle ne comprend pas trop la démarche, ni les intentions. Le malaise entre les deux femmes qui jouent au jeu de l’entrevue est flagrant.

Pour sa première question, Charlotte se réfère à son cahier de notes. «Pourquoi y a-t-il une aussi grande pudeur entre nous deux?» demande-t-elle. Et la maman, un peu sonnée, de concéder que très tôt elle a été intimidée par cette enfant si secrète et mystérieuse qu’elle ne pouvait traiter comme Kate, sa première fille.

Et nous voilà partis dans une série d’exploration du jardin secret de ces deux femmes. Après les premiers aveux arrachés lors d’une tournée de Jane Birkin au Japon, c’est dans la maison maternelle, à Aber-Benoît dans le Finistère, que la conversation, plus détendue, se poursuit. Une maison remplie de souvenirs à l’image de celle qui l’occupe, incapable de se départir de quoi que ce soit.

Bien qu’il soit assez funky dans la forme, le premier film de Charlotte Gainsbourg comme réalisatrice repose sur un contenu solide. © Nolita Cinema - Deadly Valentine

Le film nous transporte aussi à New York, où la chanteuse est invitée à se produire au Beacon Theater. Cela nous vaut quelques séquences du spectacle Birkin-Gainsbourg: Le symphonique, vu des coulisses, et d’autres confidences, notamment sur leur amour des chiens.

Bien qu’il soit assez funky dans la forme, le premier film de Charlotte Gainsbourg comme réalisatrice repose sur un contenu solide. Comme si elle était en mode rattrapage, elle questionne sa mère sur toutes sortes de sujets: comment voit-elle ses deux autres filles (Kate et Lou) et ses petites-filles? Quel est son rapport aux pères, le sien (David Birkin) et les trois qui lui ont fait des filles (John Barry, Serge Gainsbourg et Jacques Doillon)? Elle l’amène à parler de ses excès, de ses insomnies notoires, de son rapport à l’image, du fait de vieillir (avec le temps, il faut accepter de devenir flou, dira Jane), de la maladie, de la mort, dont celle, tragique, de Kate à 46 ans.

Comme si elle était en mode rattrapage, Charlotte Gainsbourg questionne sa mère sur toutes sortes de sujets. © Nolita Cinema - Deadly Valentine

Les réponses qu’elle obtient sont pour le spectateur matière à réflexion, car à 75 ans, Jane Birkin a su extraire de son existence tapissée de doutes et de culpabilités une sorte de sagesse universelle.

C’est aussi un poème de l’écouter parler avec cette sincérité à fleur de peau et cet accent toujours savoureux.

Le moment le plus surprenant de ce documentaire est certainement la visite du 5 bis rue de Verneuil à Paris, la maison que Serge Gainsbourg a habitée de 1969 à 1991. © Nolita Cinema - Deadly Valentine

Le moment le plus surprenant de ce documentaire est certainement la visite du 5 bis rue de Verneuil à Paris, la maison que Serge Gainsbourg a habitée de 1969 à 1991.

Jane, qui n’était pas retournée dans cette demeure depuis le décès du célèbre auteur-compositeur-interprète, traverse avec sa fille comme guide ce qui a toutes les allures d’un sanctuaire. On y retrouve entre autres les fameux souliers «Zizi» de Repetto que portait l’homme de la maison, son ultime paquet de Gitanes et son briquet, des aliments en conserve de l’époque, les médicaments prescrits, le lustre en cristal au-dessus du bain, une affiche de Brigitte Bardot, même le parfum que Jane avait fait fabriquer pour son Serge.

Mentionnons en passant que la transformation de la Maison Gainsbourg en musée achève. On prévoit l’ouverture de ce lieu de mémoire pour ce printemps.

Pour qui aime Jane Birkin, Jane par Charlotte est un film à ne pas manquer, car il constitue un moment intime de qualité passé avec l’interprète d’Ex-fan des sixties, Baby Alone in Babylone, Les dessous chics et autres Petits riens.

Cela nous fera patienter jusqu’au prochain rendez-vous, en vrai cette fois. Deux ans après sa dernière visite en nos terres, on pourra la voir sur la scène du Théâtre Maisonneuve le 16 juin dans le cadre des FrancoFolies de Montréal.