La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Il pleuvait des oiseaux: pleins feux sur les vieux

Rareté dans le domaine culturel, une œuvre cinématographique mettant en vedette trois vieillards fait l’événement cette semaine.



Le film Il pleuvait des oiseaux de Louise Archambault a sa première mondiale au très jet-set Festival international du film de Toronto. On lui a offert une place de choix dans les premiers jours de l’événement, le 7 septembre. Jeudi 12, il ouvrira le Festival de cinéma de la ville de Québec et sera aussi projeté en première à Brossard, Gatineau, Montréal, Saint-Eustache, Rouyn-Noranda, Sherbrooke et Trois-Rivières, aux gagnants d’un concours organisé par le distributeur MK2 auquel il est d’ailleurs encore temps de participer.

Finalement, il sortira en salle à travers la province le 13. Je vous confirme que tout cet empressement autour du film est bien justifié.

Je vous confirme que tout cet empressement autour du film Il pleuvait des oiseaux est bien justifié.

Il pleuvait des oiseaux est l’adaptation d’un roman de Jocelyne Saucier paru au Québec en 2011, et traduit dans une quinzaine de langues. Si comme moi vous ne l’avez pas lu, permettez que je vous dise à quoi le titre fait référence. J’ai eu la réponse au début du film.

L’image d’une pluie d’oiseaux est donnée par une aînée qui raconte son souvenir d’un terrible feu de forêt auquel elle a survécu. Son souvenir d’oiseaux qui mouraient en plein vol à cause du manque d’air et de l’extrême chaleur lui suggère l’expression «Il pleuvait des oiseaux» qu’elle confie à Rafaëlle, une photographe mandatée pour documenter cette histoire.

Ce témoignage qui a donné son titre au livre et au film n’est pas le fruit de l’imagination de Jocelyne Saucier. L’auteure l’a bel et bien recueilli en 2006 auprès d’une véritable survivante des feux de forêt les plus meurtriers de l’histoire canadienne, survenus dans le nord de l’Ontario en 1916. La romancière, qui a une grande sensibilité aux réalités du Nord, au point d’avoir choisi de vivre en Abitibi-Témiscamingue, a fait de cette tragédie qui a coûté la vie à 223 personnes la trame de fond de son récit.

Il y a donc dans cette allégorie sur la forêt un survivant du grand feu, un certain BoyChuck, que Rafaëlle-la-photographe veut absolument rencontrer pour entendre sa version. Mais ce héros meurtri n’est pas facile à trouver, il se terre au fin fond des bois avec deux autres vieux comme lui qui ont choisi de se mettre au ban de la société. Dans ce lieu sans lois ni règles, sauf celles dictées par la nature, Boychuk, Tom et Charlie ont fait le pacte de se laisser vivre et de se laisser mourir aussi si un jour le corps ou l’esprit ne permet plus cette vie d’ermite.

Rémy Girard tient dans ce film un des plus beaux rôles de sa carrière, celui d’un homme brisé par l’alcool qui trouve réconfort dans le fait de chanter.

Lorsque Rafaëlle découvre leur repaire, le fameux BoyChuck n’y est déjà plus. Il a exercé son droit de se soustraire à la vie, laissant derrière lui de nombreux tableaux que lui ont inspirés les feux de forêt sur lesquels Tom et Charlie veillent sans ne les avoir jamais vus. Grâce à une jolie entourloupette du scénario, les deux compagnons d’infortune du disparu seront rejoints par Marie-Desneige, une vieille comme eux, en fuite de sa résidence pour personnes âgées et de son passé d’internée.

Marie-Desneige, interprétée par Andrée Lachapelle, est une vieille en fuite de sa résidence pour personnes âgées et de son passé d’internée. 

Dans le confort plus que rudimentaire de leurs vieux camps de pêche, au milieu d’un décor d’une beauté surnaturelle, chaque membre de ce trio improbable sera conduit à faire face à ses démons pour pouvoir accéder à une autre étape de sa vie ou la transcender. Il pleuvait des oiseaux, film touffu, sans jugement ni a priori, nous suggère que, même vieux, il y a possibilité de s’affranchir d’une existence qui nous pèse.

La réalisatrice Louise Archambault ne pouvait trouver meilleure distribution pour porter l’esprit de son film. Rémy Girard tient là un des plus beaux rôles de sa carrière, celui d’un homme brisé par l’alcool qui trouve réconfort dans le fait de chanter, ce que fait l’acteur en s’accompagnant à la guitare de manière extrêmement émouvante. À ses côtés, Gilbert Sicotte doit défendre un personnage plus contenu, à l’image de ces hommes qui retiennent en eux une parole qui voudrait pourtant sortir. Cet acteur est un maître pour faire parler le non-dit. Et il y a Andrée Lachapelle, la grande Andrée Lachapelle qui, à 87 ans, met au service du film toute l’expérience d’une vie pour être cette petite vieille abimée par les institutions psychiatriques, mais capable d’assez de résilience pour accueillir l’amour quand il se présente enfin dans la cabane de Charlie.

Gilbert Sicotte est un maître pour faire parler le non-dit.

Dans une excellente entrevue à mon collègue de la Presse + Marc-André Lussier, Andrée Lachapelle a déclaré que l’heure de la retraite était venue et qu’il s’agissait de son dernier film. C’est ce qui s’appelle finir en beauté.

Il faut aussi noter l’excellente contribution des comédiens Ève Landry et Éric Robidoux, ceux par qui l’action arrive dans ce film qui prend son temps pour nouer les différents fils du scénario.

À noter: l’excellente contribution des comédiens Ève Landry et Éric Robidoux.

Louise Archambault, qui nous a donné le très beau Gabrielle en 2013, histoire d’amour entre deux handicapés intellectuels, est vraiment douée pour raconter une histoire à l’écran et nous intéresser à des êtres que le cinéma a l’habitude de snober. Son scénario est étoffé, les dialogues sont justes et sa direction d’acteurs, remarquable. Elle sait jusqu’où aller pour obtenir le meilleur de ses comédiens, parfois jusqu’à ce qu’on s’imagine être la frontière de l’impudeur.

Chaque membre du trio sera conduit à faire face à ses démons pour pouvoir accéder à une autre étape de sa vie ou la transcender.

Il y a fort à parier que Il pleuvait des oiseaux aura, comme Gabrielle, une belle carrière internationale. Même s’ils ne connaissent pas le nom des acteurs ni leur réputation, et ne comprennent pas le français, les publics étrangers qui verront Rémy Girard, Gilbert Sicotte et Andrée Lachapelle sauront déceler que ce sont là de grands acteurs. La vérité de leur jeu crève l’écran.

Ne vous privez pas du plaisir de voir ce film, ce n’est pas tous les jours que les vieux font l’événement au cinéma.