La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Deux films sur l’engagement au cinéma pour Noël

Pour cette dernière chronique de 2023, Claude Deschênes vous parle de deux films qui prennent l'affiche juste avant Noël: L’abbé Pierre. Une vie de combats et Et la fête continue!



Si le temps des Fêtes, grande période d’abondance, est aussi l’occasion pour vous de penser aux oubliés, aux démunis, aux laissés-pour-compte, j’attire votre attention sur le film L’abbé Pierre. Une vie de combats, qui prend l’affiche en ce début de week-end de Noël. Vous y trouverez un allié pour nourrir votre réflexion. Même si l’abbé Pierre est mort depuis 17 ans, ses mots portent toujours. Plus que le film, d’ailleurs.

Même si l’abbé Pierre est mort depuis 17 ans, ses mots portent toujours. Plus que le film, d’ailleurs.

Ce long-métrage de Frédéric Tellier emprunte à la fiction pour raconter l’histoire d’un des plus grands défenseurs des éclopés de la vie, celui qui avait l’habitude de dire: «Le contraire de la misère, ce n’est pas la richesse. Le contraire de la misère, c’est le partage.»

Avec un seul et même acteur, Benjamin Lavernhe de la Comédie-Française, le film couvre toutes les étapes d’une existence consacrée à Dieu, mais surtout aux plus faibles de notre société.

L’acteur principal est excellent et les maquilleurs responsables de son vieillissement méritent un prix.

L’acteur principal est excellent et les maquilleurs responsables de son vieillissement méritent un prix. Photo: Jérôme Prébois

La vie de Marie Joseph Henri Grouès commence dans l’aisance et l’adoration de Dieu. À 19 ans, il choisit la vocation religieuse et les capucins. Mais curieusement, les capucins le rejettent à cause de sa santé fragile. Cela ne l’empêchera pourtant pas de servir dans l’armée, et même à s’engager dans la Résistance. C’est durant cette période qu’il adopte le nom d’abbé Pierre qui, à l’Assemblée nationale française où il se fait élire en 1946, devient synonyme d’indignation face à la pauvreté.

Homme d’action, il ne se contente pas de palabrer. Il fonde Emmaüs en 1949, un mouvement qui offre du secours aux pauvres. Un toit, des vêtements, de la compassion, éventuellement du travail.

L'abbé Pierre fonde Emmaüs en 1949, un mouvement qui offre du secours aux pauvres. Photo: Jérôme Prébois

Mais en France, les besoins deviennent si grands à l’hiver 1954 qu’il s’empare des ondes de la station de Radio Luxembourg. «Mes amis, au secours», lance-t-il. Les médias français ont qualifié cet appel à l’aide d’insurrection de la bonté. La réponse de la population à la vibrante supplication de l’abbé Pierre est immédiate et d’une débordante générosité. L’homme, qui a le sens de la formule, devient une icône. Partout en France, et à travers le monde, on veut entendre sa voix.

En faisant des recherches sur le personnage, j’ai découvert qu’il est venu souvent au Québec. René Lévesque l’interview à la télévision en 1955. L’oratoire Saint-Joseph le reçoit dans la foulée. Il inspire alors des Québécois à fonder des comptoirs Emmaüs.

 

Cette phrase de l’abbé Pierre trouvée sur le site du Comptoir Emmaüs: «Emmaüs est né pour répondre à une nécessité, à une urgence. Ce n’est ni une œuvre, ni un mouvement confessionnel, ni un mouvement politique. C’est une école de conscience et d’action civique.»

À l’évidence, il y a toujours des besoins, partout. Le mouvement Emmaüs compte aujourd’hui 425 groupes dans 40 pays à travers le monde. Chez nous, celui de Québec, rue Saint-Vallier, existe depuis 1959. Le Vieux-Hull a toujours le sien aussi sur la rue Eddy.

Le mouvement Emmaüs compte aujourd’hui 425 groupes dans 40 pays à travers le monde. Chez nous, celui de Québec, rue Saint-Vallier, existe depuis 1959. Photo: Jérôme Prébois

Mais, je m’égare du film, parce que finalement son sujet est plus intéressant que la manière dont on a choisi de le traiter. L’énumération de faits d’armes et de déceptions (parce qu’il en a eu) de l’abbé Pierre devient répétitive et lassante à la longue.

Malgré les moyens importants mis sur la production, l’honorable performance des acteurs et la force du sujet en cette époque où nous vivons une crise aiguë d’itinérance, L’abbé Pierre. Une vie de combats demeure malheureusement recto tono du début à la fin. On retrouve souvent ce défaut dans ce qu’on appelle, en mauvais français, les biopics, ce genre de film qui veut absolument tout dire du personnage dont il nous raconte l’histoire. Dommage, car, je le répète, l’appel de l’abbé Pierre mérite encore d’être entendu, y compris au cinéma, surtout maintenant.

Et la fête continue!

Restons sur le terrain de l’engagement avec le plus récent film de Robert Guédiguian (Marius et Jeannette, Les neiges du Kilimandjaro, Twist à Bamako) qui prend également l’affiche pour Noël.

Et la fête continue! nous amène encore une fois dans la ville de naissance du réalisateur, la lumineuse Marseille. Si vous êtes un habitué de son univers, vous retrouverez sa famille habituelle: les comédiens Ariane Ascaride, Jean-Pierre Daroussin et Gérard Meylan, sans oublier Serge Valletti à l’écriture. Il y a aussi de nouvelles têtes (pour moi, en tout cas): Lola Naymark, Robinson Stévenin, et Grégoire Leprince-Ringuet.

Sans surprise, tout ce beau monde est appelé à endosser des rôles de militants. À 70 ans, Guédiguian ne désarme pas, il a toujours le cœur à gauche, même s’il a perdu beaucoup de ses illusions. Dans ce film aux allures de bilan, il convoque à la barre Rosa (Ascaride), qui doit son nom à Rosa Luxembourg. Infirmière fatiguée sur le bord de la retraite, cette ancienne communiste milite maintenant avec les écologistes.

Il y a aussi Alice (Naymark), très impliquée dans le communautaire. Elle a fondé une chorale pour donner une voix aux gens qui fréquentent son centre, qui a tous les attributs d’un comptoir Emmaüs, mais nettement orienté vers la gauche. La chanson qu’ils pratiquent? Emmenez-moi de Charles Aznavour. Tiens, tiens, un Arménien! Comme son amoureux, Sarkis (Stévenin), le fils d’Alice, proprio d’un bar qui sert de repaire aux Arméniens de Marseille.

Photo: (c) AGAT FILMS, BIBI FILM, France 3 CINEMA

Et voilà que débarque Henri (Daroussin), une sorte de sage qui sait manier les mots. En tentant de renouer avec sa fille Alice, il tombe en amour avec Rosa. Il encourage cette dernière à se présenter à la mairie, à la tête d’une liste de toutes les forces de gauche.

Comment Guédiguian manifeste-t-il sa désillusion dans le chassé-croisé de toutes ces histoires du quotidien? Par des exemples qui font autant écho à l’actualité marseillaise qu’à notre réalité québécoise.

Guédiguian s’est en effet inspiré de l’écologiste Michèle Rubirola, qui s’est présentée à la tête d’une liste écologiste en 2020. Cette femme médecin de 64 ans a remporté la mairie de Marseille en juillet. Cinq mois plus tard, elle démissionnait de son poste.

Photo: (c) AGAT FILMS, BIBI FILM, France 3 CINEMA

Dans son film, le réalisateur nous montre, par exemple, des militants qui font primer le parti auquel ils adhèrent au détriment des causes à défendre. Ce qui fait dire à Alice que cette division de la gauche laisse immanquablement la voie libre à ceux qui n’ont pas à cœur les intérêts des démunis.

Dans un mode plus comique, on rigole en entendant deux piliers du bar de Sarkis, deux Arméniens dont l’accent du Midi est à couper au couteau, s’inquiéter des promesses écologiques d’Alice, qui souhaite faire plus de place au transport actif. «Si elle est élue, dit l’un d’eux, je vais devoir marcher pour aller voir ma fille en haute ville, et je n’ai pas les genoux pour ça. Et son autobus électrique, il passe seulement aux heures!»

Bonne ‘’maire’’, comme on dit dans le Midi, on croirait entendre les adversaires de Valérie Plante lorsqu’elle parle d’interdire la circulation automobile sur la voie Camillien-Houde du mont Royal.

Guédiguian n’hésite pas à utiliser différents procédés pour faire avancer son récit. On traverse notamment des moments plus oniriques, comme lorsqu’Alice va à la piscine pour remettre de l’ordre dans ses idées, ou qu’elle rêve à son père qui vient lui rappeler l’idéal communiste de partage et de générosité envers autrui.

La scène la plus émouvante du film est certainement celle où tous les habitants du quartier de Noailles sont réunis pour l’inauguration de la place du 5-Novembre, lieu créé pour commémorer la mort de huit personnes lors de l’effondrement d’un immeuble à appartements vétuste de la rue d’Aubagne.

L’événement, qui s’est réellement produit le 5 novembre 2018, a contribué à la mobilisation des forces de gauche pour s’attaquer au fléau des appartements indigents de Marseille.

C’est aussi cette tragédie mortelle qui a inspiré Robert Guédiguian à faire ce film, dans l’espoir qu’il incite les spectateurs à croire (de nouveau?) aux vertus de la solidarité. Engagement réussi.