La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Le mont Royal comme vous ne l’avez jamais parcouru

Cette semaine, je vous propose une promenade sur le mont Royal. Le parcours ne se comptera pas en nombre de pas, ni en quantité de marches à monter, mais en années! En fait, je vous emmène au Musée des Hospitalières, avenue des Pins à Montréal, pour un survol de 5000 ans d’histoire de cette montagne emblématique de la ville de Montréal. L’exposition s’intitule Notre montagne. Mémoires du mont Royal. Elle a commencé cette semaine et sera présentée jusqu’au 31 août 2024.



Lors de ma conférence au Rendez-vous Avenues.ca organisé en collaboration avec la FADOQ-Île de Montréal le 8 novembre dernier, j’ai consacré beaucoup de temps à parler et à montrer des photos du mont Royal, un lieu capital de la métropole, extrêmement important en ce qui me concerne. Les marches régulières que je fais en toutes saisons dans ses sentiers sont pour moi source de bien-être physique, mental, et je dirais même spirituel.

Les marches régulières que je fais en toutes saisons dans les sentiers du mont Royal sont pour moi source de bien-être physique, mental, et je dirais même spirituel. Photo: Claude Deschênes

Je n’ai donc pas été surpris, au début de l’exposition, de voir à quel point les Autochtones ont fait de cette montagne nourricière un lieu sacré, tellement qu’ils y enterraient leurs défunts. Je comprends ça, j’aimerais bien y être inhumé aussi. Cette colline dans la plaine, qui servait à plusieurs rituels chez les Autochtones, ne leur donnait pas seulement du gibier et toutes sortes de plantes à manger, on apprend qu’elle offrait aussi la matière première pour fabriquer les outils et les armes nécessaires à leur vie quotidienne.

Les pointes de flèches, par exemple, étaient constituées de pierres prélevées sur la montagne, pierres que les géologues désignent sous le nom de «cornéenne du mont Royal».

Cette colline dans la plaine, qui servait à plusieurs rituels chez les Autochtones, leur offrait aussi la matière première pour fabriquer les outils et les armes nécessaires à leur vie quotidienne. Photo: Claude Deschênes

Lorsque les envoyés du roi de France découvrent ce lieu géographique au fort potentiel en 1535, ils s’empressent de lui donner un nom sans équivoque. Ce mont sera Royal.

Les Sulpiciens, qui obtiennent plus tard les droits de seigneurie de ce vaste territoire, seront très actifs à transformer la montagne. Ils construisent un fort, des chemins (Saint-Antoine, Saint-Luc, de la Côte-des-Neiges, de la Côte-Sainte-Catherine), subdivisent leur propriété en lots pour l’exploitation agricole. On déboisera de grands pans de la montagne pour permettre l’agriculture, le pâturage, l’exploitation de vergers.

On déboisera de grands pans de la montagne pour permettre l’agriculture, le pâturage, l’exploitation de vergers. Photo: Claude Deschênes

À l’endroit même où l’exposition est présentée, les Hospitalières de Saint-Joseph se voient offrir, en 1730, une grande terre où elles jetteront les premières bases du nouvel Hôtel-Dieu. La ville se rapproche alors de plus en plus des flancs de la montagne.

En 1730, les Hospitalières de Saint-Joseph se voient offrir une grande terre où elles jetteront les premières bases de l'Hôtel-Dieu. Photo: Claude Deschênes

Après la Conquête, nouvelles vocations. Les protestants et les juifs acquièrent près de la moitié de la montagne et y déplacent, pour des questions de salubrité publique, leurs cimetières urbains. Plus à l’ouest, les Anglais fortunés (McGill, McTavish, Frobisher, Monk) s’installent dans des villas luxueuses avec vue sur le fleuve, loin de la pollution du port et du canal de Lachine.

Plus à l’ouest de la montagne, les Anglais fortunés s’installent dans des villas luxueuses avec vue sur le fleuve. Photo: Claude Deschênes

Jusque-là, l’exposition, généreuse en explications écrites à défaut de documentation visuelle abondante, témoigne des grandes mutations que la montagne a connues.

On a voulu que les Montréalais réalisent à quel point cette montagne à trois sommets a changé de visage au fil des ans, dit le conservateur de l’exposition, Jean-François Leclerc.

«La montagne, c’est comme une œuvre d’art et d’histoire. C’est une création humaine. Elle a été bouleversée, appropriée, cultivée, coupée, remblayée. Son paysage n’a jamais cessé d’être transformé. Même le concept de Frederick Law Olmsted, celui qu’on considère comme le père du parc du Mont-Royal, ne s’est pas entièrement matérialisé tant les autorités ont fait des interventions majeures que ce dernier aurait réprouvées.»

Frederick Law Olmsted, celui qu’on considère comme le père du parc du Mont-Royal. Photo: Claude Deschênes

C’est en effet bien surprenant de découvrir qu’Olmsted, dont on célèbre le bicentenaire cette année, a été très critique de son expérience montréalaise. Celui qui a dessiné Central Park à New York rêvait d’un autre destin pour le mont Royal.

Très inspiré par les hauts sommets européens, il souhaitait que le marcheur ait l’impression de changer d’environnement au fil de son ascension. Pour y arriver, il suggère notamment de créer une fougeraie à la base de la montagne, suivie d’une forêt de feuillus à mi-chemin, et d’une plantation de conifères au sommet. Il propose aussi d’accentuer les escarpements, d’éliminer le plus possible les parterres et tout ce qui est monuments et attractions, son but étant d’offrir au promeneur une expérience spirituelle et contemplative.

Plusieurs des suggestions d’Olmsted ne seront jamais réalisées. Photo: Claude Deschênes

Son concept est plutôt contradictoire, tranche Jean-François Leclerc. «Il a une vision romantique de la montagne, mais en même temps, il souhaite qu’elle soit démocratique. Un espace préservé, mais accessible au plus grand nombre, pas seulement aux gens fortunés.»

Plusieurs des suggestions d’Olmsted ne seront jamais réalisées. Dans le cas du lac aux Castors, il aura fallu 60 ans avant qu’il voie le jour.

Dans une publication qu’il fait paraître en 1881 et faisant partie des artéfacts exposés, l’architecte en paysage qualifie le parc aménagé par la Ville de Montréal de «gros cafouillages et de belles vues panoramiques».

Selon le conservateur de l’exposition, Frederick Law Olmsted a légué les grandes lignes de ce qu’il fallait faire pour préserver le parc du Mont-Royal, mais c’est beaucoup aux anglophones de Montréal qu’on doit d’avoir protégé la montagne des nombreux assauts commerciaux initiés principalement par la bourgeoisie francophone. Les politiciens et hommes d’affaires francophones ont souvent voulu faire de cette destination un lieu touristique et de divertissement, qu’on pense à la construction du funiculaire, en 1895. Ils ont par contre échoué dans leur volonté d’aménager une grotte, d’ériger une statue géante de la Vierge ou de construire une tour Eiffel sur son sommet.

Une grotte, une statue géante de la Vierge... beaucoup de projets ont été imaginés pour le mont Royal au fil du temps. Photo: Claude Deschênes

La préservation du parc du Mont-Royal comme recommandée par Olmsted n’a pas empêché le grignotement de ses versants par différents projets de transport (le tramway en 1930, la voie Camillien-Houde en 1958) ou immobiliers d’importance comme la construction d’hôpitaux (Royal Victoria en 1893, Général en 1819, Shriners en 1925) et d’institutions scolaires (Université de Montréal, collèges Brébeuf et Notre-Dame).

Pour Jean-François Leclerc, cette exposition est donc beaucoup l’expression de l’histoire de Montréal avec ses sempiternelles divergences en matière de développement urbain. Des divergences qui ont longtemps opposé francophones et anglophones, pour se transposer ensuite en différends entre gens plutôt de gauche versus les partisans du développement.

Quel avenir pour la montagne? Photo: Claude Deschênes

L’exposition se termine avec les questionnements du jour. Quel avenir pour la montagne? Est-elle sauvée pour toujours avec pour gardiens Les amis de la montagne et le nouveau plan de conservation élaboré par l’administration de la Ville de Montréal?

Le fervent défenseur de la montagne que je suis a été finalement ébranlé par les perspectives soulevées par celui qui a monté cette exposition, Jean-François Leclerc: «Le mont Royal a souvent été menacé. Il a toujours eu ses défenseurs. Mais il faut se demander qui le fréquente aujourd’hui. Les touristes, les riverains, les gens en forme d’un certain âge sont certes fidèles au rendez-vous, mais il n’y a pas tant de jeunes selon les statistiques. Comment rendre ce lieu attractif dans un contexte où la ville est plus verte qu’autrefois, où le nombre de parcs de toutes sortes explose? Qu’est-ce que le mont Royal offre tant de plus que les autres n’offrent pas? Est-ce que la population en général est si consciente que ça, de la montagne? La montagne a beau faire partie de notre imaginaire, si on n’y va pas, si on ne la voit pas parce qu’elle est de plus en plus cachée par les gratte-ciel, est-ce qu’on aura toujours envie de la défendre? Quel argument aura-t-on devant une nouvelle génération qui pourrait dire que la densité passe par plus d’habitations sur la montagne?»

Vue sur le centre-ville depuis la montagne. Photo: Claude Deschênes

Bref, 5000 ans plus tard, le mont Royal n’a pas fini d’être soumis à toutes sortes de pressions. L’exposition Notre montagne. Mémoires du mont Royal offre une excellente occasion de faire le point.

Avis à tous ceux qui comptent aller la visiter: l’accès au Musée des Hospitalières est rendu difficile en raison de travaux majeurs sur l’avenue des Pins. La portion de cette artère entre Saint-Laurent et l’avenue du Parc est complètement fermée aux véhicules automobiles. Le piéton courageux réussira par contre à se frayer un chemin à travers les cônes orange et les clôtures grillagées.