La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Et si on se faisait un festival de documentaires à la maison?

La pandémie nous séquestre à la maison. Elle monopolise nos réflexions, au point d’occulter toutes les autres grandes questions qui mériteraient notre attention. Heureusement, voilà que nous arrive la troisième édition de Ciné Vert, un festival de films documentaires sur l’environnement, qui nous empêche de confiner niaiseux. Jusqu’au 24 avril, cet événement en ligne propose gratuitement neuf documentaires qui peuvent parfois brasser la cage.


Fast Fashion – Les dessous de la mode à bas prix

C’est le cas de Fast Fashion Les dessous de la mode à bas prix, que j’ai vu. Ça fesse!

Vous êtes-vous déjà demandé comment certains détaillants de vêtements arrivent à vendre leur marchandise à prix aussi réduits? Même à vous les livrer à la maison sans frais? C’est à ces questions que répond le percutant documentaire Fast Fashion Les dessous de la mode à bas prix des réalisateurs français Gilles Bovon et Édouard Perrin.

La fast fashion est un modèle qui a été développé dans l’industrie du vêtement pour augmenter la consommation de prêt-à-porter. Finie l’idée des saisons printemps-été/automne-hiver, avec la fast fashion, on renouvelle désormais l’offre en magasin pour mettre constamment en appétit le consommateur, qu’on attire avec des prix maintenus très bas. Les fabricants qui ont opté pour ce modèle sont bien connus: H&M, Forever 21, Uniqlo, Gap, Zara, etc.

En s’intéressant particulièrement à la chaîne espagnole Zara, qui a été un précurseur dans le domaine, le documentaire enclenche une démonstration qui donne froid dans le dos. Comme si on tirait un fil…

Zara, nous explique-t-on, sort 65 000 produits différents par année (l’équivalent de 200 par jour!), mais mise sur la rareté de chacun pour créer la demande. La chaîne maintient ses prix extrêmement bas, encouragée par des psychologues qui confirment que les consommateurs ont moins de scrupules à acheter quand ce n’est pas cher. Pour renouveler constamment l’offre, on met de la pression sur les fournisseurs pour que la marchandise sorte des usines le plus rapidement possible. Le fabricant fait aussi de la copie, mais son armée d’avocats s’assure que ce soit en toute impunité. Zara ne dépense pas d’argent en publicité, la chaîne s’appuie plutôt sur les médias sociaux et les influenceurs, beaucoup plus efficaces pour agir sur le comportement des consommateurs d’aujourd’hui. Le nombre de ses magasins à travers le monde est limité, on pousse plutôt la vente en ligne et la livraison à domicile. Résultat, les ventes sont excellentes, et Inditex, la société derrière le nom de Zara, est devenue numéro un mondial de la confection textile, pesant présentement près de 35 milliards de dollars.

Évidemment, avec un tel succès, Zara a des émules. Depuis 2010, de nouvelles marques ont fait leur apparition, et elles veulent dépasser le modèle. Ainsi sont apparues les Boohoo, PrettyLittleThing et Missguided qui mettent en marché des robes à 20$, expédiées gratuitement chez les clients. Et le film de nous montrer cette nouvelle filière encore plus extrême: de la production des textiles en Inde qui se fait au détriment de la santé des travailleurs, à l’exploitation de ceux qui font la livraison à domicile, en passant par les usines de fabrication de ces vêtements qui embauchent des immigrants sans protection à la moitié du salaire minimum… en Angleterre!

Tout ça pour des vêtements qui seront peu portés parce que vite passés de mode, et vite usés parce qu’ils sont faits de matériaux de mauvaise qualité, ou pire, inflammables. On nous dit que seulement 1% des vêtements issus de la fast fashion peuvent être revalorisés, ce qui équivaut à quatre millions de tonnes de tissu qui finissent à la poubelle annuellement. Des matières qui mettent des années à se décomposer.

Et rien pour se réjouir, le film se termine avec des chiffres apocalyptiques pour l’environnement. L’industrie du vêtement représente présentement 3 000 milliards de dollars, et on prévoit une augmentation de sa croissance de 60% d’ici 2030. Si tel est le cas, on peut s’attendre d’ici dix ans à une augmentation équivalente de la pollution due à la mode éphémère.

Le documentaire Fast Fashion – Les dessous de la mode à bas prix peut être visionné gratuitement sur la plateforme de documentaires Tënk du 17 au 20 avril, au moment de votre choix. Le 19 avril, un panel de discussion avec les réalisateurs se tiendra en direct sur la page Facebook de Ciné Vert à compter de 19h30.

Le dernier tuyau

De la programmation de Ciné Vert, j’ai aussi vu Le dernier tuyau d’Olivier D. Asselin. Le tuyau du titre, c’est celui du pipeline qu’on veut amener au Saguenay pour l’exploitation d’une usine de liquéfaction de gaz naturel. Si vous ne savez trop quoi penser du projet GNL, ce documentaire de 45 minutes répondra à plusieurs de vos questions, comme il l’a fait pour moi.

En fait, on suit des étudiants du Cégep de Saint-Laurent, à Montréal, dans un périple qu’ils font au Saguenay pour comprendre l’impact que pourrait avoir un tel développement. Armés de caméras et de micros aux fins d’un film qu’ils ont à réaliser à l’école, et animés d’une curiosité exacerbée par leur écoanxiété, ces jeunes vont à la rencontre de ceux pour qui l’arrivée de méthaniers géants sur les eaux du Saguenay pourrait transformer la vie.

Est-ce que les emplois payants promis sont ce dont la région a besoin? À l’heure où il faut poser des gestes concrets pour réduire les gaz à effet de serre, est-ce que GNL est le bon choix à faire? À qui profitera réellement un tel projet? Quels seront les impacts sur les bélugas qui fréquentent le parc marin du Saguenay? Et sur l’industrie touristique? Les réponses aux questions sont intéressantes. Il manque le point de vue des promoteurs du projet qui, selon ce qu’on comprend, n’ont jamais répondu aux appels. Ça non plus, ce n’est pas pour nous rassurer.

Je m’appelle humain

Digne de mention: le festival Ciné Vert présentera également le documentaire Je m’appelle humain de Kim O’Bomsawin, mettant en vedette la femme de lettres innue Joséphine Bacon. Le film sera disponible à compter de 19h le vendredi 23 avril, pour une période limitée de 29 heures.

Mon oncle Patof

C’est rare que je suggère de regarder la télévision conventionnelle, mais je vais faire une exception cette semaine. Le samedi 17 avril à 22h30, et ensuite en tout temps sur ICI Tou.tv, ça vaut la peine de prendre une heure pour regarder le surprenant documentaire Mon oncle Patof. Ce film de Sandrine Béchade nous arrive 25 ans après la mort de Jacques Desrosiers, celui qui, de 1972 à 1976, a fait du clown Patof un des personnages marquants de la télévision québécoise.

Même si le film est relativement pauvre en archives (Télé-Métropole n’était pas très portée sur la conservation), les images qui restent de cette époque nous permettent quand même de saisir l’ampleur du phénomène. Patof faisait d’excellentes cotes d’écoute. Il attirait des foules partout où il passait. Il est devenu une marque – et les produits dérivés se sont multipliés –, allant même jusqu’à mettre en marché des saucisses à hot-dog à son nom!

Patof Jacques-Desrosiers et Patof Serge Desrosiers. Photo: Vital Productions

Jacques Desrosiers, artiste qui a fait ses débuts à la dure dans les cabarets avec Dominique Michel (qui témoigne dans le film), est devenu millionnaire grâce à son personnage, au point de pouvoir rouler en Rolls-Royce pour aller travailler et s’acheter une somptueuse maison à la campagne. Un jour, il a publié un livre pour se justifier de ne pas avoir exploité les enfants.

À l’époque glorieuse de Patof, j’étais un petit peu trop vieux pour suivre les facéties du clown-vedette du canal 10. Par contre, j’ai beaucoup apprécié ses chaussures. Les souliers Patof, il en a fait une mode. Les miens n’étaient pas aussi énormes, mais l’espace que les bouts arrondis laissaient à mes gros orteils a été très apprécié par l’ado souffrant d’ongles incarnés que j’étais.

Un peu plus jeunes que moi, Sylvain Cormier, journaliste au Devoir, et Monique Giroux, animatrice à ICI Musique, semblent avoir été plus perméables à l’influence de Patof si on en juge leurs témoignages dans le film. Il faut dire que Monique Giroux a même été mairesse de Patofville!

C’est le neveu de Jacques Desrosiers qui mène les entrevues. Serge Desrosiers va à la rencontre de plusieurs intervenants, y compris des proches du disparu: ses frères, sa sœur, son ami Pierre avec qui il a vécu pendant une vingtaine d’années. Il récolte de bonnes anecdotes qui contribuent à éclairer l’homme qui se cachait sous l’abondant maquillage de clown. Sur l’homosexualité de son oncle, Serge Desrosiers récolte plus de malaises que de réponses.

Pour raviver le souvenir de la légende que Patof a été, le neveu se permet même de revêtir son costume original. Il a beau gambader dans la ville avec le sourire, cela ne réussit pas à évacuer la tristesse qui se dégage de cette histoire. Derrière son nez rouge, Jacques Desrosiers était un clown triste. Le succès fulgurant qu’il a connu s’est arrêté net, et les années qui ont suivi ont été difficiles. Stigmatisé en raison de son personnage, il n’est jamais parvenu ensuite à faire la vraie carrière de comédien à laquelle il aspirait. Il est mort en 1996 d’un cancer fulgurant (os et poumon). Il avait 57 ans.

Oh, Patof! Oh, Patof! Oh, Patof Blue…