La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Entrer dans la danse

Bonjour, mon nom est Claude Deschênes. Si ça vous dit, on va faire un bout de chemin ensemble sur avenues.ca. J’aurai le privilège, au cours des prochaines semaines, de tenir au chaud la place de Claudia Larochelle, partie faire la plus belle chose qui soit: mettre un enfant au monde. Comme mon bébé à moi a maintenant 23 ans, j’ai du temps pour prendre le relais. Du temps, mais aussi une envie très forte de refaire du journalisme sur une base régulière.

Pour ceux qui ne me connaissent pas, je pratique ce métier depuis 40 ans cette année, avec une préférence toujours marquée pour l’information culturelle. Mais vous allez voir, Claude n’est pas Claudia! Je serai certainement moins littérature qu’elle, qui en mange. Par contre, je ne peux vous dire d’avance où mes découvertes et mes coups de cœur nous mèneront.

Du flamenco avec Yo, Carmen



© David Ruano
© David Ruano

Cette semaine, c’est de danse dont j’ai envie de vous parler, car j’ai commencé mon mois d’octobre à Danse Danse, un organisme qui amène depuis 19 ans les plus grandes compagnies de danse contemporaine à Montréal.J’ai vu le premier spectacle de la saison 2016-2017, Yo, Carmen, mettant en vedette Maria Pagès dans une relecture plutôt féministe du mythe de Carmen, le flamboyant personnage de l’opéra de Bizet. À 53 ans, la danseuse espagnole brûle toujours du feu de la danse flamenco. Du talon qui martèle le sol aux phalanges qui papillonnent au-dessus de la tête, cette femme est habitée par le flamenco.

Vincent Warren, un homme de danse

Pour plusieurs, la danse apparaît comme un mystère. Cette façon qu’ont les danseurs de s’abandonner à leur art est souvent difficile à saisir, voire en contradiction avec le terre à terre de nos vies. C’est pourquoi le film Un homme de danse, en salle depuis le 30 septembre, m’a autant fasciné.

alt="un-homme-de-danse"

Que l’on soit amateur de danse ou pas, il y a dans le documentaire de Marie Brodeur à la fois un personnage à découvrir, une page d’histoire à se remémorer et une réflexion sur la vie à méditer.

Le personnage, c’est Vincent Warren, jadis premier danseur des Grands Ballets canadiens. Maintenant âgé de 78 ans, il nous parle de cette piqûre pour la danse qu’il a eue à 11 ans, en 1949, après avoir vu le film Le soulier rouge. Dès lors, ce cadet d’une famille de 14 enfants, né à Jacksonville en Floride, commence à collectionner tout ce qui concerne la danse et à faire du ballet, lui dont les frères sont des champions de football.

Archives à l’appui, il raconte son ascension dans le monde de la danse, évoquant ses premières années à New York où il étudie aux côtés de Rudolph Noureev, fait partie de corps de ballet dans des opéras chantés par Maria Callas et Renata Tebaldi ou dirigés par Igor Stravinski. Curieux et disponible aux expériences, il fera aussi une incursion dans le monde de la danse contemporaine.

Le milieu qu’il décrit ressemble malheureusement beaucoup trop à celui d’aujourd’hui. Même rengaine concernant le travail et le sacrifice physique chichement payés.

C’est d’ailleurs pour arriver à joindre les deux bouts que Vincent Warren s’amène à Montréal. Il sera recruté par Ludmilla Chiriaeff, qui vient de créer une compagnie que la télévision engage au moins quatre fois par semaine. Oui, oui, vous avez bien lu, la télévision de Radio-Canada a déjà diffusé des ballets en heure de grande écoute et même souvent. Tellement que Vincent Warren se fera connaître au petit écran avant de devenir une star de la scène.

®Donald Labelle
®Donald Labelle

Pour montrer à quel point c’était le monde à l’envers, le documentaire rappelle les débuts de la Place des Arts, qui n’avait pas vraiment prévu une place pour cette discipline. Il faut entendre le danseur et sa partenaire de l’époque raconter comment le grand plateau de la salle Wilfrid-Pelletier constituait un danger pour les danseurs avec son plancher trop dur et sa surface pas uniforme.

Au moment où le chorégraphe Paul-André Fortier s’inquiète de la disparition des œuvres par manque d’archives, c’est une fête de voir des extraits des nombreux spectacles dans lesquels Vincent Warren a brillé, dont le fameux Tommy sur la musique du groupe The Who. Amusant de voir Joël Le Bigot, jeune animateur à l’époque, parler de ce succès des Grands Ballets canadiens qui demeure, encore aujourd’hui, une des plus grandes réussites de la compagnie montréalaise.

La réalisatrice Marie Brodeur a habilement construit son film autour du déménagement de son personnage. Ce qui nous donne à voir un homme face à sa vie. 47 ans à vivre au même endroit, ça en fait des boîtes et des souvenirs, d’autant plus que Vincent Warren n’a jamais changé d’appartement depuis la mort de son amoureux. Je vous laisse découvrir l’histoire de cette liaison. C’est comme un coffre aux trésors tant cette relation réserve toutes sortes de surprises aussi fabuleuses que dramatiques.

Aujourd’hui, à part quelques vieilles personnes, peu de gens se souviennent du danseur Vincent Warren. Mais son nom demeure bien vivant dans le monde de la danse. N’ayant jamais perdu son goût de collectionner tout ce qui concerne la danse, l’homme a accumulé un nombre astronomique de documents, programmes, photos, cahiers de chorégraphes qu’il a donnés à une bibliothèque qui porte son nom. On vient de partout dans le monde pour consulter ses 26 000 documents précieusement conservés à Montréal.

Le film se termine sur une phrase magnifique de Vincent Warren: «La culture ce n’est pas seulement consommer de l’art. C’est vivre une expérience qui nous transforme.»

J’essaierai de m’en inspirer chaque semaine dans ce rendez-vous avec vous.

Mon coup de cœur : Paradis

Ce que j’aime particulièrement dans mon métier, c’est de faire découvrir des artistes. Ça tombe pile, pour cette première contribution à avenues.ca j’ai un coup de cœur absolu à partager: Paradis.

Avec Paradis, on est dans la French Touch, de l’électro comme savent si bien la mitonner les Français. Ce duo, formé de Pierre Rousseau et Simon Mény (25 et 30 ans), descend en droite ligne d’artistes comme Laurent Voulzy et Étienne Daho (pour la voix suave et juste), Air (pour le rythme) ou Alain Chamfort (pour la poésie sucrée mais jamais mièvre). Ces boucles rythmiques nappées de piano ou ponctuées de riffs de guitare s’écoutent comme du bonbon. Ça ramène l’esprit lounge qu’on avait perdu depuis un certain temps. Il n’y a pas une pièce qui détonne dans le cocon douillet que le duo installe. Et c’est un disque généreux, douze titres dont plusieurs dépassent les six minutes sans nous lasser. Ça c’est le genre d’achat qui, je sais, va me durer longtemps. Comme mes disques de St Germain, un autre as français de l’électro.