La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Cézanne et moi: un biopic en tandem

Cézanne et moi, qui prend l’affiche cette semaine, est un film dont le titre pose une énigme. Qui est ce moi? D’apprendre qu’il s’agit d’Émile Zola, l’ami d’enfance du peintre, crée nécessairement une curiosité.



À moins d’être un spécialiste, on connaît très peu la nature du lien qui unit ces deux figures marquantes de la fin du 19e siècle. Le film de Danièle Thompson a l’ambition de nous en faire la leçon dans une formule qui ressemble à un biopic en tandem. C’est déjà difficile de faire une biographie, en faire deux de front l’oblige à pédaler!

Un mot sur la réalisatrice

Danièle Thompson est une femme de cinéma qui n’est pas née de la dernière pluie. Elle a fait ses premières armes en participant au scénario du film La Grande Vadrouille de son père Gérard Oury. Son nom apparaîtra ensuite aux génériques de films aussi diversifiés que Cousin, Cousine, La Boum, La Reine Margot et Fauteuils d’orchestre. C’est ce qu’on peut appeler des faits d’armes. Son prochain projet n’est rien de moins qu’une version féminine de Rabbi Jacob, Rabbi Jacqueline.

Un film historique

Pour convaincre les banques de s’attaquer à un film d’époque aussi ambitieux, il fallait donc une pointure comme elle. Son Cézanne et moi s’étend sur plusieurs décennies et a demandé qu’on recrée la bohème parisienne de la fin des années 1800, la maison de Zola dans les Yvelines, la splendeur des paysages de la campagne provençale que Cézanne a immortalisée. Il y a tout ça dans le film, en plus des postiches, des fausses barbes et des bourrures, le lot des fresques historiques.

Cependant, Cézanne et moi n’échappe pas au risque qu’il y a à demander à des comédiens de vieillir à l’écran. Dans ce cas-ci, Guillaume Gallienne et Guillaume Canet doivent être à la fois de jeunes hommes impétueux au cœur d’un mouvement qui transforme la peinture et la littérature et des vieillards qui se disputent sur le bilan de leur vie. Et souvent ça craint!

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Un combat de coqs

Au début de leur existence, Cézanne et Zola sont unis à la vie à la mort, mais lorsque Zola commence à écrire, à prendre la défense de Manet dont le tableau Le Déjeuner sur l’herbe fait scandale, son alter ego en prend ombrage. Le peintre remet bien la monnaie de sa pièce à son ami écrivain en lui chipant une femme. Et le fossé de se creuser encore davantage lorsque Zola devient célèbre et bourgeois alors que Cézanne, par refus du conformisme, n’arrive pas obtenir de la reconnaissance pour sa peinture.

Puisant dans la correspondance des deux hommes, les scénaristes mettent au jour ce combat de coqs qui a été peu raconté même si c’est le cœur du sujet du roman L’Œuvre, histoire d’un peintre maudit, que Zola a publié en 1886.

Quand Cézanne et Zola font long feu

Tout ça est bien intéressant sur papier, mais malheureusement la magie n’opère pas à l’écran. Les deux Guillaume, Gallienne et Canet, n’arrivent pas à nous faire ressentir l’ampleur du feu qui habite ces deux monuments. On reste au niveau du ressentiment grognon. Ça manque de lyrisme!

Cézanne et moi ouvre une porte sur une période fascinante de l’histoire de l’art et de la littérature. Didactique, oui, mais on repassera pour l’émotion et le naturalisme.

Coup de cœur pour C’est le cœur qui meurt en dernier

Si vous n’y êtes pas allés encore, ne ratez pas C’est le cœur qui meurt en dernier au cinéma. Tous les ingrédients sont réunis pour faire de ce film québécois une réussite.

D’abord, il s’agit d’une histoire éprouvée, car il s’agit d’une adaptation d’un roman de Robert Lalonde qui a connu un succès populaire et critique. Ensuite, on y retrouve Denise Filiatrault en mère oublieuse. Quel bonheur de la revoir! À l’écran, elle offre une prestation à la hauteur de ce qu’elle exige des autres, très relevée. Il y a aussi une distribution savamment constituée. Quelle bonne idée de demander à Sophie Lorain, fille de Denise Filiatrault, d’incarner le rôle de la mère jeune. Elle est incandescente. Gabriel Sabourin (qui est aussi le très habile scénariste du film) prend les traits du fils. Voilà un acteur qui n’est pas surexposé et qui arrive à nous faire croire à son trouble, celui d’un homme à qui il reste peu de temps pour régler le contentieux qu’il entretient avec celle qui lui a donné la vie, mais l’a gâchée aussi par son silence.

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Il y a la réalisation également qui joue pour beaucoup. Alexis Durand-Brault traite avec doigté les multiples et délicats sujets du roman de Robert Lalonde: les blessures d’enfance, la vieillesse, la fin de vie. Et pour compléter le portrait, la musique. Ce film est porté par une bande sonore extraordinaire composée de musiques originales de Béatrice Martin (Cœur de pirate) et de chansons d’autrefois, les plus belles musiques de vos souvenirs comme dirait Claude Saucier, animateur de C’est si bon à ICI Musique. Ce ne serait pas surprenant que cette production québécoise connaisse une carrière internationale à la Crazy de Jean-Marc Vallée. Ces deux films, trempés dans le Québec d’autrefois qui nous parle tant, distillent quelque chose d’éminemment universel.