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11 avril 2022Auteure : Sarah Jodoin-Houle, CEBS, CRHA

La main-d’œuvre séniore: une richesse dont trop d’entreprises se privent

Vieux jeu, dépassés par la technologie, inefficaces, lents, plates… les préjugés sur les travailleurs séniors sont nombreux. Pourtant, l’âgisme, en plus des enjeux éthiques qu’il pose, prive nos entreprises d’une grande richesse.



Sondages, études et statistiques le démontrent hors de tout doute: en appliquant les principes d’équité, de diversité et d’inclusion, que les experts nomment l’EDI, les entreprises améliorent leur image de marque. Ces principes sont véritablement payants, qui plus est en ces temps de pénurie de main-d’œuvre.

Plus d’innovation, meilleurs produits et services, impact positif sur l’attraction et la rétention des employés… les avantages de l’inclusion sont nombreux, et financièrement mesurables. Or, si les entreprises sont de plus en plus conscientes de l’impact positif de l’inclusion, elles sont encore nombreuses à bouder les travailleurs séniors, oubliant que l’âgisme est contraire aux principes d’inclusion.

Expérience, savoir-faire, mémoire de l’entreprise, continuité dans la culture de l’entreprise; les travailleurs âgés ont beaucoup à offrir. Mais encore faut-il, pour cela, dépasser les idées reçues et s’ouvrir à quelques aménagements. Un marché gagnant-gagnant, car si les entreprises ont plus que jamais besoin de cette main-d’œuvre, les plus de 60 ans sont, en raison de l’inflation et la longévité qui s’allonge, de plus en plus nombreux à souhaiter rester sur le marché du travail.

L’âgisme et ses préjugés persistants

Selon Statistique Canada, en 2021, les travailleurs âgés de 55 à 65 ans passaient 4,4 semaines de plus au chômage que les jeunes. Chez les travailleurs de 65 ans et plus, le nombre grimpe à 6,2.

Pierre Leduc, associé-directeur chez Ascension leadership et recrutement, rapporte qu’il observe des biais importants envers la main-d’œuvre séniore sur le marché de l’emploi. Il n’est pas rare que ses clients précisent un âge maximal lorsqu’ils cherchent à pourvoir un poste stratégique. «L’âgisme, c’est connu, c’est vu, c’est conscient et articulé. Et les gens cherchent des manières de le justifier.»

Chloé Frelon, présidente et fondatrice de URelles, un cabinet-conseil spécialisé en diversité et inclusion, abonde dans le même sens: «L’âgisme et la grossophobie sont les deux discriminations encore acceptées par la société.»

Chloé estime que nous avons encore beaucoup de chemin à faire pour pallier ce problème. Il est aberrant, selon elle, que les organisations ne s’y attardent pas davantage; surtout que, paradoxalement, celles-ci sont le plus souvent dirigées par des individus plus âgés. Également, Pierre Leduc mentionne que les ressources séniores ont tendance à être plus stables en poste, ce qui devrait peser dans la balance des entreprises recherchant cet atout.

Malheureusement, de nombreux biais subsistent à l’égard de ce précieux bassin de talents et plusieurs employeurs rigides refusent d’adapter les conditions de travail pour répondre à leurs besoins et attentes.

L’expérience, un atout sous-estimé

Même Mark Zuckerberg, cofondateur et PDG de Facebook, a su s’entourer de personnes plus âgées et expérimentées que lui. Cela ne l’a toutefois pas empêché de lancer, lors d’une conférence en 2007, que «les jeunes sont tout simplement plus intelligents». Moins d’un an après cette déclaration inepte, il embauchait en effet, et néanmoins, Sheryl Sandberg, de 15 ans son aînée, comme bras droit. Elle est toujours en poste aujourd’hui, à l’âge de 52 ans.

Il s’agit d’un phénomène plus répandu que l’on pourrait croire. Dans les entreprises constituées de «jeunes», il n’est pas rare qu’on se bute au manque d’expertise arrivé à un certain stade de croissance.

Encourager le partage de connaissances

Du côté des entreprises employant déjà des travailleuses et travailleurs plus âgés, on observe que l’on mesure souvent mal la richesse de leurs connaissances. Luc Dancause, associé fondateur de Sapiens Conseils, une firme de gestion et mobilisation des savoirs, en sait quelque chose. Trop souvent, ses clients font appel à ses services pour «sauver les meubles» une fois un départ annoncé. «Malheureusement, les entreprises essaient de récupérer les connaissances au moment où la personne quitte, mais il s’agit en réalité du pire moment. La personne est déjà ailleurs, dans sa tête.»

Dans ces cas-là, Luc fera appel au désir de contribution des individus. «C’est souvent la clé. Je demande à la personne de s’asseoir avec un junior ou de compléter un document de sauvegarde des connaissances. J’essaie de la convaincre de penser en termes de legs. À ce moment-là, les gens s’animent un peu et trouvent l’énergie en eux pour se prêter à l’exercice.»

Selon lui, les entreprises auraient avantage à valoriser l’expertise des individus en cours d’emploi. Il note que, par la mise en place de mécanismes de partage des connaissances en continu et dans un mode de co-développement, on profite des bénéfices qu’amène la mixité intergénérationnelle au travail.

Au-delà des postes vacants

Pour Chloé Frelon, les ressources âgées représentent une couleur essentielle dans l’arc-en-ciel de la diversité. «Elles en ont vu d’autres… Elles ont la capacité à faire des liens avec des situations vécues, ont développé des réflexes, savent comment gérer une multitude de situations. Elles ont moins tendance à être anxieuses.»

Notons également que ces personnes sont souvent rendues à un stade où elles considèrent qu’elles n’ont plus rien à prouver, ayant eu l’occasion de développer et faire valoir leurs capacités durant de nombreuses années. Dans ces cas-là, l’ego cède sa place à la souplesse et à l’humilité, deux atouts majeurs pour assurer une dynamique positive et constructive au sein d’une équipe.

Savoir en profiter

Les entreprises ont tout à gagner à accueillir une main-d’œuvre séniore. Pour attirer ce bassin de talents et profiter des avantages qu’il procure, elles doivent toutefois se montrer sensibles à ses besoins et attentes en matière d’emploi. Il s’agit de faire preuve de créativité en proposant, par exemple, des horaires réduits, plus de vacances et des avantages sociaux adaptés à leurs besoins.

Pour Jimmy Côté, qui accompagne les entreprises dans la mise en place et la gestion d’avantages sociaux, il y a même moyen de pousser plus loin cette créativité en allant jusqu’à adapter le régime d’assurance pour considérer les besoins des individus séniors. Il note également qu’un régime de retraite avec une cotisation généreuse de l’employeur peut faire toute la différence pour les personnes souhaitant rendre plus profitables leurs dernières années à l’emploi.

Enfin, les entreprises auraient avantage à se montrer plus inclusives et à valoriser l’apport de ces talents pour les mobiliser au quotidien. Il serait donc avisé de leur confier des responsabilités mieux adaptées, leur permettant notamment de sentir qu’ils lèguent quelque chose d’important à la prochaine génération.

Sarah Jodoin-Houle, CEBS, CRHA
Fondatrice et Experte-conseil
Communication RH & Rémunération Globale
La Talenterie