En cet interminable mois de janvier, les récits de voyages apportent un baume dont on serait fou de se passer. Publié l’automne dernier, Sillonner les chemins du monde de Gabriel Anctil rassemble quarante reportages publiés dans Le Devoir et le magazine Espaces.
À 16 ans, après deux ans à tondre des pelouses et à déneiger des entrées pour accumuler un pécule suffisant pour concrétiser son rêve, Gabriel Anctil entame son premier voyage sac au dos en Europe. Ce voyage de deux mois confirme son désir de voir du pays. «Dès mon retour à la maison, je n’avais qu’une seule envie: repartir, le plus rapidement possible. Pour me faire patienter jusqu’au prochain périple, je lisais des écrivains-voyageurs qui me parachutaient aux quatre coins du monde: Blaise Cendrars, Jules Verne, Louis Gauthier, Jack London, Nicolas Bouvier, Henry Miller, Hemingway et Kerouac, encore et toujours.»
À 20 ans, il explore l’Asie et l’Australie pendant six mois. Des études en cinéma, quatre années d’exil dans le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie, deux enfants et plusieurs voyages plus tard, le Montréalais transporte dans sa besace quatre romans et une collection d’albums pour enfants. Ses vies parallèles l’ont aussi amené à devenir journaliste voyage et à signer plusieurs articles, dont ceux qui se sont frayé un chemin dans les pages de Sillonner les chemins du monde, divisé en trois parties: Sillonner les chemins de la culture, Sillonner les chemins de l’histoire et de la politique et Sillonner les chemins des nouvelles expériences.
On le suit sans hésiter sur les traces des peintres dans la région de Charlevoix, sur la Côte d’Azur et en Provence, dans le New York des artistes et l’Amérique de Michel Tremblay, à qui il voue une admiration évidente. C’est sans doute Jack Kerouac qui a exercé sur lui la plus grande fascination, depuis sa lecture de Sur la route à l’âge de 14 ans. À Lowell, au Massachusetts, il enquête sur les origines québécoises du romancier culte. C’est dans cette petite ville où des usines de textiles ont attiré de nombreux Québécois au tournant du 20e siècle qu’est né Jean-Louis Kerouac en 1922, dans un milieu francophone.
Dans un autre récit, Anctil retrace le dernier voyage de l’écrivain sur la route de ses ancêtres en Plymouth Furry blanche, accompagné de son ami Joseph Chaput, «héros de la Deuxième Guerre mondiale et ancien champion de boxe». Ce dernier joue autant les chauffeurs – Kerouac n’a jamais possédé de permis de conduire – que les gardes du corps, l’auteur ayant le chic, «lorsqu’il buvait, de foutre le bordel partout où il passait».
Le journaliste propose aussi plusieurs tranches de routes nord-américaines, nous entraînant de la promenade des Glaciers en Alberta à Washington, en passant par le parc des Adirondacks et la Gaspésie.
Bien que je ne partage ni son adoration pour le «pape de la Beat Generation» ni sa passion pour le soccer, et qu’on se retrouve propulsé, au fil des 256 pages, dans un univers peuplé principalement de héros masculins (peu de femmes – Anaïs Nin à Los Angeles, Janis Joplin et Ellen Degeneres à New York, Marie-Claire Blais à Key West… – font partie de la longue liste de célébrités mentionnées dans la première partie du livre), je me suis reconnue dans son désir d’emprunter les chemins foulés par des artistes mythiques. J’ai renoué avec grand bonheur avec des lieux qui m’ont profondément marquée, comme la Maison municipale de Prague, chef-d’œuvre d’Art nouveau, le Toulouse de Saint-Exupéry, l’Alfama de Lisbonne, l’émouvante basilique Sainte-Sophie d’Istanbul et la librairie Eslite de Taipei en pleine nuit, et plongé avec ravissement dans des coins de pays que je n’ai pas encore eu le loisir d’explorer, Seattle et la Tunisie en tête.
Voilà une bien jolie manière de s’offrir des escapades immobiles en cette période un peu morose.
Sillonner les chemins du monde, Gabriel Anctil, Éditions Somme Toute, 2021, 256 pages