La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Voyager en Haïti

Comme plusieurs d’entre vous, il y a 10 ans, je suivais en direct l’évolution de la situation en Haïti après le tremblement de terre. Jamais je n’oublierai les heures d’angoisse suivant l’événement, alors que j’attendais des nouvelles d’amis et de connaissances sur place. Jamais je n’oublierai ce silence à travers tout le bruit des réseaux sociaux. Jamais je n’oublierai la désolation devant cette perle des Antilles encore une fois secouée par l’horreur.



Rapidement, il m’est apparu évident que l’une des meilleures manières d’aider Haïti à se relever était d’encourager le tourisme. Pas de se rendre sur place pour offrir son aide sans invitation les jours suivants – les travailleurs humanitaires en avaient déjà plein les bras et les chambres d’hôtel comme les ressources manquaient –, mais bien d’aller passer des vacances dans les secteurs prêts à accueillir les voyageurs, une fois la situation plus calme.

Les richesses d’Haïti

Trois ans après le séisme, j’ai eu la chance de découvrir Haïti pour la première fois, en compagnie d’un petit groupe de journalistes, à l’invitation de Transat, qui venait d’y lancer des forfaits. Je me souviens encore de mes premières impressions, en vrac, sur la route qui mène à Port-au-Prince. Les bâtiments délabrés. Les enfants qui rentraient de l’école. Les vendeurs itinérants. Étrangement, je n’avais pas l’impression d’être à quelques kilomètres de la République dominicaine: j’étais en Afrique de l’Ouest. Quatre heures et demie de vol et j’avais été propulsée dans cette Afrique de l’Ouest, patchwork qui me déstabilise chaque fois que j’en foule le sol. J’avais beau me rappeler que la forte majorité des habitants sont des descendants d’esclaves africains, mon cerveau peinait à comprendre que je n’avais pas changé de continent. Il m’a fallu quelques heures pour aller au-delà de cette étrange sensation.

Arrivée en Haïti, étrangement, je n’avais pas l’impression d’être à quelques kilomètres de la République dominicaine: j’étais en Afrique de l’Ouest. Photo: Marie-Julie Gagnon

Même si j’avais lu des auteurs haïtiens, j’ai vite réalisé que je savais bien peu de choses au-delà des clichés. Au musée du Panthéon national (MUPANAH), j’ai plongé dans l’histoire du pays, déclaré premier État noir indépendant le 1er janvier 1804. À Milot, près du Cap-Haïtien, j’ai découvert l’incroyable histoire du roi Christophe à la citadelle Laferrière (rien à voir avec notre académicien préféré) et au palais Sans­-Souci. Le nord du pays est d’ailleurs le coin qui m’a laissé la plus forte impression à cause des idées de grandeur de cet ex-esclave qui s’est autoproclamé roi, mais aussi des couleurs de Cap-Haïtien et d’une certaine douceur de vivre qui contrastait avec le chaos de Port-au-Prince. C’est aussi là-bas que j’ai dégusté ma première soupe de giraumon (courge), délicieux potage épicé jadis interdit aux esclaves et dégusté par les Haïtiens pour célébrer l’indépendance du pays.

J'ai découvert l’incroyable histoire du roi Christophe à la citadelle Laferrière. Photo: Marie-Julie Gagnon

Je me souviens de ce gardien qui ne me quittait pas d’une semelle au Marché en fer de Port-au-Prince (ravagé par un incendie en 2018), du groupe RAM, entendu au légendaire hôtel Oloffson, du rhum Barbancourt, fierté des Haïtiens, de l’eau cristalline de l’Anse-aux-Raisins, sur l’île de la Gonâve, de la langouste savourée sur la plage, des sentiers de randonnée de la côte des Arcadins… Je me souviens aussi de tous ces lieux dont on m’a parlé et que j’ai ajoutés à ma liste d’endroits à découvrir absolument. Jacmel. Les Cailles. L’île à vache…

Je me souviens de l’eau cristalline de l’Anse-aux-Raisins, sur l’île de la Gonâve, et de la langouste savourée sur la plage. Photo: Marie-Julie Gagnon

Je ne suis pas seulement tombée amoureuse des images de cartes postales, noyées dans un océan de photos dramatiques: j’ai senti battre très fort le cœur de ce pays aux multiples cicatrices. L’art et les mots de ses écrivains ont continué à résonner en moi des jours, des semaines, des mois durant.

Je ne suis pas seulement tombée amoureuse des images de cartes postales, noyées dans un océan de photos dramatiques: j’ai senti battre très fort le cœur de ce pays aux multiples cicatrices. Photo: Marie-Julie Gagnon

Alors que les forfaits de Transat semblaient remporter un certain succès et que le tourisme redonnait un souffle d’espoir, les événements de 2019 sont venus tout chambouler. Le voyagiste québécois a dû rapatrier des vacanciers et a cessé d’offrir les forfaits en attendant que la situation se stabilise. «Nos opérations aériennes se déroulent normalement et n’ont jamais cessé, me répond Debbie Cabana, directrice Marketing, médias sociaux et relations publiques, quand je lui demande si les vols vers la capitale haïtienne ont été perturbés. Cet hiver, nous offrons un vol par semaine, le mercredi, et nous augmentons à deux vols par semaine à partir du mois de mai, le mercredi et le dimanche.»

Je me souviens des sentiers de randonnée de la côte des Arcadins… Photo: Marie-Julie Gagnon

Les avertissements émis par le gouvernement du Canada ne nous donnent cependant pas envie de sauter dans le prochain avion, même si on les sait souvent alarmistes: «En raison de l’instabilité politique persistante, de violentes manifestations et des soulèvements populaires à grande échelle se produisent à Haïti depuis le 2 septembre 2019. Dans le contexte de cette situation instable, le pays connaît également des pénuries d’eau, de nourriture et de carburant. Les barrages routiers perturbent toujours les transports dans certaines parties du pays. L’accès à l’aéroport peut être bloqué sans préavis. Des affrontements entre les manifestants et les forces de l’ordre ont eu lieu. D’autres manifestations pourraient survenir. Elles pourraient soudainement donner lieu à des actes de violence…»

Et si on visitait le nord?

Deuxième plus grande ville du pays, Cap-Haïtien célèbre son 350e anniversaire en 2020. Le carnaval national aura d’ailleurs lieu dans cette ville en février.

Très impliquée dans le développement de l’industrie touristique au cours de la dernière décennie et auprès de la Fondation KANPE, fondée par Dominique Anglade et Régine Chassagne, la stratège et relationniste Martine St-Victor a notamment travaillé avec le ministère du Tourisme d’Haïti. Sa famille, qui vit dans la région de Cap-Haïtien, possède des hôtels, dont Habitation Jouissant.

Deuxième plus grande ville du pays, Cap-Haïtien célèbre son 350e anniversaire en 2020. Photo: Marie-Julie Gagnon

«J’ai la chance d’aller en Haïti en vacances tous les ans depuis l’âge de 3 ans, raconte-t-elle. J’ai continué à m’y rendre quand j’ai atteint l’âge d’y aller seule.» Au fil du temps, elle a fait visiter le pays à de nombreux amis. «Rien ne me fait plus plaisir que quand ils y retournent ensuite sans moi!»

Pour elle aussi, il est clair que le tourisme peut jouer un rôle prépondérant dans le développement du pays. «L’argent qu’on dépense dans les communautés locales va loin, à commencer par le pourboire qu’on donne au porteur à l’aéroport, par exemple. Les touristes consomment des produits locaux. Pour moi, c’est important. Ça fait partie de l’écosystème et de la solution.»

Les forfaits instaurés par Transat en 2013 ont constitué une importante marque de confiance selon elle. «Ils ont été le point de départ: les autres ont suivi. JetBlue, par exemple, s’est mis à offrir des forfaits. Mais l’instabilité politique fait qu’il faut recommencer à zéro chaque fois. C’est ce qui est dommage.»

Les couleurs de Cap-Haïtien et une certaine douceur de vivre contrastent avec le chaos de Port-au-Prince. Photo: Marie-Julie Gagnon

Malgré les troubles des derniers mois, la Montréalaise, aussi derrière la marque JeLoveHaïti, continue de visiter sa famille en passant par Miami, où American Airlines lui permet d’atterrir directement à Cap-Haïtien sans passer par Port-au-Prince, où le chaos continue de régner. L’atmosphère de la deuxième plus grande ville du pays lui semble bien loin de celle de la capitale.

Quand je lui fais part de mes craintes, malgré tout, elle se fait rassurante. «J’ai voyagé dans le nord du pays avec des amis il y a moins d’un an, dit-elle. Jamais je ne mettrais mes amis en danger. Le ministère du Tourisme a créé une police touristique appelée «POLITOUR», qui a formé des agents postés près des lieux touristiques. Évidemment, comme dans tous les pays et toutes les villes du monde, il faut savoir où aller et où ne pas aller. »

À ceux qui souhaitent explorer la région, elle recommande notamment Cormier plage et l’Île-à-Rat, aussi appelée Amiga Island. Royal Caribbean, qui a signé un bail de 64 ans en 1986, alors que Jean-Claude Duvalier était au pouvoir, continue pour sa part de faire escale à Labadee, à quelques kilomètres de là (non sans controverse). Marriott construit par ailleurs un établissement à Cap-Haïtien, qui devrait ouvrir ses portes en 2021.

Non, Haïti n’est pas au bout de ses peines, malgré ses nombreux attraits. Bien que le ministère du Tourisme ait travaillé d’arrache-pied pour changer l’image de la destination, tout reste fragile.

Si vous songez à séjourner dans les parages, vérifiez la couverture de votre compagnie d’assurance et assurez-vous d’être bien informé. Si vous souhaitez un certain encadrement, Martine St-Victor recommande Tour Haïti. Mi-Haïtien, mi-Français, le fondateur, Jean-Cyril Pressoir, a étudié à Montréal.

En attendant, savourer la poésie de Rodney St-Éloi ou les romans de Dany Laferrière constitue une merveilleuse manière de s’initier à la culture haïtienne.