La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Que penser du volontourisme?

Comme plusieurs, vous avez probablement bondi en lisant le dossier d’Isabelle Hachey sur le phénomène du volontourisme publié dans La Presse récemment.



«L’humanitaire imaginaire» relate les deux semaines de la journaliste au Cambodge, où elle s’est rendue pour travailler dans un orphelinat avec Projects Abroad, l’une des entreprises les plus florissantes du tourisme humanitaire. Prix de l’aventure: 2225$, plus le billet d’avion, qui a coûté 1600$. «Il n’y a pas si longtemps, les touristes se contentaient de visiter le monde. Aujourd’hui, ils veulent le sauver. L’industrie s’est adaptée à la demande. Des agences de voyages proposent à leurs clients d’être davantage que de simples touristes. Elles leur offrent de mettre la main à la pâte. De faire le bien.»

Ce désir d’aller faire sa part n’est pas nouveau. Projects Abroad existe depuis 1992. Ce qui a changé au cours de la dernière décennie, c’est la prolifération d’entreprises permettant de faire le lien entre le touriste et le projet, et l’amplification apportée par les réseaux sociaux (c’est si «likable», une photo de soi entouré d’orphelins à la peau basanée…).

L’effet de mode est bel et bien réel, et les reportages dénonçant les dérives de ce type de tourisme se multiplient. «C'est une tendance depuis plusieurs années: le touriste ne veut plus être seulement touriste, il veut voyager autrement et se débarrasser de cette étiquette qu'il juge dévalorisante. Dans un élan philanthrope, il est parfois prêt à mettre ses vacances à profit en aidant les plus défavorisés à l'autre bout du monde. Une attitude tout à fait louable, mais malheureusement exploitée par des entreprises parfois peu scrupuleuses», lisait-on sur RTBF en septembre 2014.

Les orphelinats du Cambodge

Le dossier de La Presse fait état de la situation dans les orphelinats du Cambodge, mais d’autres projets liés à l’environnement, à l’agriculture ou à la santé, notamment, accueillent aussi des bénévoles aux quatre coins de la planète. Le quotidien dénonce – avec raison – l’absurdité de certaines situations, comme quand un missionnaire propose à la journaliste de repeindre une murale qui n’a même pas eu le temps de sécher depuis que les bénévoles précédentes l’ont repeinte, mais aussi les effets de ce volontourisme sur les enfants. Dans «La fabrique à orphelins», la journaliste met en lumière les problèmes d’attachement qui résultent du constant va-et-vient de bénévoles. Elle raconte notamment qu’alors qu’elle arrivait à peine, une fillette lui a pris la main et qu’un autre enfant s’est couché sur ses cuisses. «Ces gestes d’affection, jugés “mignons” par les touristes, sont considérés par les psychologues comme les signes de graves troubles de l’attachement, liés aux abandons répétés que subissent ces enfants.»

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Ces propos de Pierre de Handscutter, directeur de l’ONG franco-belge Service volontaire international, rapportés dans le même dossier laissent croire que la situation n’est pas sur le point de changer: «L’objectif d’une agence de voyages n’est pas d’avoir un impact quelconque, mais de vendre un produit. Elle n’a même pas intérêt à ce que la situation change, puisqu’elle doit s’assurer que le produit reste disponible. La misère, source de profit, est donc entretenue.»

Comment séparer le bon grain de l’ivraie?

Que faire, alors, si l’on souhaite vivre une expérience auprès des plus démunis de ce monde? Déjà, une piste de réponse se trouve dans la question: rester conscient que c’est une expérience qu’on va vivre plutôt qu’une aide qu’on apporte. C’est d’abord pour se faire du bien à soi-même qu’on se lance dans ce type de d’aventure, que ce soit pour se donner bonne conscience ou parce qu’aider – ou, du moins, croire qu’on aide – nous donne des ailes.

Un bénévole peut-il vraiment faire une différence en deux ou trois semaines? Permettez-moi d’être sceptique, comme la majorité des experts qui se sont prononcés sur le sujet au fil des ans. «Un projet réussi, c’est agir dans la durée, a expliqué Frédérique Williame de France Volontaires à Cafébabel, magazine participatif européen écrit par et pour les jeunes en Europe. Avoir compris quelque chose et au retour, agir chez soi. C’est un outil citoyen, avec une finalité. Il faut se poser les bonnes questions, accepter de prendre du recul».

La formation est aussi au cœur du débat. «Un stage suppose un minimum de formation, un encadrement complet et des objectifs précis, a affirmé à La Presse le Dr Nicolas Bergeron, président de Médecins du Monde. Dans ce cas-ci [les orphelinats au Cambodge où Projects Abroad envoie des volontouristes], on ne répond à aucun besoin. C’est une dérive marchande, une commercialisation de l’aide humanitaire. L’entreprise fait de gros profits et ne sert pas les communautés. Sur le plan éthique, c’est irrecevable.» Ne pas avoir d’impact est une chose, nuire en est une autre… Ce qu’a relaté Isabelle Hachey me semble plutôt appartenir à la seconde catégorie.

Alors, on fait quoi?

Le désir de mettre la main à la pâte est fort louable. Toutefois, si vous rêvez de vivre une expérience de bénévolat à l’étranger, prenez le temps de vous informer adéquatement et restez conscient de vos limites. Où ira l’argent déboursé? Quelles seront les retombées pour la population locale? Avez-vous vraiment l’expertise requise pour le projet que vous avez dans votre mire?

Les stagiaires qui partent avec des ONG bénéficient de formations, d’un encadrement et d’un suivi, après être passés par un processus de sélection (tout n’est pas parfait non plus dans le merveilleux monde des ONG, remarquez, mais j’ose croire que la majorité a un réel impact positif). Les entreprises qui envoient des volontouristes s’assurent-elles des retombées de leurs actions sur le terrain?

Difficile de vérifier tout ce qu’on nous «vend». Non, on ne magasine pas des «vacances humanitaires» comme on réserve un forfait «tout compris»…