La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Jonathan B. Roy: À la rencontre du monde à vélo

Pendant quatre ans, Jonathan B. Roy a sillonné les routes du monde. Dans le second tome d’Histoires à dormir dehors, il raconte ses tranches de route à vélo de l’Asie à l’Amérique du Sud.



Jonathan B. Roy est le genre de mec qu’on a l’impression de connaître depuis toujours après seulement cinq minutes de discussion. On comprend tout de suite pourquoi il arrive à entrer aussi facilement en contact avec tout le monde en voyage, même en ne parlant pas la langue du pays: il est éminemment sympathique. Un bon «Jack», comme on dit.

Pour lui, le vélo ne représente pas un défi sportif, mais le meilleur passeport pour le type d’aventure qu’il souhaite vivre. «Le vélo ne me définit pas, dit-il. C’est au fil des voyages que j’en suis venu à préférer me déplacer ainsi. C’est pour être indépendant. Pour aller à la rencontre des gens qui ne sont pas habitués à voir des touristes. Pour faire quelque chose hors de l’ordinaire et avoir du temps pour accepter les invitations.»

Et elles sont variées, ces invitations! Dans ce tome 2, on le retrouve dans une soirée chic en Chine avec, comme invité spécial, un certain Wayne Gretzky (!), en hélico avec le président fondateur d’un complexe industriel de chocolat au Brésil et sa famille pour aller dîner à leur maison de campagne, dans un baptême avec un pasteur évangélique en Bolivie…

Jonathan B. Roy en camping à Palos Blancos, Bolivie

Pourquoi être reparti?

C’est pendant une parenthèse à Kuala Lumpur, où il a accepté un emploi de juriste qui lui a permis d’écrire le tome 1 d’Histoire à dormir dehors – un franc succès –, qu’on retrouve ce diplômé en droit et en génie. Alors qu’il s’affaire à rédiger le récit de ses aventures dans 27 pays, une certaine nostalgie s’empare de lui. «Il me semblait que la meilleure partie de ma vie appartenait au passé puisque j’avais atteint mon objectif de rouler de l’Europe à l’Asie», écrit-il tout au début de son deuxième livre.

Après avoir contemplé les tours jumelles Petronas à satiété de la fenêtre de son bureau, il se met à se demander ce qui se trouve au-delà. L’envie de remonter en selle surgit. «L’évidence m’apparut en un éclair: il me restait encore l’autre côté du globe à découvrir!» Et le voilà à planifier un autre périple de 20 000 kilomètres…

Il met le cap sur l’Asie du Sud-Est, puis sur l’Asie de l’Est et l’Amérique du Sud. En plus des rencontres avec les habitants des contrées visitées, il tisse des liens avec d’autres voyageurs. Après avoir trouvé un «frère allemand», il adopte un «frère italien». Il y a aussi les retrouvailles avec des amis venus parcourir de petits bouts de route avec lui et les adieux forcés, comme le décès subit d’un ami taïwanais, qui teintera son séjour en Chine les semaines suivantes.

Jonathan et Ibersonz Lord du Venezuela Los Libertadores, Chili)

Quatre ans plus tard

Au fil des pages, on ne peut que se demander comment aurait été son aventure s’il avait attendu la retraite, comme il prévoyait le faire au départ. Le décès de sa mère, alors qu’il menait une vie rangée dans un bureau, vêtu d’un habit, l’a amené à remettre en question ses projets de vie. «Je pourrais faire ça à ma retraite, mais vais-je m’y rendre?», se questionnait-il alors qu’il élaborait l’idée d’un long voyage. Quelques années plus tard, en 2016, il remise ses habits de jeune professionnel et enfourche son vélo avec quelques vêtements techniques judicieusement choisis dans ses bagages.

Les au revoir avec son père, le jour du départ, sont chargés d’émotions. Tous deux pensent à l’absente. «Je partais pour ce que je pensais être une année, raconte l’aventurier au bout du fil. Mais allais-je parvenir à tenir plus que deux semaines? Je n’avais pas tant voyagé que ça avant.» Le père et le fils restent cois. Puis, Jonathan se risque: «Que penses-tu qu’elle penserait de ça?» «Elle serait inquiète comme moi, mais vraiment fière comme moi.»

Quand Jonathan revoit son père, un an plus tard, au Vietnam, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. «Même s’il me suivait en ligne, c’est quand il a pédalé avec moi qu’il a vu que j’étais débrouillard et que ses inquiétudes ont disparu. […] Il a vu comment j’allais au-devant des autres et que j’allais chercher des histoires même si je ne parlais pas la langue.»

Son père a maintenant tellement confiance en les capacités de son fils qu’il ne lui vient même pas à l’esprit qu’un pépin pouvait l’empêcher de revenir après qu’il fut sorti récupérer un t-shirt qui avait volé de la petite corde à linge improvisée de leur chambre d’hôtel au toit du bâtiment voisin. «Chacun de mes vêtements a été choisi avec soin, alors je ne pouvais pas ne pas aller le chercher, relate-t-il.» Sauf qu’il n’avait pas réalisé que le bâtiment voisin en question était… un poste de police. Quand l’interrogatoire s’est enfin terminé, il a retrouvé son père en train de déjeuner tranquillement. «Il s’était dit que j’étais sûrement en train de jaser avec du monde!» (Rires)

Au fil des mois, les apprentissages sont nombreux. «Le courage est un muscle: plus on s’en sert, plus il grossit. Au début de ce long périple, je sursautais à chaque bruit nocturne, écrit-il à la fin de son deuxième opus. Maintenant, on pourrait enlever ma tente au-dessus de ma tête que je ne me réveillerais pas.»

Près de route BR-476 (Nord de Tunas do Paraná, Paraná, Brésil)

Un retour en pleine pandémie

Malgré son retour précipité au Canada au début de la pandémie, l’auteur n’a pas cessé de multiplier les projets. «D’habitude, au retour d’un voyage à vélo, tu es presque en dépression. Tu as vécu des hauts, des bas, la pauvreté, la pluie, la grêle... Mais dans mon cas, tout avait changé. Les gens ne travaillaient pas dans les bureaux et lavaient leurs boîtes de céréales! Sur la route, je dormais dans ma tente avec mon équipement vieillissant. J’étais fatigué. Alors oui, je lavais mes boîtes de céréales, mais j’avais un matelas, de l’eau chaude et un toit.»

Pendant quelques mois en 2020 et 2021, le tournage de la websérie Le bon monde de la Route verte, pour Vélo Québec, le tient occupé. En 2021, à 36 ans, il est sélectionné parmi 314 000 candidats pour le programme «Live Anywhere on Airbnb», qui lui procure pendant un an le logement de son choix. C’est entre le Maroc, l’Italie, la Géorgie, la Slovénie, Chypre, la Hongrie, la Jordanie et l’Albanie, depuis de confortables appartements, qu’il rédige ce nouveau tome de ses aventures.

Jonathan continue de collaborer au magazine Vélo mag et donne des conférences un peu partout dans la province. Comment entrevoit-il les prochaines années? «J’aimerais continuer à raconter des histoires. Conférences, vidéos, livres... Mais je ne crois pas partir pour refaire le même projet pour un troisième tome, ce serait trop pareil. Je vise un temps plus court à l’étranger pour des projets plus ciblés. J’aimerais aussi pousser un peu plus les explications géopolitiques.»

Et puis, comme il l’écrit dans l’épilogue: «il n’est pas nécessaire de partir loin pour s’évader de son quotidien».