La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Faut-il continuer à aller à Maui et dans les coins de pays touchés par des désastres naturels?

Maui. Kelowna. Tenerife. Rhodes. D’Hawaï à la Grèce, en passant par les îles Canaries et la vallée de l’Okanagan, des lieux très fréquentés par les touristes ont été dévastés par les feux de forêt au cours de l’été. Faut-il continuer à visiter ces destinations pour les vacances?



Vous avez peut-être vu cette vidéo d’une résidente de Maui, Kate Ducheneau, qui s’insurge contre le fait que des touristes continuent d’affluer sur l’île et de plonger en apnée dans les mêmes eaux où, quelques mètres plus loin, des parents tentaient de sauver leurs enfants en les poussant sur n’importe quoi pouvant flotter. «N’utilisez pas nos ressources, nous en avons besoin. Ne venez pas à Maui. Annulez votre voyage, maintenant.»

@douknowdaisygirl DO NOT COME TO MAUI, OUR DEVESTATION IS NOT YOUR VACATION. PRAY FOR THE PEOPLE OF LAHAINA AND GO HOME ##maui##lahaina##lahainafires##mauiupdate##lahainaluna##mauihawaii##hawaii##lahainamaui##mauistrong ♬ original sound - Kate From Maui

«Est-il approprié de se prélasser sur la plage à quelques kilomètres d’une ville rasée par les flammes? demande pour sa part la journaliste Yasmine Mehdi de Radio-Canada. L’argent des touristes est-il toujours le bienvenu, même en période de deuil?» «C’est comme si des étrangers débarquaient en pleines funérailles pour faire la fête», a répondu Noelani Ahia, une résidente.

Est-il approprié de se prélasser sur la plage à quelques kilomètres d’une ville rasée par les flammes? Photo: Kenneth Oh, Unsplash

À une journaliste du New York Times, Kate Ducheneau a précisé ne pas être antitouristes, mais souligne seulement que ces derniers devraient respecter le besoin des habitants de Lahaina de panser leurs blessures avant leur visite.

À Hawaï comme dans plusieurs autres contrées, l’industrie touristique est un moteur économique important. Selon les données de l’État, les visiteurs ont dépensé 20 milliards de dollars dans l’archipel en 2022.

La question du tourisme divisait Hawaï bien avant les récents événements. À Maui, le fait que des amendes de 500$ puissent être données pour un usage d’eau non essentiel, comme laver sa voiture, mais qu’aucune limite ne soit imposée aux hôtels a été rapporté par de nombreux médias l’année dernière. Les Premières Nations s’insurgent de devoir payer le prix de la croissance touristique. Les résidents sommant les touristes de rester chez eux étaient déjà bien nombreux avant les feux dévastateurs. «Cessez de venir à Hawaï, a écrit en 2021 Kaniela Ing, représentant de l’État et des autochtones, sur X – c’était encore Twitter à l’époque. Ils nous traitent comme des citoyens de seconde classe, en coupant littéralement notre eau pour nourrir le surtourisme.»

Des situations similaires sont aussi vécues à Bali, où les touristes consomment 65% de l’eau de l’île. En Espagne, deuxième pays le plus visité au monde, la consommation d’eau d’un voyageur est de quatre à sept fois plus grande que pour la moyenne d’un résident. Je ne sais pas pour vous, mais moi, ça m’enlève franchement l’envie de me faire couler un bain.

À Bali, les touristes consomment 65% de l’eau de l’île. Photo: Ern Gan, Unsplash

Des dérèglements climatiques causés par l’humain

Si certains coins du monde flambent, ailleurs, ce sont les inondations qui causent des dégâts.

En Arizona, plus de 100 résidents et touristes ont dû être évacués cette semaine au sud de l’entrée du parc national du Grand Canyon en Arizona, où près d’un mètre d’eau s’est accumulé par endroits.

En Nouvelle-Écosse, après les feux de forêt dévastateurs, en juin, des pluies torrentielles ont causé la mort de quatre personnes et de nombreux dégâts en juillet, et mené à la fermeture de la route vers Peggy’s Cove, inondée, pendant quelques jours en août.

Au Québec, Charlevoix et le Saguenay–Lac-Saint-Jean ont aussi vécu bien des déboires causés par l’eau au cours des derniers mois, en plus des feux de forêt qui ont entraîné l’évacuation de plusieurs villes et villages. Même à Montréal, des rues ont dû être fermées en juillet alors que les alertes de tornade résonnaient dans nos téléphones et dans les médias!

Et je ne parle même pas des chaleurs accablantes, qui semblent pires que jamais en Europe et ont aussi entraîné beaucoup d’inconfort – voire carrément la mort.

Si certains coins du monde flambent, ailleurs, ce sont les inondations qui causent des dégâts. Photo: Unsplash

La planète réagit à nos excès. Je l’imagine à la manière d’un félin, toutes griffes dehors, tenter de repousser l’agresseur – l’Humain –, qui ne respecte pas son besoin de répit depuis des décennies. On en parle depuis de nombreuses années: nous sommes directement responsables de son pétage de câble. Et on est là, comme des cons, à rêver de coins de paradis merveilleusement bien mis en marché, qui semblent pouvoir exister seulement à son détriment et à celui de ses habitants. Ça m’enrage que des tragédies soient nécessaires pour qu’on ouvre enfin les yeux. Ça m’enrage qu’il faille toujours aller dans l’excès pour éveiller les consciences.

Ce n’est pas tant notre propre naïveté qui me choque, ni même notre propension à vivre dans le déni quand notre besoin de vacances prend toute la place, c’est plutôt l’inaction des dirigeants, qui privilégient le confort des touristes au bien-être de leurs propres habitants. Oui, oui, je sais: le tourisme est un moteur économique (pas besoin de me rappeler ce que j’ai écrit plus haut!). Mais si toutes les beautés qui nous attirent vers ces coins de paradis sont anéanties à cause de l’inertie de ceux qui ont le pouvoir – et le devoir – de les protéger et de protéger ceux qui les habitent, est-ce mieux?

Le Québec n’échappe pas à la colère de la planète. Le journaliste du Devoir Alexandre Shield l’a rapporté le 22 août dernier: «Le réchauffement climatique provoqué par l’activité humaine a créé les conditions idéales pour déclencher et alimenter les feux de forêt qui ont frappé le Québec cette année, conclut une nouvelle analyse publiée ce mardi par le réseau scientifique Attribution du climat mondial (WWA). Notre incapacité à limiter la hausse des températures risque d’ailleurs de provoquer une multiplication d’incendies majeurs dans les années à venir.»

Des pistes de solutions?

Hawaï fait partie des destinations qui font beaucoup d’efforts pour sensibiliser les visiteurs. L’engagement «Pono» vise à conscientiser ceux qui envisagent de se rendre dans l’archipel. On rappelle par exemple que la réservation est obligatoire pour explorer les sites naturels les plus populaires. On nous demande aussi de ne pas prendre de photos qui pourraient endommager le paysage et de laisser le sable et les roches là où ils sont. La base, quoi.

Mis de l’avant par l’office de tourisme, le programme Malama, qui signifie «prendre soin de la Terre», propose par ailleurs aux visiteurs de consacrer une journée de leur séjour à nettoyer les plages ou replanter des arbres en échange d’une nuitée gratuite chez l’un des quelque 110 hôteliers participants. Voilà qui s’inscrit tout à fait dans l’esprit du tourisme régénératif, qui vise à quitter une destination en meilleur état qu’on l’a trouvée.

Alors, faut-il continuer à visiter les lieux touchés par des incendies ou des inondations? Oui, mais pas tout de suite après, et surtout pas n’importe comment.

Pour ma part, je rêve d’un plus grand dialogue entre visiteurs et visités. Parce qu’au-delà des images idylliques qui tapissent nos écrans, il y a des gens, un territoire, une planète. Et que nous avons tous la responsabilité de faire notre gros possible pour que nos enfants puissent les voir eux aussi, ces petits coins de paradis proches ou lointains.