La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Éloge de la fuite

J’en ai marre. Marre que tout le monde ressasse les mêmes clichés quand il s’agit de voyage. «Qu’est-ce qui ne va pas?» «T’es pas bien ici?» «Que cherches-tu à fuir?»



Évidemment, quand on part souvent ou longtemps, c’est parce que quelque chose cloche. Pire: si on émet la possibilité d’aller s’installer ailleurs, on est probablement en proie à une grave dépression ou à un épisode psychotique… Pourquoi tout quitter quand ce «tout» semble si parfait aux yeux des autres?

Parce qu’on ne vit pas à l’extérieur de soi, justement. Parce que l’appel de l’ailleurs est parfois plus fort que le reste. Parce qu’à différents moments de nos vies, on ressent le besoin d’aller voir ailleurs si on y est, pour des raisons qui n’ont bien souvent rien à voir avec ce «tout». Parce qu’on ne sait pas ce qui nous attend et que l’inconnu est la plus grisante des invitations. La page blanche nous attire plus que tous les bouquins lus et relus.

Pour explorer, tout simplement. Parce qu’on est curieux. Rêveur. On veut mieux comprendre le monde qui nous entoure. Est-ce si mal? Pourquoi investir en expériences de vie plutôt qu’en biens matériels serait-il forcément le «mauvais choix»? Pourquoi se bâtir une maison serait-il plus important que se construire soi-même? Et pourquoi toujours voir une finalité là où il n’y en a pas forcément?

«Le mieux consiste donc à construire un donjon solitaire avec le ciment de son rêve suffisamment solide pour que le ressac du monde extérieur s’y fracasse»
- Sylvain Tesson

Pourquoi rester?

À ceux qui lancent aux globe-trotters le sempiternel «Que cherches-tu à fuir?», j’ai envie de demander: «Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi vous ne partez pas? Pourquoi préférer une nouvelle bagnole plutôt qu’aller prendre un bain d’exotisme? Pourquoi la sédentarité et non le mouvement?» Peut-être qu’ils n’en ont pas envie et c’est très bien comme ça. Ou qu’ils ont fait d’autres choix financiers. Peut-être qu’ils n’ont pas la santé pour le faire. Qu’un proche a besoin d’eux.

Et si c’était parce qu’ils ont peur? Que la seule idée de se retrouver en terrain inconnu leur donne le vertige? Est-ce une bonne raison pour rester? Pourquoi ne serait-ce pas, au contraire, une bonne raison pour partir à la conquête du monde? D’ailleurs, qui décide quelle raison va dans la colonne des «bonnes» ou celle des «mauvaises»? Et si la «mauvaise» raison pouvait s’en avérer une maudite bonne pour soi ? Oui, j’en ai marre des juges improvisés qui se croient au-dessus de tout. «Ma vérité est meilleure que la tienne…» Sure, dude.

Qu’on parte ou qu’on reste, une chose m’apparaît claire: c’est la négation de ses désirs profonds qui constitue la réelle prison de laquelle on souhaitera s’évader tôt ou tard.

 «Le vrai voyage ce n’est pas de chercher des nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux.»
– Marcel Proust

«Il n’y a d’homme plus complet que celui qui a beaucoup voyagé, qui a changé vingt fois la forme de sa pensée et de sa vie.»
– Lamartine

Certains vont chez le psy. D’autres se mettent à fumer de la luzerne et se jettent dans le yoga.  Ou le pot de crème glacée…  (Oui, moi aussi je les connais, les clichés.) Et si, au fond, on cherchait tous à fuir quelque chose, chacun à notre manière? Parfois, on a juste besoin d’un break. Qu’on regarde une série en rafale ou qu’on aille prendre une marche à l’autre bout de la Terre, nous bénissons ces moments d’évasion.

Alors, même si le voyage était une fuite, so what? Partir, c’est aussi mettre de la distance entre soi et sa vie quotidienne. C’est s’offrir l’espace nécessaire pour regarder son monde sous un angle différent. Avoir l’audace d’affronter sa solitude. Réaliser que nos «évidences» ne sont pas forcément celles des autres. C’est découvrir, apprendre, remettre et se remettre en question. Alors en quoi cette «fuite» ne pourrait-elle pas aussi être salvatrice?

«On devrait toujours avoir quelque chose à fuir, pour cultiver en soi cette possibilité merveilleuse. D’ailleurs, on a toujours quelque chose à fuir. Ne serait-ce que soi-même. La bonne nouvelle, c’est que l’on peut échapper à soi-même.  Ce que l’on fuit de soi, c’est la petite prison que la sédentarité installe n’importe où. On prend ses cliques et ses claques et on s’en va: le moi est tellement étonné qu’il oublie de jouer les geôliers. On peut se semer comme on sèmerait des poursuivants.»
- Amélie Nothomb

Bien sûr, il ne faut pas non plus croire que nos problèmes disparaîtront parce qu’on lève l’ancre. Ni que des réponses à nos questions existentielles surgiront comme par magie. Mais ça, n’importe quel adulte le moindrement équilibré le comprend. S’il faut une part de naïveté pour se lancer dans l’aventure, la lucidité reste la meilleure alliée du voyageur.

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Partir pour mieux revenir… ou pas

Je connais des gens de toutes les générations qui ont ressenti l’appel de l’ailleurs. Évidemment, les exemples dans la vingtaine et la trentaine sont légion. Une amie a attendu la quarantaine pour commencer à bourlinguer. Quand son fils a pu voler de ses propres ailes, elle est partie enseigner en Amérique latine. Ces expériences ont ravivé son goût pour l’écriture. Elle a par la suite réalisé son rêve de voir l’un de ses scénarios porté au grand écran. Elle n’a pas réalisé son rêve parce qu’elle avait vu du pays. Mais ce sont ces parenthèses hors Québec qui lui ont permis de renouer avec le bonheur qu’elle ressent à aligner les mots.

À l’approche de la cinquantaine, un couple m’a récemment confié avoir mis la maison familiale en vente (les enfants viennent de quitter le nid) pour réaliser ce vieux fantasme de voyager pendant une longue période. L’objectif? Le voyage lui-même, bien sûr, mais aussi le désir de réinventer sa vie professionnelle et de l’orienter davantage vers le voyage au retour. Car oui, le retour – même s’il reste bien lointain ou incertain – ne doit jamais être oublié. Il fait partie intégrante de l’aventure. Le choc est souvent bien plus grand quand on rentre «chez soi» (l’est-il encore?) qu’en perdant nos repères dans un lieu inconnu…

«Quant à moi, je voyage non pour aller quelque part, mais pour marcher. Je voyage pour le plaisir de voyager. L’important est de bouger, d’éprouver de plus près les nécessités et les embarras de la vie, de quitter le lit douillet de la civilisation, de sentir sous mes pieds le granit terrestre et les silex épars avec leurs coupants.»
- Robert Louis Stevenson

Je vous le concède: toutes les histoires ne se terminent pas par des «happy ends». Mais en aurait-il été autrement «à la maison»?

«On ne va jamais aussi loin que lorsqu’on ne sait pas où l’on va.»
– Christophe Colomb


Pour en savoir plus

La pulsion du voyage

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