La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Sur les chemins pèlerins du Québec

Les Québécois aiment marcher. De plus en plus. Et longtemps. Plusieurs de la trentaine de chemins pèlerins de la province ont été inaugurés au cours de la dernière décennie. Non, il n’est pas nécessaire d’aller jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle pour vivre une expérience à la fois physique, introspective et spirituelle!



«L’intérêt québécois pour la marche de longue durée s’inscrit dans un mouvement mondial très effervescent depuis une dizaine d’années», souligne le dernier rapport de Rando Québec sur le sujet.

En 2019, on dénombrait 31 chemins pèlerins au Québec, soit 13 de plus qu’en 2016. Pourtant, les adeptes de marche longue durée semblaient alors plus enclins à mettre le cap sur des destinations lointaines. En 2019, près de 3800 personnes vivant au Québec sont allées user leurs souliers sur les chemins de Compostelle, rapporte le rapport de Rando Québec. Fait à souligner, les pèlerins d’ici sont surtout des pèlerines, dans une proportion de 61,2%. De plus, 37,1% ont plus de 60 ans.

«On constate également une autre tendance lourde en 2019: les gens du Québec voulant faire de la marche de longue durée à l’étranger souhaitent de plus en plus aller ailleurs que sur les chemins de Compostelle, que ce soit en Europe ou sur d’autres continents, comme autour de l’île de Shikoku au Japon, par exemple. Cela s’inscrit dans une évolution mondiale qui s’accélère depuis une décennie: l’offre de parcours pour ce type de marche a littéralement explosé au cours des dernières années, comme le montrent clairement les 800 chemins sur les cinq continents récemment répertoriés par la journaliste française Fabienne Bodan (2018).»

Avec l’engouement pour la marche depuis le début de la pandémie, il y a fort à parier que de nouveaux pèlerins viendront grossir les rangs des adeptes. L’impact de la COVID-19 demeure cependant difficile à établir selon Rando Québec. «Un sentier pèlerin n’est pas comme un sentier pédestre, explique par ailleurs Dominique Gobeil, instigateur du nouveau Chemin pèlerin Manasteriorum, dans le parc régional des Grandes-Rivières du lac Saint-Jean. Ce n’est pas la même clientèle ni les mêmes attentes.» Il évoque notamment la recherche de simplicité et le désir de dormir dans des lieux modestes. Bien que la religion ne soit pas le déclencheur pour plusieurs pèlerins aujourd’hui, l’aspect spirituel a toujours sa place au cœur de l’expérience.

Le Chemin pèlerin Manasteriorum. Photo: parc régional des Grandes-Rivières du lac Saint-Jean

Des parcours dans toutes les régions du Québec

Partenaire de Rando Québec, Marcher autrement au Québec travaille à structurer et encadrer la marche de longue durée dans la province. Le site propose de nombreux conseils à ceux qui souhaitent débuter et répertorie les chemins de la province. Parmi les plus longs, on retrouve le Chemin de Saint-Rémi, dans Chaudière-Appalaches (400 km), le Compostelle québécois de Beauvoir à Beaupré, possible sur les deux rives du fleuve (350 km), le Chemin de l’Acadie, de Pointe-aux-Pères à Caraquet, au Nouveau-Brunswick (390 km), et le Sentier Vents et Marées, aux îles de la Madeleine (232 km).

Ce dernier sentier, inauguré en septembre 2017, permet de marier fort agréablement randonnée et escales touristiques, le temps d’une bière À l’abri de la Tempête ou d’une pause sur l’une des splendides plages traversées.

Comme Anne Pélouas, j’ai eu l’occasion d’en parcourir une partie en 2018. J’en garde le délicieux souvenir des paysages diversifiés de l’archipel, entre falaises, forêts et phares qui se profilent à l’horizon. Le bon côté de l’aventure est d’avancer à son rythme.

Sur le sentier Vents et Marées aux îles de la Madeleine. Photo: Facebook Tourisme Îles de la Madeleine

Le nouveau chemin des monastères du Lac-Saint-Jean

Depuis juin 2021, le Chemin pèlerin Monasteriorum propose de découvrir le nord du Lac-Saint-Jean différemment, sur une trentaine de kilomètres. La boucle nous entraîne vers les trois monastères occupés par les Pères trappistes de 1892 à aujourd’hui, entre Dolbeau-Mistassini et Saint-Eugène-d’Argentenay. «Ils nous ont donné le droit de passage de 18 lots privés, explique l’instigateur du projet et directeur du parc régional des Grandes-Rivières du lac Saint-Jean, Domique Gobeil. C’est le point de départ qui a rendu la suite possible.»

Tout le tracé est plat et permet d’emprunter des chemins peu fréquentés, à part par quelques agriculteurs. M. Gobeil n’hésite pas à parler de «beauté pastorale». «Nous traversons un ancien rang d’une voie qui longe la rivière aux Rats, explique M. Gobeil. Seulement des tracteurs passent par là aujourd’hui. C’est extrêmement charmant.»

Des navettes permettent aux pèlerins d’aller dormir à Dolbeau-Mistassini et de revenir au même endroit le lendemain, grâce à des partenariats avec Maria Express et le Gîte 40 Laverdure. S’il était impossible de séjourner à l’actuel monastère des pères trappistes depuis le début de la pandémie, les visiteurs sont de nouveau les bienvenus depuis peu, souligne M. Gobeil, qui ajoute que l’offre du chemin Monasteriorum complète bien celle de l’Ermitage Saint-Antoine de Lac-Bouchette et le Sentier Notre-Dame-Kapatakan, surnommé le «Petit Compostelle du Saguenay–Lac-Saint-Jean». Dès l’été 2022, les pèlerins pourront aussi dormir dans le sous-sol de l’église de Saint-Eugène-d’Argentenay.

Le deuxième monastère occupé par les pères trappistes, de 1911 à 1980. Sur le Chemin pèlerin Monasteriorum. Photo: : Élisabeth Anctil-Martin, parc régional des Grandes-Rivières du lac Saint-Jean

Pourquoi un pèlerinage?

Selon Michel O’Neill, professeur à la retraite de la Faculté des sciences infirmières de l’Université Laval, qui a dirigé le collectif Pèlerinage, marche pèlerine et marche de longue durée au Québec avec Éric Laliberté, étudiant au doctorat en théologie, un total de 16 000 personnes ont emprunté les chemins de marche de longue durée au Québec entre 1999 et 2019.

Michel O’Neill raconte être parti pour la première fois sur les chemins de Compostelle en 2003, alors qu’il souhaitait se donner une pause au mitan de sa vie, loin de la frénésie universitaire. «J’ai depuis marché près de 3400 kilomètres sur des chemins européens. J’étudie depuis 2015 la marche pèlerine québécoise, tant à l’extérieur du Québec que sur son territoire. Au Québec, depuis 2015, j’ai usé mes bottes et bâtons sur environ 1100 kilomètres.»

Sur le Chemin pèlerin Monasteriorum. Photo: : Élisabeth Anctil-Martin, parc régional des Grandes-Rivières du lac Saint-Jean

«Une expérience spirituelle, qu’est-ce que cela signifie au 21e siècle? s’est pour sa part demandé Éric Laliberté à la suite d’une école d’été sur le phénomène pèlerin créée en 2018. Le pèlerinage n’est plus rattaché à la religion catholique. Cela dit, il n’exclut pas la croyance religieuse. Les pèlerins viennent quand même réfléchir sur leur spiritualité. Si certains viennent vivre quelque chose pour eux, d’autres viennent réfléchir au sens de la vie.»

«La durée transforme l’expérience, souligne-t-il. On touche à un espace spirituel qui est à redéfinir. Quelque chose nous parle au-delà de l’objet pèlerin, quelque chose qui relève de la saveur, qui se goûte, qui s’expérimente.»

Le site de l’Association du tourisme religieux et spirituel du Québec propose de découvrir, en plus des chemins pèlerins, une foule d’expériences en lien avec la spiritualité. Les éditions Ulysse proposent pour leur part les guides Chemins spirituels et religieux du Québec et Voyages spirituels - 50 itinéraires de rêve autour du monde.

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