La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Ce que le voyage en solo m’a appris

La première fois, c’était par dépit. Ni mon amoureux de l’époque ni mes copines ne pouvaient partir avec moi. Il y avait si longtemps que je voulais voir du pays! J’avais enfin les moyens de m’acheter une paix d’esprit en voyageant dans les meilleures conditions possibles : j’allais donc partir seule. J’avais 23 ans et une trouille monstre au fond du ventre.

Dans la salle de bain de marbre blanc de ma chambre d’hôtel, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Mais qu’est-ce que je foutais là, seule sur un continent alors que tous les gens que j’aimais se trouvaient sur un autre? Je n’avais pas compris que de m’offrir un hôtel cinq étoiles n’est pas le meilleur moyen de tisser des liens ni que faire de cette liberté totale, qui deviendrait plus tard mon obsession.

Le déclic

Un jour, au retour d’une matinée venteuse à la plage, je me suis arrêtée pour m’acheter une gaufre. Un inconnu m’a souri en pointant mon menton. Le sirop de chocolat dégoulinait sur mon visage, sur mes doigts, autour de moi... J’en avais partout. La pluie s’est mise à tomber doucement. J’ai senti les commissures de ma bouche barbouillée se tirer vers le haut pour dessiner un sourire plus grand que l’océan que j’avais traversé quelques jours plus tôt. J’étais à l’autre bout du monde et ça goûtait le ciel. Je ne connaissais personne; personne ne me connaissait. Tout pouvait arriver, y compris le meilleur. Sans pouvoir l’expliquer, je savais qu’il y aurait un «avant» et un «après» gaufre au chocolat.

Les mois suivants, j’ai multiplié les expériences me permettant d’allier voyage et projets de boulot. Ce n’est pas parce qu’on voyage seule qu’on le reste! Rare Québécoise dans un forum pour jeunes Francophones, j’ai fraternisé avec des Acadiens, des Malgaches, des Rwandais et des Cambodgiens. Je suis partie étudier l’anglais à Vancouver, où je me suis fait des copains mexicains, japonais, chinois… J’ai mis les voiles avec une caméra pour apprendre les rudiments du vidéoreportage au Burkina Faso dans le cadre d’un stage.

Aucun voyage n’a toutefois eu l’impact de mes quinze mois en Asie, deux ans et demi après l’épisode de la gaufre. La nuit où un rat géant a traversé la poutre à laquelle était suspendue ma moustiquaire, à Railey Beach, en Thaïlande, je me suis sentie bien loin de mon hôtel de marbre blanc. Pourtant, pour rien au monde je n’aurais voulu être ailleurs. Sur la route, sac au dos, j’ai trimballé mon sourire-océan d’hostel en hostel, mesurant le chemin parcouru en rencontres plutôt qu’en kilomètres. Je n’oublierai jamais les gens croisés au cours de cette parenthèse asiatique. Les moments de complicité, l’intensité des conversations, les regards qui disent tout, même quand on ne parle pas la même langue... Partir seule, c’est la meilleure manière de revenir avec encore plus d’amis.

Voyage-thérapie

Ce voyage m’a permis d’évoluer à ma manière, beaucoup plus efficacement qu’en rencontrant un psy ou en me farcissant des piles de bouquins de croissance personnelle douteux. Il m’a forcée à aller au-delà de ma timidité, si bien cachée sous mes multiples étiquettes professionnelles. J’ai appris à relativiser. À faire confiance à mon instinct. À écouter cette petite voix à qui je dis trop souvent de se taire au quotidien. À choisir mes batailles. À m’ancrer dans le présent. À accepter de ne pas tout comprendre. À voir l’humain avant les idées. À savoir quand me taire. À aimer inconditionnellement des gens que je ne reverrai jamais.

Comme je l’ai écrit dans cette chronique, le voyage m’a aussi enseigné l’humilité et a aiguisé mon sens critique, surtout par rapport aux «évidences» inculquées par ma culture et mon éducation.

Sortir du cadre permet de voir son monde sous un autre angle. Pourquoi accorder autant d’importance à des choses qui paraissent si futiles vues de l’autre bout de la planète? Qui a raison, qui a tort et, surtout, pourquoi faudrait-il toujours trancher? La différence n’est-elle pas une richesse inouïe?

J’ai aussi compris que le chemin importe autant que la destination. Que peu importe le nombre de départs, la magie est toujours là. Et que l’important avec les étoiles, c’est surtout de les avoir dans les yeux.


Pour en savoir plus

Voyager seul(e) pour mieux se (re)découvrir?

Rebecca Benhamou

13 juillet 2015

L’Express Style

Conseil de voyageuse en solo, par une voyageuse en solo

Adeline Gressin

28 juin 2015

Voyagesetc.fr