La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Alors, pourquoi voyager?

Il y a autant de raisons de voyager que de voyageurs. Certaines ont-elles plus de valeur que d’autres? Je refuse de les hiérarchiser et encore moins d’invalider celles qui semblent a priori futiles, bien qu’il soit parfois tentant de le faire. Je dois cependant admettre qu’expérience et connaissances viennent secouer de temps à autre la mer (plus ou moins) tranquille de mes idées – reçues ou arrêtées. Le ressac me force à trouver d’autres points d’ancrage pour retrouver l’équilibre.



Alors, pourquoi voyager? Cette question toute simple peut pourtant nous entraîner dans une spirale sans fin. C’est sans doute l’un des sujets sur lesquels j’ai le plus écrit au fil des ans, notamment à l’époque où j’alimentais assidûment mon blogue Taxi-Brousse. C’est aussi la question qui coiffe le premier chapitre de mon essai Que reste-t-il de nos voyages? (Éditions de l’Homme, 2019). Et pourtant, quand Sylvia Galipeau de La Presse m’a contactée pour en discuter il y a quelques semaines*, j’ai réalisé qu’il y avait un moment que je ne m’étais pas plongée dans l’aspect plus philosophique du voyage, trop préoccupée par mon empreinte carbone et la culpabilité avec laquelle je tente tant bien que mal de composer.

À l’aube de la cinquantaine, mon rapport avec le voyage n’est plus le même qu’à 20 ans. Photo: Convertkit, Unsplash

Des raisons qui évoluent

Ce qui nous pousse à partir fluctue, évolue et s’épuise, aussi. À l’aube de la cinquantaine, mon rapport avec le voyage n’est plus le même qu’à 20 ans, quand je voulais «vivre intensément et sucer toute la substantifique moelle de la vie», comme dans le poème de Henri David Thoreau pour moi éternellement associé à l’un des films qui a le plus marqué mon adolescence, La société des poètes disparus. Bien que cette jeune adulte intense ne soit jamais bien loin, ma quête a évolué.

Même si «voir du pays» n’a jamais été ma motivation première – ce sont tous mes sens qui sont en alerte quand je suis en «état de voyage» –, certains éléments ont aujourd’hui gagné en importance. Je préfère par exemple entretenir les liens tissés au fil des ans que de me faire constamment de nouveaux amis aux quatre coins du monde. Je ressens bien souvent plus d’émotions en découvrant une expo dans un musée qu’en contemplant le menu des cocktails dans un bar (quoiqu’il y ait des exceptions). Apprendre est, plus que jamais, un moteur. J’ai soif de mieux comprendre le monde, soif de culture, soif de réflexion. Je recherche moins l’absolue félicité, mais il m’arrive de la croiser dans la banalité d’un moment qui n’a de sens que pour moi. Comme je l’ai écrit dans Voyager mieux, est-ce vraiment possible?, de la stimulation des sens, je suis passée à la quête de sens.

Alors que je rédige ce texte avec, devant moi, ma mini-valise grande ouverte et des vêtements épars sur mon lit, une métaphore très basique s’impose: je ne cherche plus à m’étourdir pour me remplir la tête de souvenirs. J’ai plutôt envie d’aller à l’essentiel, même s’il est parfois difficile de faire le tri. J’ai passé ma vie à m’asseoir en rageant sur ma valise pour parvenir à la fermer. Il est peut-être temps de comprendre qu’élaguer ne signifie pas renoncer, mais garder de l’espace pour des souvenirs issus du hasard – les plus précieux – et non d’une liste de choses «à voir» avant de mourir.

* Le reportage de Silvia Galipeau a été publié le 6 avril dernier.