Photo: Facebook Pier 57

Réutilisation adaptative: oui aux bâtiments de seconde main

Réduire, réutiliser, recycler: saviez-vous que les 3 R s’appliquent aussi à l’architecture? Ici et ailleurs, les architectes donnent une seconde vie aux anciennes manufactures, aux écoles désaffectées ou aux bureaux déserts. Après tout, le bâtiment le plus écoresponsable est celui qui est déjà construit.



Alors que le bâtiment demeure l’un des secteurs émettant le plus de CO2 sur la planète, la réutilisation adaptative — communément appelée adaptive reuse en anglais — connaît un certain engouement.

Si le terme semble complexe, le concept est simple, du moins sur papier. Il s’agit de transformer un bâtiment négligé ou abandonné pour qu’il réponde aux besoins d’aujourd’hui (et idéalement de demain). Les exemples se font encore rares au Québec, où le territoire est grand. On ne manque pas de place pour construire à neuf. Les incitatifs pour rénover les immeubles, plutôt que de tout démolir et de reconstruire, ne sont pas non plus légion.

L’architecte américaine Deborah Berke plaide qu’en combinant le meilleur de l’ancien et du nouveau grâce à la rénovation, la restauration et la réimagination, l’architecture de la seconde chance transforme ce qui est obsolète en ce qui est pertinent.

Dans son livre Transform: Promising Places, Second Chances, and the Architecture of Transformational Change, paru cette année, elle démontre par l’exemple que cette approche permet de célébrer l’œuvre bâtie tout en racontant une nouvelle histoire.

Même les géants de la Silicon Valley, qui nous ont habitués à des sièges sociaux flambant neufs et futuristes, revoient leurs pratiques. Google consacre désormais la majorité de ses investissements immobiliers à la réutilisation de structures existantes, comme un hangar pour avions.

Voici quelques autres reconversions réussies qui ont retenu notre attention.

Retour à l’école

Au Canada comme ailleurs, on tente de convertir les tours de bureaux, désertées depuis la pandémie et la popularité du télétravail, en immeubles à logements. La mutation d’un usage à l’autre comporte toutefois plusieurs contraintes, surtout parce que ces bureaux n’ont pas été conçus pour qu’on y habite 24 heures sur 24.

Le cabinet d’architecture Moody Nolan, basé aux États-Unis, croit avoir trouvé une meilleure solution à la crise du logement. Depuis quelques années, ses concepteurs transforment les écoles vétustes en appartements.

Comme on le souligne dans un article de Forbes, les écoles se situent dans des endroits bien desservis pour la communauté locale, contrairement aux gratte-ciel du centre-ville. Le gymnase peut facilement devenir une salle de remise en forme, tandis que la cafétéria peut se transformer en espace commun pour les résidents. Les établissements scolaires arborent aussi de grandes fenêtres, laissant entrer la lumière naturelle.

Les promoteurs ne manquent pas d’opportunités quand on sait que des milliers d’écoles ferment chaque année leurs portes au sud de la frontière. L’école primaire Woods de Chicago abritera notamment bientôt 48 logements abordables, un centre communautaire et une clinique médicale, après avoir été abandonnée pendant une décennie.

Après avoir été abandonnée pendant une décennie, l’école primaire Woods de Chicago abritera notamment bientôt 48 logements abordables, un centre communautaire et une clinique médicale. Image: Nia Architects

Une seconde vie pour un gratte-ciel

La réutilisation ne concerne pas que les immeubles à faible hauteur. La Quay Quarter Tower, à Sydney, en est probablement le meilleur exemple. Le gratte-ciel de 49 étages redonne un deuxième souffle à la tour construite en 1976, qui atteignait la fin de sa vie utile.

Les architectes de 3XN et de BVN ont réussi à conserver plus de 65% de la structure d’origine (dont les poutres, les colonnes et les dalles) et 95% du noyau d’origine, entraînant du même coup une économie de carbone de 12 000 tonnes.

Les étages sont reliés entre eux par un escalier en colimaçon et disposés autour d’atriums baignés de lumière. Photo: Facebook 3XN

La nouvelle version semble en mouvement, avec sa façade qui s’incline progressivement vers l’est à mesure qu’elle s’élève. Un pare-soleil externe bloque 30% du rayonnement solaire. Les étages sont reliés entre eux par un escalier en colimaçon et disposés autour d’atriums baignés de lumière.

Des transformations récompensées

Signe des temps, les prix annuels d’Architectural Review comprennent depuis 2017 une catégorie consacrée aux transformations de bâtiments. Le prix AR New into Old «célèbre les façons créatives dont les bâtiments sont adaptés et remodelés pour accueillir de nouveaux usages contemporains».

C’est une réalisation française qui a retenu l’attention du jury cette année. Le Site Verrier, réimaginé par les bureaux SO-IL et Freaks Architecture à Meisenthal, est un centre culturel multidisciplinaire qui s’est installé dans une verrerie historique datant du 18e siècle. Une surface ondulée en béton coulé, qui sert à la fois de toit, de plafond et de mur, relie les bâtiments d’une autre époque.

Le Site Verrier est un centre culturel multidisciplinaire qui s’est installé dans une verrerie historique datant du 18e siècle. Photo: Facebook Centre International d'Art Verrier

Un des juges a complimenté le complexe en disant: «Il s’agit d’une intervention magnifiquement exécutée qui célèbre l’histoire de la ville et tente de réinventer la cour en tant qu’agent de liaison entre les bâtiments et la ville.»

Ailleurs, en Angleterre, la firme van Heyningen & Haward Architects a reçu le prix Réinvention 2023 de l’Institut royal des architectes britanniques (RIBA) pour l’école secondaire Houlton, qui fera partie d’un nouveau quartier résidentiel sur le site d’une ancienne station de radio.

L’école secondaire Houlton fera partie d’un nouveau quartier résidentiel sur le site d’une ancienne station de radio. Photo: James Brittain, Facebook Royal Institute of British Architects

Il s’agit de la première récompense du genre décernée par l’organisme professionnel. Le prix met de l’avant les bâtiments qui ont été réutilisés de manière inventive pour améliorer leur durabilité environnementale, sociale ou économique.

Le jury a particulièrement apprécié à quel point la conservation minutieuse du bâti et des interventions sensibles ont créé un environnement d’apprentissage dynamique pour les étudiants, tout en faisant habilement le pont entre passé et présent.