Ruth Glennie (1929-2018) pour General Motors, Corvette Fancy Free, 1958. Allemagne, collection Jürgen Reimer. Photo General Motors LLC

Parall(elles): célébrer le design au féminin

Le design, un univers largement dominé par les hommes, n’a pas toujours été tendre envers les femmes. Le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) entend corriger le tir et donner leur juste place aux créatrices avec l’exposition Parall(elles): une autre histoire du design.



Cette collection de près de 250 œuvres et objets réalisés par plus de 200 femmes artistes du Québec, du Canada et des États-Unis annonce pour le MBAM «une nouvelle façon de considérer l’histoire de l’art afin que ses pans négligés soient mis en lumière», selon le directeur général Stéphane Aquin.

La première grande exposition de l’année met ainsi l’accent sur le rôle des femmes dans le monde du design.

«Pendant trop longtemps, le travail des femmes en design a été oublié, occulté, et même ignoré, se désole la conservatrice en chef du MBAM, Mary-Dailey Desmarais. Plusieurs raisons expliquent ce manque de reconnaissance, explique-t-elle. Les inégalités de genre, les normes d’une société patriarcale et l’accès limité à l’éducation professionnelle sont notamment à pointer du doigt.»

Mais on peut également blâmer la définition même du design, qui renvoie au design industriel et exclut les autres formes de création. «C’est pour cette raison que Parall(elles) met de l’avant un concept de design plus élargi, qui englobe les domaines du textile, de la céramique, du verre, de l’orfèvrerie, de la joaillerie, du mobilier, des produits de consommation, du graphisme, de la mode, du design intérieur en plus du design industriel», souligne Mary-Dailey Desmarais.

Cette dernière ajoute que bien avant que les femmes aient le droit de vote, bien avant qu’il soit acceptable qu’elles travaillent à l’extérieur de la maison, elles trouvaient des façons innovantes de pratiquer leur art. «Cette collection révèle pour moi l’impact de femmes sous-représentées et invisibles sur le design et la culture.»

Sortir de l’ombre

La collection développée par la commissaire de l’exposition Jennifer Laurent, en collaboration avec la Fondation Stewart, célèbre le design féminin sous toutes ses formes. Le parcours amène les visiteurs à remonter le temps, du mouvement Arts and Crafts, au tournant du 20e siècle, jusqu’à aujourd’hui.

Le premier a ouvert la porte à de nombreuses créatrices en faisant la promotion du travail artisanal. C’est dans cette section qu’on découvre entre autres les œuvres de Clara Driscoll, qui a été à la tête du service de la taille du verre des studios Tiffany dès 1892. Elle y chapeautait d’ailleurs une équipe de 35 femmes. On peut admirer au MBAM sa lampe de table Peacock, dessinée vers 1905. Les femmes autochtones sont également à l’honneur, puisque l’artisanat était ancré dans leur mode de vie.

Louis Comfort Tiffany (1848-1933), dessin de Clara Driscoll (1861-1944), lampe de table Peacock, vers 1905, fabriquée par Tiffany Studios, New York. MBAM, achat, fonds Claire Gohier, don de Gérald-Henri Vuillien et Christophe Pilaire à l’occasion de l’obtention de leur statut de résidents permanents du Canada, legs Ruth Jackson, don de l’International Friends of the Montreal Museum of Fine Arts, et don de Joan et Martin Goldfarb. Photo MBAM, Jean-François Brière

L’entre-deux-guerres a aussi été une période de nouvelles possibilités pour les femmes. Celles-ci sont de plus en plus présentes dans le design d’intérieur, le textile et la mode, et elles se font timidement une place dans le design industriel. Parmi elles se trouve Jeannette Meunier Biéler, l’une des premières décoratrices d’intérieur professionnelles au Canada. Le magnifique bureau en métal et en verre qu’elle a conçu pour sa demeure familiale est exposé ici.

Jeannette Meunier Biéler (1900-1990), bureau, vers 1932-1933. MBAM, don de Philippe Baylaucq et Sylvie Biéler Baylaucq. Photo MBAM, Jean-François Brière

L’espace consacré au boom de l’après-guerre rappelle l’apport considérable des femmes à cette ère. On y voit par exemple la chaise LCW en bois contreplaqué moulé de Ray et Charles Eames, qui est devenue une véritable icône moderniste. Signe des temps d’alors, malgré sa contribution, Ray a souvent été considérée uniquement comme «la femme de Charles» et son travail est resté dans l’ombre.

Charles Eames (1907-1978) et Ray Eames (1912-1988), chaise LCW [Low-Chair-Wood], 1945-1946 (exemplaire vers 1946), éditée par Herman Miller Furniture, Zeeland (Michigan). MBAM, collection Liliane et David M. Stewart. Photo MBAM, Christine Guest

Cette section permet aussi d’apprendre qu’au milieu des années 1950, General Motors a engagé une équipe de femmes au sein de son service de design d’intérieur, après que leurs études eurent démontré que les femmes influençaient 70% des achats d’automobiles. Ces demoiselles du design ont été à l’honneur du Salon de l’auto féminin organisé par GM en 1958. Le seul prototype à avoir survécu, la Corvette Fancy Free signée Ruth Glennie, trône aujourd’hui dans l’entrée du pavillon Michal et Renata Hornstein. C’est d’ailleurs le premier modèle à offrir des ceintures de sécurité rétractables.

Ruth Glennie (1929-2018) pour General Motors, Corvette Fancy Free, 1958. Allemagne, collection Jürgen Reimer. Photo General Motors LLC

Le design postmodernisme a été grandement influencé par le féminisme. L’artisanat est utilisé par certaines créatrices comme stratégie féministe, et comme façon de protester contre la société patriarcale tout en racontant les histoires des femmes. Les œuvres colorées de Dorothy Hafner et de Faith Ringgold font partie de nos coups de cœur.

Dorothy Hafner (née en 1952), service à café Fred Flintstone, Flash Gordon and Marie Antoinette avec décor Blue Loop with Headdress, 1984 (exemplaire de 1988). MBAM, collection Liliane et David M. Stewart. Photo Annie Fafard

Aujourd’hui, en ce début de 21e siècle, les différentes approches des femmes designers semblent de plus en plus éclatées. Certaines mêlent mode et technologie, d’autres proposent des solutions plus durables en recyclant ou en réutilisant des matériaux. Même si des inégalités persistent, on sent que l’avenir des femmes en design sera plus serein.

Dans l’immédiat, 2023 s’écrira au féminin pour le MBAM. Stéphane Aquin a tenu à souligner que toute l’année de l’institution sera consacrée presque exclusivement à des femmes artistes.