Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.

Transferts fédéraux en santé: sortons de la pensée magique!

Le fédéral doit faire plus en matière de transferts en santé, mais lui demander de verser 25 milliards $ additionnels chaque année revient à lui demander de trouver l’équivalent. Où voulez-vous qu’il le prenne?



Quand il est question des transferts fédéraux en santé, on pense toute de suite à la fable de La Fontaine: la montagne a accouché d’une souris. Ottawa versera 46 milliards $ de plus sur 10 ans – ça ne donne que 4,6 milliards $ de plus par an, à partager entre 10 provinces –, soit un sixième des demandes québécoises!

La pingrerie fédérale est d’autant plus insultante qu’Ottawa a elle-même creusé le trou financier en santé en réduisant unilatéralement sa contribution de 50% qu’elle était en 1977 à 22% actuellement. Les provinces coupent la poire en deux et réclament un niveau de 35%. Ottawa vient d’accepter de hausser ses transferts à… 24%. Pour le Québec, cela représente un milliard $ de plus, alors qu’il en aurait besoin de six ou sept.

Le fédéral doit faire plus, mais les demandes des provinces n’iront nulle part tant qu’on ne sortira pas de la pensée magique. L’argent fédéral, cela n’existe pas en soi. Il s’agit de l’argent que les Canadiens acceptent de lui verser et que le gouvernement fédéral prélève à travers son pouvoir de taxer et d’imposer. Or, demander qu’Ottawa verse 25 milliards $ additionnels chaque année revient à lui demander de trouver l’équivalent. Où voulez-vous qu’il le prenne?

Photo: Depositphotos

Augmenter l’assiette fiscale

Souvenons-nous que le gouvernement conservateur de Stephen Harper a gravement amoindri l’assiette fiscale du gouvernement fédéral en réduisant la TPS de 7% à 6% en 2006, puis de 6% puis à 5% en 2008. Depuis 15 ans, l’écart se chiffre en dizaines de milliards. Le trou en santé est là.

Le Québec a certes profité de la réduction fédérale pour récupérer des points de taxes. Mais en vérité, les Canadiens ne paient probablement pas assez de taxes en regard de tout ce qu’ils exigent. On veut un programme national de garderies, un programme national de soins dentaires, et la guerre en Ukraine est venue nous rappeler à quel point la Défense nationale est sous-financée et sous-équipée.

Quand on compare la fiscalité canadienne à celle de pays auxquels nous nous plaisons à nous comparer (Danemark, Suède, Finlande), on constate que ceux-ci prélèvent jusqu’à 25% de taxe sur la valeur ajoutée (la TVA). La France, à 20%, est même dans la fourchette basse en Europe. Au Canada, le cumul TPS/TVH/TVQ n’excède pas 15%.

Ce manque à gagner est énorme et explique très largement le sous-financement de la santé. Autrement dit, même si Ottawa remontait la TPS à 7%, les Canadiens seraient très en deçà de ce qui se pratique ailleurs.

Avant d’augmenter la TPS de base, Ottawa pourrait évidemment commencer par exercer son pouvoir fiscal (et de contrôle) sur tout le cybercommerce, et notamment la cyberpublicité des grands groupes comme Facebook ou Google, mais ça ne suffira pas.

Il lui serait également possible de taxer plus largement avec un taux réduit. Au Canada, plusieurs grands secteurs d’activités sont détaxés ou exonérés, comme l’alimentation, les produits agricoles, les services financiers, les ventes d’immeubles non neufs. La liste est longue. En Europe, on taxe beaucoup plus large en appliquant des taux réduits sur les services dits essentiels. Ces réductions varient grandement d’un pays à l’autre, mais elles ne sont presque jamais inférieures à 5%.

Un tel système supposerait forcément de bonifier les crédits de taxes pour les moins nantis, mais il s’agirait simplement d’en faire plus et mieux par rapport à la pratique actuelle.

À défaut de taxer davantage pour mieux financer la santé, l’alternative serait évidemment de créer, comme en France, un système de ticket modérateur et d’assurance privée semi-obligatoire en parallèle. Mais l’injustice serait patente, puisqu’une telle démarche reviendrait à transférer aux citoyens la hausse de la charge financière tout en pénalisant les moins nantis. Or, cet argent serait beaucoup mieux géré s’il était plutôt perçu par le gouvernement fédéral et proprement redistribué aux provinces.

Mieux connaître les coûts

Le gouvernement du Québec, lui, devra fournir un effort à deux chapitres.

D’abord, il doit impérativement examiner sa gestion financière de la santé. Bien entendu, dans le contexte d’une société vieillissante, la facture des soins de santé augmente beaucoup plus vite que l’inflation depuis 25 ans. Mais le vieillissement de la population a le dos large: une grosse part de cet accroissement vient du fait que personne ne sait ce que coûte la santé.

Depuis la création de l’assurance maladie en 1970, la santé est gérée comme une assurance universelle, à l’aveugle. L’usager ne sait pas ce que coûte le service qu’on lui offre, et les administrateurs le dispensent, advienne que pourra. Ça coûtera ce que ça coûtera. On donne le service et Québec rembourse.

La logique d’une saine gestion financière voudrait que le système puisse dire au patient: le service que vous avez reçu gratis coûte tant. Or, personne n’est en mesure de le faire nulle part et ce n’est pas normal.

Quand on examine la gestion des comptes publics, il en ressort que l’éducation est nettement mieux gérée, sans doute parce que les Centres de services scolaires (ex-commissions scolaires) ont une réelle autonomie financière. Demandez à n’importe quelle direction d’école combien coûte chacun des services en place et on vous le dira au sou près. Et ces comptes sont publics. Rien de tel n’existe en santé, si bien qu’on n’est pas capable de dire si la chose est bien ou mal gérée.

Cette mécanique financière mériterait d’être étudiée à fond par une commission mixte sur le modèle de la fameuse Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec, dite Commission Parent, créée en 1961. Ou de la Commission d’enquête sur la santé et les services sociaux, dite Commission Rochon, qui date de 1988. Trente-cinq ans plus tard, «on serait dû», comme on dit.

Il n’est pas ici question de privatiser la santé, mais de savoir ce qu’elle coûte et comment faire mieux avec les ressources à disposition. Peut-être qu’il n’y a ni gaspillage ni milliards qui se perdent, mais le fait est qu’on ne le sait pas.

Renforcer les alliances

Le gouvernement du Québec devra également mieux utiliser le Conseil de la fédération, qu’il a lui-même créé en 2003. Ce conseil a un réel pouvoir d’influence, puisque c’est à la suite de sa création que le gouvernement fédéral avait considérablement rehaussé ses transferts en santé en 2004, qui étaient descendus aussi bas que 17%!

Évidemment, on ne refera pas le Canada. Au sein du Conseil de la fédération, le premier ministre du Québec doit coopérer avec des provinces qui se considèrent comme une entité secondaire par rapport au fédéral, alors que le gouvernement du Québec est convaincu du contraire. Mais il n’en reste pas moins qu’il est possible d’activer tout ce beau monde.

Comme l’explique l’ex-ministre Benoit Pelletier, qui avait été l’artisan de ce Conseil, il faut un premier ministre québécois qui en fasse meilleur usage. Or, depuis 11 ans, le Québec ne joue pas toutes ses cartes au sein de ce Conseil.

Le premier ministre Legault veut négocier directement avec Ottawa, mais son rapport de force serait meilleur s’il cultivait davantage ses relations avec les neuf autres provinces, surtout quand elles ont des intérêts communs. Le Conseil de la fédération en est le forum idéal. Son prédécesseur libéral, Philippe Couillard, n’était pas des plus ferrés sur ce plan non plus. Ni Pauline Marois, qui n’a exercé le pouvoir que deux petites années.

Si Québec veut faire plier Ottawa sur les transferts en santé, il devra faire la démonstration qu’il fait déjà bien avec l’argent à sa disposition. Mais il devra aussi resserrer ses liens avec les autres provinces et créer de nouvelles alliances pour améliorer son rapport de force.

 

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Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.