Sécurité piétonnière: une responsabilité partagée

La Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) vient de publier son bilan routier 2022, et voici un chiffre qui donne froid dans le dos: 60% des 79 décès de piétons touchent des personnes de 55 ans et plus. En fait, l’hécatombe est tellement forte qu’elle tire vers le haut un bilan routier désastreux pour les aînés: les 55 ans et plus, qui représentent 35% de la population, comptent pour 45% des 392 morts sur nos routes. Devant pareille hécatombe, le gouvernement du Québec et les municipalités doivent agir. Mais ça ne suffira pas pour rendre nos routes plus sûres tant pour nos aînés que pour tous les autres usagers. Piétons, cyclistes et automobilistes doivent tous adopter des comportements plus respectueux si on veut réduire le nombre d’accidents et assurer une meilleure cohabitation.



Puisque les piétons meurent ou sont blessés principalement dans les rues, c’est d’abord l’organisation des villes qu’il faut revoir. Car il y a un problème de cohabitation avec la voiture et le vélo (même si les statistiques concernant la bicyclette sont inexistantes).

Bizarrement, la ville où l’on marche le plus, Montréal, s’en tire plutôt bien. Sur les 20 décès piétonniers enregistrés sur toute l’île de Montréal, seulement 9 (45%) touchaient les 55 ans et plus. La Montérégie fait nettement moins bien, avec autant de décès dans cette tranche d’âge sur un total de 13 (soit 69%). Même si les statistiques régionales sont presque anecdotiques, les aînés sont lourdement affectés partout. En Mauricie, ils comptaient pour 100% des 5 décès piétonniers en 2022.

Les villes doivent donc mieux organiser leurs structures et leur mobilier pour favoriser la sécurité des aînés – dont les enjeux sont en fait très similaires à ceux de certaines autres clientèles comme les handicapés. Des pâtés de maisons trop longs, des signalisations mal faites, des feux piétonniers trop courts exposent les gens et les encouragent à prendre des risques. Si les rapports de police tendent à montrer que les torts se répartissent également entre piétons et automobilistes, ces mêmes rapports ne considèrent que le dernier comportement fatal – celui du piéton impulsif qui a traversé au mauvais endroit. Reste le problème du passage piétonnier à 300 mètres de là! Un 300 mètres aller-retour problématique quand on a de la difficulté à marcher ou à porter des paquets, quand il pleut à torrents ou que les trottoirs sont glacés.

Actuellement, les politiques d’aménagement des villes font qu’elles ne sont pas favorables aux personnes âgées, et à toutes les personnes à mobilité réduite. Cela suppose plus de feux avec compte à rebours, de feux jaunes piétonniers, de marquage adéquat. Et il faut des transports en commun accessibles, à commencer par le métro, dont seulement 13 des 68 stations montréalaises sont accessibles aux personnes à mobilité réduite.

Puisque les piétons meurent ou sont blessés principalement dans les rues, c’est d’abord l’organisation des villes qu’il faut revoir. Photo: Depositphotos

La part de Québec

Si les villes doivent agir, il ne faudrait pas que le gouvernement du Québec s’en lave les mains. Il faut d’ailleurs se réjouir de son intention de mieux encadrer les «faux» vélos électriques dont la vitesse dépasse largement la limite théorique de 30 km/h sur les pistes cyclables. Ces cyclomoteurs doivent absolument être interdits sur les pistes cyclables, où ils frôlent les piétons et les autres cyclistes à des vitesses parfois vertigineuses. À la rue, comme les voitures!

En 2018, lors de la réforme du Code de la sécurité routière, le gouvernement a introduit le principe de prudence, selon lequel tous les usagers de la route doivent agir avec respect envers les plus vulnérables, du plus gros vers le plus petit. Mais selon ce même principe de prudence, les usagers vulnérables sont tenus d’adopter des comportements favorisant leur sécurité.

À ce titre, il est étonnant que le gouvernement n’ait pas développé des statistiques plus fines. Pour la SAAQ, un accident implique forcément un véhicule motorisé. Donc, il n’existe aucune donnée pour tout ce qui concerne les accidents vélo-piéton, vélo-vélo.

La santé publique de la ville de Montréal recueille actuellement des données là-dessus à partir des appels d’urgence. Cela dit, rien n’indique que les collisions non automobiles augmentent dans des proportions épidémiques, contrairement aux décès par voiture, mais il faut reconnaître que les données n’existent pas. (Au Québec, seule la ville de Montréal fournit un bilan des incidents d’emportiérage signalés à la police.)

Les statistiques ne sont pas faciles à interpréter. Si le nombre de décès a augmenté de plus de 15% en 2022 par rapport à 2019 (dernière année avant la COVID), la statistique sur le nombre d’accidents graves et légers est inverse: 15 % de moins! C’est la bonne nouvelle du bilan routier de 2022. Pourquoi? On n’en sait rien. Pas plus qu’on ne s’explique pourquoi les 55 ans et plus comptent pour 60% des piétons tués, mais pour seulement 35% des piétons victimes de blessures graves ou légères. Manifestement, les analyses fines des comportements restent à faire.

Pour la SAAQ, un accident implique forcément un véhicule motorisé. Donc, il n’existe aucune donnée pour tout ce qui concerne les accidents vélo-piéton, vélo-vélo. Photo: Depositphotos

Un peu de civisme, svp

Mais la densification de l’habitat et les impératifs de lutte au changement climatique qui encouragent les modes de transport alternatif comme le vélo et la marche vont forcément créer un nouvel espace de friction, en particulier dans la ville. Ce qui veut dire que les automobilistes ne seront pas les seuls à devoir faire un effort de civisme.

Qui ne s’est pas fait frôler ou surprendre en marchant par un bolide à pédales? Pour quiconque a marché dans sa ville, il ne fait aucun doute qu’il existe une frange de cyclistes qui se croient tout permis et chez qui la courtoisie la plus élémentaire envers les piétons (et parfois envers les automobilistes) est inexistante. Chez Vélo Québec, on reconnaît qu’il faudrait intervenir quant au respect des piétons aux débarcadères d’autobus, quand ceux-ci doivent traverser une piste cyclable, où ils devraient avoir la priorité.

Il est notable depuis cinq ou six ans qu’on observe de plus en plus de cyclistes qui attendent patiemment au feu rouge, même quand il n’y a aucune voiture – ce que l’on ne voyait jamais il y a dix ans. Malheureusement, trop de cyclistes ne respectent toujours pas encore la signalisation ou adoptent des comportements interdits, comme de rouler avec des écouteurs, en textant, sans signaler leurs virages ni respecter les panneaux d’arrêt ou les feux rouges. Sans compter ceux qui, ayant trop bu, jugent moins dangereux de prendre leur vélo que leur voiture!

Bref, tous les usagers de la route doivent développer de nouveaux réflexes. Il y a 40 ans, les automobilistes ont dû apprivoiser la ceinture de sécurité. En 2023, c’est l’ouverture pivot, dite «technique hollandaise», qui consiste à ouvrir la portière avec le bras droit, ce qui annule l’angle mort, et réduit le risque d’emportiérage. Mais il n’y aura pas de véritable sécurité tant que les cyclistes et les piétons ne développeront pas des comportements réflexes appropriés.

Mais les urbanistes et les ingénieurs en transport devront, eux aussi, développer de nouveaux réflexes de pensée devant de nouvelles réalités. Si les piétons traversent à des endroits dangereux, la solution n’est pas de leur coller des amendes, mais de considérer l’aménagement. Si des cyclistes roulent sur le trottoir, c’est en général l’indicateur qu’ils ne se sentent pas en sécurité sur la chaussée. D’ailleurs, quand la piste cyclable est présente, les cyclistes disparaissent du trottoir.

Mais il y a tout de même des limites au principe de prudence et aux possibilités d’un meilleur aménagement. Les statistiques suggèrent que le principal risque vient toujours de l’automobile, dont le niveau de dangerosité est proportionnel à la taille: les véhicules lourds représentent 5% de la flotte automobile québécoise, mais ils causent 25% des décès. Donc, le principe de prudence devrait toujours s’appliquer – pour tout le monde.

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.