Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.

LE QUÉBEC AU POUVOIR

Depuis la victoire de Justin Trudeau aux élections fédérales, on a beaucoup épilogué sur le retour en force du Québec au gouvernement à Ottawa, une première depuis 22 ans. Mais une nouvelle qui est pratiquement passée sous le radar est pourtant la plus importante: le Québec est ressorti plus fort au sein de tous les partis. Jamais depuis une génération le Québec n’aura eu une telle représentation non seulement au gouvernement, mais aussi dans l’opposition.

Certes, le Nouveau Parti démocratique (NPD) a pris une claque terrible qui a ramené sa députation au niveau de 2008. À une différence près: le NPD, c’est maintenant 25% de l’électorat québécois et 16 des 44 députés néo-démocrates. Le point de vue des Québécois pèsera donc comme jamais dans l’histoire de ce parti. La défaite néo-démocrate de 2015 signale en fait la consolidation du NPD dans le paysage québécois. Souvenez-vous qu’en 2008, Thomas Mulcair avait été le premier néo-démocrate élu au Québec depuis des lustres. Le raz-de-marée électoral de 2011 avait permis les espoirs les plus fous, mais cette victoire était bâtie sur du sable. La position néo-démocrate au Québec repose désormais sur de meilleures assises.

Au Parti conservateur, le Québec est la seule province où ce parti a vu son nombre de députés augmenter – de 5 à 12. Le Québec voit son poids relatif dans la députation conservatrice passer de 3% à plus de 12% des députés. On n’en est toutefois pas au niveau des belles années Mulroney: en 1988 la députation conservatrice québécoise dépassait même celle de l’Ontario. Mais cela signifie qu’à l’heure du bilan électoral, alors que les conservateurs devront choisir leur nouveau chef, les Québécois pèseront davantage dans les débats internes et la culture du parti.

Quant au Bloc Québécois, il passe de 4 à 10 députés. Certes, son pourcentage de voix a encore chuté – de 23 à 19% – et le statut de parti reconnu lui échappe encore, pour l’instant. Mais le Bloc n’est pas ressorti affaibli de cette élection et son nouveau chef aura une meilleure assise pour le rebâtir.

Ces évolutions ne sont pas un accident électoral. On peut même dire que le retournement de 2011 – alors que les électeurs avaient abandonné massivement le Bloc pour un parti national – s’est approfondi. Au Canada, le taux de participation, de 68%, est le plus fort depuis 1993. Au Québec aussi, le taux de participation, de 66%, est aussi le plus fort depuis cette période.

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On assiste donc à une consolidation générale de la position québécoise à Ottawa. On peut même parler d’une nouvelle ère politique et pas seulement à cause du retour de la Trudeaumanie. Jusqu’en 2019 au moins, le Québec aura voix au chapitre partout.

Néanmoins, les dividendes les plus immédiats viendront du fait que le Québec – et Montréal en particulier – a fortement contribué à l’élection d’un gouvernement libéral majoritaire.

Ce qu’on gagne à être au pouvoir est subtil, parce que le premier ministre doit gouverner pour tous les Canadiens et ne peut pas, en apparence, trop favoriser sa province. Le Québec, avec ses 40 députés libéraux, ne compte que pour la moitié de la députation libérale ontarienne. Et les provinces atlantiques, devenues monoculture libérale avec 32 députés sur 32, pèseront presque autant.

Mais le Québec aura des députés solides, dont un premier ministre à qui on n’aura pas à expliquer un certain nombre de choses – à commencer par la nécessité du bilinguisme ou l’importance de la métropole québécoise. Et il y aura 40 députés québécois – un peu moins que le quart – pour faire entendre raison aux 144 autres. Dans le dernier gouvernement conservateur, ils étaient 5 sur 166. C’était un peu mieux durant les années Chrétien-Martin, mais pas fortiche non plus.

Certains feront valoir que le recul progressif de la cause indépendantiste au Québec rendra les députés québécois moins «efficaces» du fait de l’absence d’une «menace» crédible – ce que l’on appelait la bonne vieille stratégie du «couteau sur la gorge». Mais c’est parce que les Québécois ont choisi de jouer le jeu autrement.

En renforçant leur position dans tous les partis, les Québécois ont servi un avertissement subliminal aux libéraux: ceux-ci ne pourront pas les tenir pour acquis. L’Ontario a toujours excellé à ce petit jeu. En démocratie, il est toujours utile qu’un gouvernement n’oublie pas qu’il est assis sur un siège éjectable et que ce n'est pas vraiment lui qui est aux commandes.

 

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Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.