Crise du logement: protéger les aînés et développer le sociocommunautaire

Tandis que la ministre de l’Habitation France-Élaine Duranceau réarrange les chaises sur le pont du Titanic, le paquebot du logement social et communautaire coule, inexorablement.



Le projet de loi 31 qui modifie certaines dispositions du droit du logement ne réglera absolument rien au problème de fond, qui est celui du déficit de logements sociaux, qui continue de se creuser. Alors que les aînés occupent près de la moitié des 50 000 places des organismes à but non lucratif (OBNL) d’habitation, il est urgent que le gouvernement réédite la grande Corvée-Habitation du logement social et communautaire. Mais dans l’immédiat, il devra faire un effort pour mieux protéger les locataires vulnérables.

Actuellement, 100 000 ménages québécois consacrent plus de 50% de leur revenu au logement et plusieurs centaines de milliers dépensent plus de 30% de leur revenu pour se loger. Or, faut-il le rappeler, ce seuil de 30% est celui où les banques refusent de prêter parce que la viabilité financière des emprunteurs est atteinte. Mais les locataires, eux, n’ont pas le choix et se font littéralement manger la laine sur le dos par des propriétaires trop gourmands, pour ne pas dire cupides.

Dans une société qui se veut un modèle social, il est intolérable qu’un gouvernement laisse ainsi pourrir la situation des loyers. Il doit absolument convier les acteurs sociaux afin d’établir des politiques susceptibles de régler les problèmes. Malheureusement, il ne les consulte même pas. Le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) n’a rencontré personne au gouvernement depuis 2018! Et depuis sa nomination en 2022, la nouvelle ministre de l’Habitation n’a pas consulté le Réseau québécois des OSBL d’habitation.

Actuellement, 100 000 ménages québécois consacrent plus de 50% de leur revenu au logement et plusieurs centaines de milliers dépensent plus de 30% de leur revenu pour se loger. Photo: Sigmund, Unsplash

Les mesures immédiates

Comme le déficit de logement ne se réglera pas avant plusieurs années et que l’appât du gain facile généralisé porte atteinte quotidiennement au bien-être des locataires les plus vulnérables, la mesure la plus immédiate serait que le gouvernement joue mieux le rôle d’arbitre qui est le sien et instaure une réelle politique de contrôle des loyers.

Un registre des loyers

Actuellement, le Tribunal administratif du logement (TAL), nouvel avatar de la Régie des loyers, fait mal son travail, parce qu’il règle des problèmes au cas par cas. Certes, il instaure des seuils légaux de hausse annuelle des loyers, que les propriétaires ignorent sciemment. Et le bail qu’il administre est rempli de règles qui ont du sens. Sauf que trop de propriétaires font fi des règles en place, et même de la loi.

Pourtant, le gouvernement dispose de tous les outils pour exercer un contrôle des loyers plus ferme, notamment parce qu’il impose déjà aux propriétaires de remettre aux locataires un relevé 31. Cependant, ce formulaire informatisé se borne à ne demander que les noms et les adresses. Il suffirait que le propriétaire indique le prix du loyer pour créer un véritable registre universel des loyers, que réclament tous les acteurs sociaux et presque tous les maires des plus grandes villes du Québec.

Ce registre permettrait plusieurs choses. D’abord, les locataires disposeraient enfin d’une information fiable sur le loyer du locataire précédent. Il permettrait aussi de s’assurer qu’un propriétaire n’impose pas des hausses injustifiées. Le gouvernement pourrait également mieux contrôler si les conditions légales d’une éviction ont bel et bien été respectées. Le gouvernement serait également à même d’instituer un système d’amendes et de dédommagement pour pénaliser les propriétaires fautifs. Mis à part l’embauche de fonctionnaires, de telles mesures ne coûteraient pas des milliards à l’État. D’autant que les systèmes informatiques permettent de faire des analyses de dossiers sans même se lever de sa chaise.

Le gouvernement doit également faire l’effort d’instituer une véritable politique d’information afin de communiquer aux locataires les protections légales dont ils bénéficient et obliger les propriétaires à se conformer aux règlements. Une mesure simple serait tout simplement que le propriétaire soit tenu de remettre un feuillet d’information avec son relevé 31.

Protéger les 65 ans et plus

L’autre mesure à mettre en place consiste à lutter contre les «évictions pour rénovations», en particulier chez les aînés. Depuis 2016, le Québec dispose d’une loi qui interdit d’évincer les locataires âgés de plus de 70 ans qui habitent depuis plus de 10 ans dans le même appartement. Il s’agit toutefois de limites arbitraires. En toute justice, il faudrait que le gouvernement réduise la limite d’âge à 65 ans, qui est l’âge légal de la retraite. Et comme les locataires ont toutes les chances d’avoir été évincés fréquemment, la durée d’occupation devrait être réduite à cinq ans.

La troisième mesure à instituer sera d’élargir le crédit d’impôt pour maintien à domicile. Actuellement, celui-ci inclut les services alimentaires de résidences privées pour aînés (RPA). On compte au Québec 500 OBNL d’habitation voués aux aînés. Il s’agit de petits organismes, souvent régionaux, qui logent en moyenne 50 aînés. Or, seulement 195 de ces 500 OBNL ont le statut de RPA, ce qui les autorise à inclure leurs services alimentaires dans le crédit d’impôt de maintien à domicile. Les autres OBNL d’habitation ne peuvent pas le faire, et cela constitue une mesure discriminatoire. Cette situation doit être corrigée.

Une grande Corvée-Habitation 2.0

Le moment ne peut pas être meilleur pour lancer un grand chantier de logement social et communautaire, une sorte de grande Corvée-Habitation dans l’esprit de celle entreprise il y a 40 ans pour une tout autre raison (les taux d’intérêt annuels frôlaient alors les 20%).

Les circonstances sont idéales, car depuis la fin de l’année 2022, le secteur de la construction est en net recul. Le nombre des mises en chantier est retombé au niveau de 2015! Il n’y a donc plus de surchauffe dans l’industrie de la construction et c’est donc le moment de lancer un projet ambitieux.

Comme nous l’écrivions dans un autre éditorial, le Québec a besoin de tous les types de logements (maisons unifamiliales, condos, appartements, etc.), mais là où le besoin est le plus criant, c’est du côté du logement social dont les promoteurs seraient des OBNL et des coopératives plutôt que des entreprises à but lucratif.

Au Québec, le logement social et communautaire ne représente que 5% du parc immobilier, contre 17% en France et 30% aux Pays-Bas – et jusqu’à 50% à Vienne, en Autriche. Toutefois, seul le logement social et communautaire, bâti et administré par des OBNL et des coopératives, est en mesure d’assurer l’accessibilité à des logements abordables à long terme.

C’est nécessaire parce que 83% des résidents d’OBNL d’habitation gagnent moins de 20 000$ par année: ils n’ont tout simplement pas les moyens de résider dans des appartements exploités par des propriétaires privés qui ne visent que le profit. Et c’est le cas de très nombreux retraités – dont 65% d’entre eux ne bénéficient d’aucun régime de retraite.

Sur ce point, il faut applaudir l’initiative de la Ville de Montréal, qui a innové en exerçant son droit de préemption sur 101 maisons de chambres dans neuf arrondissements. En d’autres termes, du moment que les propriétaires voudront vendre, la Ville pourra acquérir l’immeuble pour le rénover et le remettre ensuite à un OBNL d’habitation ou à une coopérative, ce qu’elle vient justement de faire pour deux immeubles, qui seront revendus à des OBNL après rénovation.

De même, il faut également admettre que c’est le gouvernement du Québec qui soutient, à hauteur de 350 millions $, l’initiative du Fonds de solidarité FTQ et de Desjardins pour bâtir ou rénover 2 900 logements abordables d’ici 2025.

Mais ces efforts ne représentent qu’une petite part des besoins. Les programmes actuels financent l’équivalent de 5 200 nouveaux logements sociaux et communautaires sur 5 ans, alors qu’à elles seules, Montréal et Québec ont besoin de 2 500 unités par année.

Malheureusement, le gouvernement a très mal orienté sa politique en sabordant le programme AccèsLogis, qui était pourtant un modèle du genre au Canada et à l’échelle continentale. Il l’a remplacé par le Programme d’habitation abordable Québec (PHAQ), qui constitue en fait une inflexion draconienne de sa politique. AccèsLogis était voué au logement social et communautaire alors que le PHAQ vise plutôt le logement abordable sous toutes ses formes, y compris le logement à but lucratif.

Or, rappelons-le, le logement abordable qui n’a pas de vocation sociale ne garantit absolument pas des loyers abordables de manière durable. Le PHAQ subventionne donc la construction de logements «abordables» qui ont toutes les chances de devenir inabordables quand les lois du marché prévaudront.

Certes, les OBNL et les coopératives ont le droit de déposer au PHAQ des projets à vocation sociale, et donc abordables. Mais le gros du PHAQ va soutenir tous les projets indifféremment: il réserve même le tiers de son budget de 500 millions à des projets à but lucratif.

En toute logique, ce devrait être le contraire: une large part du PHAQ aurait dû être réservée aux promoteurs sociocommunautaires.

Le plus bête de la situation actuelle, c’est que le PHAQ est en train de développer la même lourdeur bureaucratique que le gouvernement Legault reprochait au programme AccèsLogis. Alors même que le PHAQ vient tout juste de recevoir une deuxième fournée annuelle de nouveaux projets, celui-ci commence tout juste à autoriser les premiers projets de la première année, qui n’ont pas encore levé de terre! Bref, c’était long avec AccèsLogis et il y a gros à parier que ce sera aussi long avec le PHAQ.

Une des raisons de cette lourdeur tient aux pratiques budgétaires: le gouvernement autorise habituellement des projets en décembre, puis il annonce les fonds à son budget en mars, et il libère l’argent à l’automne… quand les prix ont augmenté de 7-8%! Il faut alors reprendre tout l’exercice budgétaire. Et c’est reparti pour une autre année. C’est ainsi que de trop nombreux projets d’OBNL d’habitation et de coopératives voient leur financement repoussé d’année en année sur 4, 6 ou 8 ans.

Il faut absolument que le gouvernement mette en place des mécanismes qui vont encourager et accélérer la construction de projets sociocommunautaires, seuls susceptibles de garantir des loyers abordables à long terme pour les clientèles vulnérables, comme les aînés.

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.