Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.

Budget fédéral: économiser sur le dos des aînés

Le budget du gouvernement fédéral présenté jeudi dernier fait bien pire que de simplement renier ses promesses électorales aux aînés. En réalité, il économise quelques milliards de dollars sur leur dos.



L’inflation n’a jamais été aussi élevée depuis 30 ans, mais que fait la ministre des Finances Chrystia Freeland pour les prestataires de la Sécurité de la vieillesse? Rien. Nothing. Nada. Zilch. Pourtant, ces rentes déjà insuffisantes constituent l’essentiel du revenu pour les aînés ayant peu d’épargnes.

La décence aurait voulu qu’elle indexe la pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV) et le Supplément de revenu garanti (SRG) de 5% pour tenir compte de la hausse des prix des aliments, du pétrole, du logement. Mais en s’abstenant de le faire (ou même de mentionner pourquoi elle ne le fait pas), la ministre économise les milliards par attrition.

Combien de milliards? Environ 4 milliards $. La Sécurité de la vieillesse est le plus gros programme du gouvernement fédéral, à hauteur de plus de 68,5 milliards $, lit-on dans le budget. En tout, 6,9 millions de Canadiens sont prestataires de la pension de base (maximum de 648$ par mois), mais un tiers d’entre eux reçoivent également le SRG (maximum de 948$ par mois). Comme tout le monde s’enligne pour une inflation de 5% en 2022, la non-indexation de la Sécurité de la vieillesse assure une grosse économie au gouvernement.

À l’été 2021, le gouvernement fédéral avait accordé 500$ supplémentaires aux aînés de plus de 75 ans, une mesure que le Réseau FADOQ avait décriée vertement. Car en plus de ne rien régler avec ce cadeau ponctuel, Ottawa a inventé deux classes d’aînés, les «jeunes aînés» de moins de 75 ans et les «aînés des aînés», auxquels le gouvernement réserve désormais des traitements différents alors que leur réalité est pourtant la même.

Face à l’inflation, la décence aurait voulu que la ministre Freeland commence par majorer les prestations du SRG, puisque ces prestataires touchent moins de 20 000$ par an. C’est d’ailleurs pourquoi le Parti libéral s’était engagé à le faire dans son programme électoral de l’automne dernier. Promesse non tenue!

Parmi les autres reniements que dénonce le Réseau FADOQ, il y a le crédit d’impôt pour prolongation de la carrière – autre promesse figurant en toutes lettres dans le programme et qui visait à réguler la pénurie de main-d’œuvre. Et il «oublie» également de rendre remboursable le crédit d’impôt pour les proches aidants, alors qu’il s’était engagé à le faire. (Rappelons ici qu’un crédit d’impôt non remboursable aide surtout ceux qui gagnent assez pour payer beaucoup d’impôt, mais ceux qui gagnent le moins, et qui en auraient le plus besoin, ne récoltent que des miettes. Un crédit remboursable restaure l’équilibre.)

Et sur le front de la santé, le gouvernement fédéral n’a rien fait non plus pour augmenter les transferts en santé alors que les provinces réclament 28 milliards $.

La COVID, pour laquelle le gouvernement fédéral a dû allonger 63 milliards $ d’aide spéciale, a été le révélateur de tout ce qui n’allait pas dans le régime de santé au Québec et au Canada. Le problème de fond se ramène au fait que le gouvernement fédéral sous-finance depuis 40 ans un programme qu’il a pourtant créé et imposé à toutes les provinces. Pour redresser ses finances dans les années 1990, Ottawa avait radicalement réduit ses contributions sans s’excuser. Depuis, les gouvernements fédéraux cherchent le moyen de verser davantage tout en liant les fonds à leurs priorités, alors que les gouvernements de toutes les provinces réclament l’argent sans condition.

Photo: Depositphotos

Quelques fleurettes quand même

Il n’y a pas que du mauvais dans ce budget. Par exemple, les 4 milliards $ pour la construction de 100 000 logements abordables à travers le pays (dont environ un quart au Québec) sont un geste concret qui répond à un réel besoin.

Ce geste fédéral souligne à gros trait le gaspillage auquel se livre le gouvernement du Québec. Pour mémoire, rappelons que le ministre québécois des Finances, Eric Girard, va consacrer 3,4 milliards $ à faire un chèque à presque tous les Québécois pour lutter contre l’inflation, une mesure que nous avions dénoncée dans le précédent éditorial. Le geste de la ministre Freeland démontre que le gouvernement québécois aurait très bien pu construire 100 000 logements abordables au Québec — s’il l’avait voulu. Il aurait ainsi pu satisfaire un besoin criant tout en luttant de manière structurelle contre l’inflation.

Parmi les autres mesures bienvenues annoncées par la ministre Freeland, il faut aussi saluer la création d’un «programme national de soins dentaires», pour 2023, et sur lequel on n’a presque aucun détail si ce n’est que les aînés gagnant moins de 90 000$ y auront droit. (Mentionnons toutefois que ce programme est une nouvelle illustration de la générosité «sélective» du gouvernement fédéral, qui rogne sur les transferts en santé aux provinces, mais qui impose de nouvelles contraintes quand il met de l’argent!)

Ce deuxième budget Freeland comporte quelques autres rognures intéressantes. Le nouveau «crédit d’impôt pour la rénovation d’habitations multigénérationnelle» remboursera la construction d’un logement secondaire pour aîné à hauteur de 15%, pour un maximum de 50 000$. C’est bien, mais considérant le coût des travaux actuellement, le maximum n’est pas très élevé et un crédit de 15% couvre tout juste les taxes. Chrystia Freeland promet aussi 20 millions $ sur deux ans pour élargir le programme Nouveaux Horizons pour les aînés, qui vient appuyer les projets communautaires.

C’est bien gentil, mais ces quelques programmes représentent de la petite bière en regard des 4 milliards $ d’économies que le gouvernement fédéral réalisera cette année sur le dos des aînés.

 

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Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.