Voyager en train au Canada
Il y a les trains qu’on prend pour se rendre d’un point A à un point B et ceux qui constituent des destinations en soi. Si, ailleurs dans le monde, les TGV permettent de sauver du temps, au Canada, le train nous rappelle plutôt à quel point la lenteur peut être délicieuse... si l’on est dans le bon état d’esprit pour l’apprécier.
Le train est pour moi beaucoup plus qu’un moyen de transport. C’est une machine qui me permet de remonter le fil de mes souvenirs. Un endroit magique où j’ai tout le loisir de m’en créer de nouveaux. Une bulle où le temps s’arrête. Un trait d’union dans lequel j’aime me lover, suspendue entre deux destinations, entre deux chapitres.
Au Canada, dans certains secteurs, les téléphones cellulaires ne captent aucun signal (les réseaux ne cessent de s’améliorer, remarquez). Prendre le train devient alors le meilleur prétexte pour décrocher. «N’essayez même pas de me joindre, je serai dans le train!» Moi, l’ultra-connectée, j’adore l’idée de disparaître ainsi dans la nature pendant quelques heures, voire quelques jours.
J’ai pris un nombre incalculable de trains en Asie comme en Europe. J’ai parcouru la France et l’Espagne seule, enceinte de presque six mois, par la voie ferrée. J’ai un jour quitté la grisaille montréalaise d’octobre pour retrouver les feuilles colorées toujours accrochées aux arbres en filant vers New York. J’ai opté pour les rails dès que ma fille a eu environ trois mois pour aller rendre visite à ma famille au Lac-Saint-Jean. J’ai traversé le Canada de long en large, de Toronto à Vancouver, de Winnipeg à Churchill, de Montréal à Halifax et de Montréal à Senneterre seule, en famille, avec amis ou des collègues.
On me donne le choix entre le train et l’avion? Je choisis le premier sans hésiter. Oui, même au Canada, où les retards sont fréquents parce que les trains de marchandises ont priorité sur les trains de passagers. D’ailleurs, même s’il faut passer par le Lac-Saint-Jean pour se rendre au Saguenay et qu’en une vingtaine d’années à emprunter cet itinéraire, le nombre de fois où le train est arrivé à l’heure prévue se calcule sur une seule main, je viens d’acheter à nouveau des billets pour Jonquière. J’ai beau avoir fait le trajet des dizaines de fois, en train, je découvre toujours quelque chose de nouveau.
Le paysage se transforme au fil des saisons. L’été, des pêcheurs descendent à des endroits où aucune route ne se rend. L’automne, des groupes de chasseurs chahutent dans les wagons. Pendant les congés scolaires, les enfants se dégourdissent les jambes dans les allées. Il y a la vie dehors, et de la vie dedans.
Oublier l’heure
Au Canada, on sait à quelle heure le train part, mais jamais à quelle heure il arrivera. Si l’objectif est de se rendre à destination le plus rapidement possible, c’est l’horreur. Mais pour les amoureux du mouvement, l’aventure a quelque chose d’apaisant. Jamais mes pensées n’arrivent à se fixer aussi bien qu’en plein déplacement. Le rythme du train me force à ralentir le mien, d’ordinaire happé par le tourbillon du quotidien.
C’est aussi le moment de faire descendre la pile de livres de ma table de chevet ou de m’attaquer à cette série que je souhaite voir depuis sa sortie. J’apporte de quoi me divertir, tout en restant bien ancrée dans ce lieu où se côtoient des gens de partout.
Des histoires sont là, autour, prêtes à être saisies. Ne voyez-vous pas la fumée s’échapper de cette vieille cabane, de l’autre côté du lac? Comment cette voiture d’une autre époque a-t-elle bien pu se retrouver plantée ainsi au milieu de nulle part? D’où arrivent ces passagers qui viennent de monter à bord alors qu’il n’y a aucune gare à des kilomètres à la ronde? S’ennuyer en train? Il faut presque le vouloir…
À part quand je me rends à Québec ou à Toronto, où l’efficacité est généralement au rendez-vous (tout comme le wi-fi!), je ne prends jamais le train seulement pour aller quelque part. Il me permet aussi de mettre le quotidien entre parenthèses. Que le trajet prenne huit ou douze heures, je ne ressens pas la différence. J’en profite aussi pour faire des cures de sommeil. Qu’est-ce qu’on dort bien, bercé par le roulis du train!
Traverser le pays en train
J’ai eu la chance de passer quatre jours à bord du Canadien il y a quelques années. J’avais une cabine à moi seule (avec toilette et lavabo – douche partagée). J’alternais entre les wagons communs, où j’ai croisé des voyageurs de partout, et les moments de pause à scruter l’horizon dans mon cocon. Encore aujourd’hui, c’est l’un de mes souvenirs de voyage les plus chers.
J’ai aussi parcouru l’Ouest canadien à bord du Rocky Mountaineer à deux reprises, la première fois de Jasper à Vancouver, et la seconde, de Vancouver à Lake Louise. Lorsqu’on prend ce train maintes fois récompensé, on ne dort pas à bord, mais dans des hôtels. Bien que le confortable wagon panoramique et les explications des guides m’aient beaucoup plus, rien ne remplace pour moi l’expérience de vivre jour et nuit à bord.
Le train s’arrête dans des localités dont on n’a jamais entendu parler. Quand le soleil se couche, on se coule lentement dans l’indolence à son tour, pour pouvoir assister à son lever dans un décor différent le lendemain. La fenêtre devient plus divertissante que n’importe quel écran. Et si le train permettait de retrouver le vrai sens du mot «voyage»?...
Tuyaux:
- Réservez à l’avance permet d’obtenir de meilleurs prix.
- Surveillez les promotions de Via Rail, notamment celles du mardi.
- Le billet le moins cher pour traverser le pays de Toronto à Vancouver coûte environ 500$ (aller simple – sans repas, avec un simple siège). Le plus cher? Plus de 7000$ dans la Classe voiture-lit prestige (pour le même trajet en occupation double – repas inclus).
- Ne prévoyez rien peu après l’heure prévue d’arrivée, parce que les trains sont rarement à l’heure!
- Il y a deux classes à bord du Rocky Mountaineer: Goldleaf et Silverleaf. Forfait à partir de 1700$ pour deux jours et une nuit (en occupation double).
- Un programme permet aux musiciens de traverser le Canada gratuitement en échange d’une prestation. Un exemple, lors d’un trajet entre Halifax et Montréal :
- Je ne pars jamais sans des bouchons pour les oreilles et des écouteurs pour mettre la musique à fond si les passagers sont trop bruyants.
- La gastronomie n’est pas toujours au rendez-vous. À bord du Rocky Mountaineer, elle est au cœur de l’expérience. Pour les longs trajets avec Via Rail, on se régale aussi (à part en classe économie, où les repas ne sont pas inclus). En classe Affaires entre Québec et Montréal ou entre Montréal et Toronto, on mange franchement très bien. Mais mieux toutefois vaut apporter des provisions si l’on effectue Montréal-Senneterre, Montréal-Jonquière ou Winnipeg-Churchill… Idem pour Montréal-New York. On vend bien quelques plats à bord, mais disons qu’ils s’apparentent à ceux qu’on nous sert dans les avions en classe économique…