La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Notre-Dame de Paris et d’ici

«Cette cathédrale, nous la rebâtirons.» Je ne sais pas précisément pourquoi c’est à ce moment du discours d’Emmanuel Macron que j’ai fondu en larmes, après des heures à regarder brûler Notre-Dame de Paris en direct.



Peut-être parce que Notre-Dame est le tout premier monument que j’ai visité en France. Peut-être parce qu’il m’a servi de repère tant de fois au fil des ans. Peut-être à cause de tous ces livres, de toutes ces toiles et même des chansons de la comédie musicale qui porte son nom, que j’ai pourtant détestées à l’époque où elles jouaient en boucle dans toutes les radios de la francophonie.

Peut-être parce qu’au-delà de son rôle religieux, elle est le symbole de cette ville que j’aimais profondément avant même d’en fouler le sol, comme plus de 85 millions de touristes chaque année. Peut-être aussi parce que les flammes ont emporté beaucoup plus qu’une flèche et un toit, si emblématiques soient-ils, à un moment où Paris accumule les coups durs.

Photo: Pixabay.com

Histoires de cœur

Notre-Dame n’est pas qu’une cathédrale, c’est l’Histoire. C’est plusieurs histoires. Celle de ses murs, érigés dès 1163 et complétés au 13e siècle, puis sauvés par le roman de Victor Hugo en 1831. Celles des générations de Parisiens qui l’ont vue veiller sur eux.

Ce sont les nôtres, aussi. Les histoires qu’on y a vécues comme celles qu’on aurait voulu y vivre. Combien de prières, de promesses d’amour ou de moments de pur ravissement ont eu lieu entre ses murs?

«La première fois que j’y suis entrée, c’était en 1988, raconte l’écrivaine Marie-Christine Bernard. Mon premier syndrome de Stendhal. Il y en a eu d’autres... Mais à ce moment, étourdie, je me suis accrochée à une grande colonne de pierre et j’ai sangloté comme une enfant. Qu’est-ce qui me choquait à ce point? La lumière de la grande rosace? Le silence percé par les échos répétés des appareils photo? Non. C’est la prise de conscience, je crois, qu’en ces lieux flottaient, quasiment palpables, plus de 800 ans de prières, d’actions de grâce, de tristesses, de joies, de recueillement et de secrets. Cette présence diffuse des milliers d’individus venus là se recueillir ou s’abriter depuis tout ce temps. De ces centaines d’ouvriers, maçons, charpentiers, verriers, peintres, sculpteurs qui, sur plusieurs générations, portés par quelque chose de plus grand qu’eux, ont œuvré là.»

Françoise Genest, notre rédactrice en chef d’Avenues.ca, s’apprêtait pour sa part à s’y rendre enfin, après avoir rêvé de pénétrer son enceinte depuis l’enfance. «J’avais dix ans quand j’ai découvert Notre-Dame dans une encyclopédie, écrit-elle. Des romans de Jeanne Bourin et d’autres auteurs, en passant par mes cours d’histoire de l’art et les je-ne-sais-combien de documentaires sur le sujet, j’ai toujours rêvé de la visiter. Mes voyages m’ont amenée en Égypte, en Syrie, au Liban, à Chypre, en Italie, en Belgique et j’en passe, mais étrangement, la vie a fait en sorte que j’ai toujours dû reporter mon voyage en France. J’y vais cette année! Dix jours à Paris et une semaine dans la Loire... mais Notre-Dame que j’allais enfin voir... flambe... sous mes yeux, dans mon ordi, et mon cœur saigne, ce trésor du patrimoine mondial, cette trace forte du Moyen Âge et de ses bâtisseurs, ce joyau d’architecture et d’histoire... je ne peux pas vous dire ma tristesse.»

Photo: Hannah Reding, Unsplash

Un deuil collectif

L’animateur et auteur Stéphane Bern a multiplié les entrevues au cours de la journée. À Anne-Marie Dussault, à RDI, il a rappelé qu’au-delà de tous les grands événements de l’histoire qui s’y sont déroulés, le lien qui unit le bâtiment aux Français est beaucoup plus profond. «C’est comme un livre d’histoire réduit en cendres.»

Visiblement ému, il a ajouté: «Ça nous ramène à notre condition de mortel. Même s’il faut 40 ou 50 ans pour reconstruire Notre-Dame, je ne serai pas là pour la voir. Je pense que tous les Français ont ce sentiment d’avoir perdu quelqu’un qu’ils aimaient profondément.»

Voir tous ces gens rassemblés autour de ce symbole d’une France forte et majestueuse, après des semaines à voir les gilets jaunes saccager la Ville Lumière, ne peut laisser personne indifférent. Unis par la même douleur, Parisiens et touristes – plus d’une douzaine de millions de visiteurs s’arrêtent à Notre-Dame chaque année – avaient les yeux rivés sur les flammes. Toutes les larmes qui ont coulé n’auraient sans doute pas suffi à éteindre le feu qui a consumé 900 ans d’histoire.

«Notre Drame.» Ce titre de Libération en dit plus en deux mots qu’en un journal entier. Car c’est bien de cela qu’il s’agit: un drame sans frontière ni océan, qui nous rappelle nos propres limites et l’importance de la mémoire. Ce «nous» inclusif, tout comme celui d’Emmanuel Macron, m’ont tiré des larmes parce qu’on porte tous en nous un petit bout de Notre-Dame. Et que sa reconstruction repose aussi sur ce «nous», dont la valeur m’apparaît inestimable en cette époque où tout semble diviser.