La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Le français, Denise et les jeunes

L’avenir de la langue française au pays me préoccupant, j’étais curieuse de voir ce fameux documentaire, Denise au pays des Francos, dans lequel la journaliste Denise Bombardier part à la rencontre de francophones hors Québec, ce qui lui a valu différentes critiques, certaines très acerbes, surtout après son passage à l’émission Tout le monde en parle sur ICI Radio-Canada pour en faire la promotion le 6 octobre dernier.



Lors d’une précédente présence à la très suivie émission dominicale, madame Bombardier avait déclaré, habitée par le feu qu’on lui connaît, que les communautés francophones «ont à peu près toutes disparu» à l’extérieur du Québec. Ébranlée d’entendre ça, une jeune Franco-Manitobaine, Chloé Freynet-Gagné, avait alors lancé une invitation à celle qu’elle venait d’entendre à la télé, désireuse de lui démontrer le dynamisme et la vitalité de sa langue dans son coin de pays. Denise Bombardier aurait pu faire fi de ces propos, rester dans son camp; or, elle a accepté l’invitation, qui est devenue prétexte à ce documentaire dans lequel elle tend la perche à plusieurs générations de francophones hors Québec.

Photo: Facebook ICI Tou.tv

Le fossé générationnel

Autant le dire tout de suite, je n’ai pas l’intention de défendre ou de pourfendre qui que ce soit dans cette affaire qui démontre, entre autres et à la lumière seulement des images montées auxquelles nous avons accès, le profond fossé générationnel qui sépare l’enflammée journaliste et les plus jeunes, témoins d’autres réalités, armés pour batailler eux aussi, mais différemment, avec une autre forme de vigueur, habités par d’autres motivations ancrées dans leur réalité, liés à leur langue française et la manière de la parler, de l’honorer.

Je crois sincèrement que Denise Bombardier, épaulée par une équipe de production chevronnée, il va sans dire, a fait ce documentaire pour obtenir des réponses à ses questions, se rassurer sans doute sur l’état de sa langue maternelle et pour remettre ce sujet préoccupant à l’ordre du jour, en période électorale fédérale, de surcroit. À l’évidence, les propos des francophones rencontrés ne l’ont pas rassurée plus qu’il ne le faut, chiffres et statistiques à l’appui, pour la suite des choses. Puis, qu’elle le veuille ou non, il y a son personnage, avec son aura et ses couleurs, qui fait de l’ombre à la journaliste et à la femme, personnage devenu une sorte de marque de commerce, comme c’est le cas des fortes personnalités entières qui ne se gênent pas pour dire le fond de leur pensée, parfois à brûle-pourpoint, sans la langue de bois, parfois maladroitement. Ce qui ne les sert pas toujours, et fait ombrage, bien malgré eux, à la lutte qu’ils mènent pourtant avec leurs tripes…

Il aurait été surprenant qu’elle fasse ce documentaire avec tiédeur, qu’elle laisse tomber son scepticisme à l’endroit de celles et ceux qui ne doutent pas comme elle de l’avenir de leur langue, celle qu’ils parlent, connaissent, défendent à leur façon sur le territoire qu’ils habitent, eux, 365 jours par année. Elle s’est donnée avec cette ferveur qu’on lui connaît, et c’est cette ferveur qui transparaît dans ce documentaire. La ferveur qui teinte le chemin qu’elle a parcouru pour arriver là où elle est, avec des embûches tissées de mépris, une profonde conviction (et le passé pas si lointain le démontre) que sa langue qu’elle se démène pour bien parler est menacée. Quand elle reprend un jeune Franco-Ontarien qui utilise un anglicisme, bien sûr, elle n’a pu s’empêcher de le noter, de le reprendre un peu de haut. Ça lui a été reproché.

Ce moment crucial démontre à quel point, dans tout le documentaire, il est beaucoup question de vécu, de parcours, d’âge, d’expériences. De ténacité aussi. Il y a Denise Bombardier qui tient à cette langue apprise chez les «bonnes sœurs», qu’elle a vu à travers le temps, et c’est indéniable, se faire malmener, fustiger et qui signifie plus qu’un outil de communication. Puis, il y a ceux qui la font rayonner dans le moment présent avec leurs accents, leurs moyens de transmission, leur contexte social, fiers, libres, sûrs de la tenir fermement, même en étant minoritaires, certains que rien, surtout pas le scepticisme et l’angoisse d’une Québécoise qui n’a pas oublié et qui débarque chez eux, ne peut l’ébranler.

D’un bord comme de l’autre, porté différemment, l’amour pour la langue est le même. Ne serait-ce qu’à la lumière des émois survenus en marge de la diffusion de Denise au pays des Francos, j’ose affirmer que le français passionne toujours, qu’il est surveillé de partout. Comme pour les luttes chaudes du féminisme ou de l’environnement, ce sera aux jeunes de veiller. Comment se fera la transmission de l’Histoire et des valeurs? Le pont entre les générations, on le construit comment pour qu’il soit solide? Dans la foulée de cette controverse, mes préoccupations vont dans ce sens.

Les jeunes Stéphanie Chouinard, Chloé Freynet-Gagné et Caroline Gélineault, du documentaire Denise au pays des Francos, répondront à Denise Bombardier ce dimanche à Tout le monde en parle.

Je craque pour…

Un homme vaillant de Yvon Laprade, éd. Druide

Il y a de ces êtres d’une autre époque qui restent profondément éloignés et mystérieux à mes yeux, parce que silencieux à leur manière, moins enclins à s’exprimer – sans les réseaux sociaux –, ou à se mettre en valeur. Le journaliste Yvon Laprade lève le voile avec pertinence et tendresse sur l’un d’eux: Victor Plamondon, personnage au centre de son premier roman qui lui a été inspiré par son père.

S’il n’a pas été champion du monde de ski, star de cinéma, chanteur d’opéra, scientifique révolutionnaire ou politicien marquant, il n’en demeure pas moins que cet homme s’avère très représentatif de ceux de cette génération dite «silencieuse» qui ont vécu une autre Histoire du Québec, habitée par d’autres personnages légendaires, courants sociaux et mœurs. C’est une ode au paternel, au travail, aux convictions, à la simplicité et à l’honnêteté que nous livre l’homme de lettres désarmant de sincérité. Une belle lancée littéraire pour ce journaliste qui cumule plus de quarante ans de métier.