La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Kuessipan: un film québécois autochtone qui arrive pile

La semaine a commencé raide. Il n’y avait pas de quoi être fier en lisant les conclusions de l’accablant rapport de la Commission sur les relations avec les Autochtones et certains services publics au Québec. Le commissaire Jacques Viens n’y est pas allé par quatre chemins: l’État québécois traite mal les membres des Premières Nations et les Inuits. Mercredi, le premier ministre François Legault s’en est excusé au nom du gouvernement. C’est un début, mais il faudra plus que ça. Et nous, qu’est-ce qu’on peut faire pour changer les choses? Et si on commençait par aller voir le film Kuessipan, qui prend l’affiche cette semaine?



Kuessipan, de Myriam Verreault, d’après un roman de Naomi Fontaine, a le grand mérite de secouer l’indifférence qu’on a à l’égard des Autochtones, et surtout de nous faire découvrir et mieux comprendre un monde méconnu. Pour ce faire, le film emprunte la voie de la fiction. L’histoire, à la base très universelle, raconte combien une amitié très forte entre deux enfants peut être mise à rude épreuve lorsque, à l’adolescence, arrive l’heure des choix de vie.

Dans le film Kuessipan, le contexte dans lequel évoluent nos deux personnages exacerbe la tension. Mikuan et Shaniss vivent dans la réserve Uashat, près de Sept-Îles. Lorsque Mikuan s’éprend d’un Blanc et décide de quitter sa communauté pour aller poursuivre ses études à Québec, c’est comme une trahison pour Shaniss, qui non seulement n’envisage pas de partir, mais choisit de quitter l’école, d’avoir des enfants et même d’accepter la violence de son chum. Comment concilier deux destins si différents?

Yamie Grégoire & Sharon Fontaine-Ishpatao - © Max Films Media

On voit donc nos deux protagonistes tenter de régler ce dilemme cornélien avec les valeurs d’une culture où l’attachement au territoire, à la famille, aux traditions est très ancré, mais néanmoins en butte aux effets de la modernité.

Pour le spectateur blanc, c’est l’occasion de voir ce que ça veut dire vivre dans une réserve. Pour les Autochtones, c’est une occasion rare de se voir et de se reconnaître à l’écran.

Les comédiens sont pratiquement tous issus de Uashat, et le film a été tourné sur place. Dans le dossier de presse fourni par la production, la réalisatrice Myriam Verreault, une Blanche originaire de Loretteville, soutient que la complicité de la communauté était primordiale pour arriver à donner un accent de vérité à son film.

«La direction artistique ne ment pas et n’embellit rien. L’environnement est conforme à la réalité et laisse visibles les traces de pauvreté. Le ton lumineux vient de la façon de filmer, de cadrer… Si les artistes innus du film n’avaient pas participé à l’aventure avec enthousiasme, cela aurait coulé le projet.»

D’origine innue, sa coscénariste Naomie Fontaine confirme que la bouture a pris.

«Elle souhaitait montrer nos vies, nos rêves, nos souffrances. Elle ne pouvait pas faire ça n’importe comment. Elle l’a fait avec respect, elle l’a fait avec nous, d’égal à égal.»

Cela donne un film puissant dans l’émotion qu’il dégage, où l’intérêt est soutenu pendant deux heures. Les comédiens, qui en sont tous à leurs débuts sur grand écran, sont criants de vérité, particulièrement Sharon Fontaine-Ishpatao dans le rôle de Mikuan Vollant et Yamie Grégoire dans celui de Shaniss Jourdain. Il ne faudra pas oublier qu’elles sont des nôtres lorsque viendra le temps de déterminer les nominations dans la catégorie Meilleure actrice des prix Iris.

Yamie Grégoire & Sharon Fontaine-Ishpatao - © Maude Chauvin

Dans la panoplie des actions à faire pour renverser notre éternelle apathie à l’égard des Autochtones, il y a certainement un effort à consentir pour mieux les connaître. Avec Kuessipan, parlez-moi d’un film qui arrive pile!