9 mars 2020Auteur : Richard Migneault

Livres de la semaine

Un millionnaire à Lisbonne de J. R. Dos Santos

J. R. Dos Santos est journaliste, correspondant de guerre et lecteur de nouvelles à la télévision portugaise. Publié au début des années 2010, son premier roman présentait un personnage bien particulier, Tomas Noronha, professeur d’histoire à l’Université de Lisbonne et spécialiste en cryptologie. La formule de Dieu consacra Dos Santos comme un des meilleurs écrivains de romans historico-scientifiques. Les œuvres qui ont suivi cette première histoire ont toutes connu de grands succès, traduites en 18 langues et publiées partout dans le monde. Excellent vulgarisateur, on apprend beaucoup dans ses romans; le professeur d’histoire n’est jamais bien loin. Habile conteur doué d’une écriture efficace et haletante, il place son lecteur au centre d’histoires vraisemblables teintées de spectaculaire.

Une des qualités des grands écrivains est leur capacité à surprendre leurs lecteurs. Avec ses deux derniers romans, J. R. Dos Santos développe un tout autre créneau que les histoires de cryptologie. Cette fois, il nous présente un personnage marquant du XXe siècle, presque inconnu et pourtant présenté comme l’homme le plus riche de la planète.

L’homme de Constantinople (2019) et Un millionnaire à Lisbonne (2020) nous racontent la vie de Kaloust Sarkisian, un Arménien qui, grâce à son sens des affaires, deviendra un des acteurs du développement économique relié à l’exploitation du pétrole. À travers les yeux de ce personnage plus grand que nature, Dos Santos nous dresse un portrait qui ratisse large dans l’histoire contemporaine. Cette histoire basée sur la vie réelle de Calouste Sarkis Gulbenkian est absolument passionnante.

Élevé à la dure par son père marchand de tapis, le jeune Kaloust vit à Trébizonde, petite ville portuaire du nord de la Turquie. Très rapidement, il prend conscience de l’oppression du peuple arménien par les Turcs. Son père lui apprend une règle de vie: «Baise la main que tu ne peux couper».

Pendant ses études dans le plus chic collège de Constantinople, il se passionne pour les pièces de monnaie anciennes et sa passion de numismate lui fournira ses premiers gains dans la vie. Et voilà le point de départ d’une fortune qui dépassera l’imaginaire de ce jeune adolescent apprenant comment multiplier ses avoirs. En même temps, sur les rives du Bosphore, dans cette cité mythique aux mille beautés, Kaloust se découvre une passion pour l’art et les «affaires de l’art». Cette passion du beau le suivra jusqu’à sa mort.

Tout au long de sa vie à Constantinople, Paris, Londres et Lisbonne, il engrangera une fortune colossale et constituera une collection d’œuvres d’art extraordinaire. Il assistera aux balbutiements du téléphone, participera à la création de la chaîne d’hôtels Ritz, organisera le mariage entre la Turkish Petroleum et la société hollandaise Shell. Bref, tout ce qu’il touchera se changera en or et en art. Même s’il profite des deux grandes guerres du XXe siècle pour augmenter sa fortune, il ne pourra protéger son fils du génocide arménien perpétré par les Turcs. Les descriptions de ce triste moment de l’histoire nous donnent des frissons d’horreur.

Au cours des péripéties de Kaloust, nous rencontrons les grands de ce monde, les personnages historiques qui deviennent des personnages accessoires dans la vie du millionnaire lisboète. Entêté comme dix mules, confiant en ses possibilités, stratège redoutable et imbu de son pouvoir, il fera plier les compagnies pétrolières américaines, mettra les politiciens à ses genoux et enverra promener la royauté qui voudrait mettre la main sur son pactole.

Tout au long des rebondissements, tractations politiques et financières, le lecteur découvre un hypocondriaque de haut niveau, un maniaque de la saine alimentation et un amateur de jolies femmes pas nécessairement majeures, prétextant des besoins «thérapeutiques».

Ébahi par cette vie hors norme, j’ai fouillé pour connaître la véritable vie de cet homme, me demandant si l’auteur avait grossi le trait pour ajouter de la fiction à la réalité. Eh bien, non! Calouste Sarkis Gulbenkian, plus riche et moins connu que les Rockefeller et Rothschild de ce monde, a bel et bien été ce personnage haut en couleur, avec ce vécu romanesque.

Si vous aimez l’histoire et les biographies de grands hommes, laissez-vous tenter par ces deux romans de J. R. Dos Santos. Un homme fascinant, une histoire foisonnante et un auteur capable de vous intéresser pendant plus de mille pages.

Quand le réel ressemble à la fiction! Et parfois même, la dépasse!

Bonne lecture!

 

L’homme de Constantinople, J. R. Dos Santos. Éditions Hervé Chopin. 2019. 456 pages.

Un millionnaire à Lisbonne, J. R. Dos Santos. Éditions Hervé Chopin. 2020. 598 pages.