14 septembre 2020Auteur : Richard Migneault

Livres de la semaine

Tant qu’il y aura des cèdres, Pierre Jarawan

Encore pétrifié par l’explosion qui a frappé Beyrouth, la capitale du Liban, la tête remplie de questions sur ce pays, et me rappelant une rencontre marquante avec Amin Maalouf, je me suis souvenu du roman de Pierre Jarawan, Tant qu’il y aura des cèdres. Sa lecture s’est donc imposée tout naturellement.

La quatrième de couverture m’avait séduite, l’histoire également, et la perspective de lire ce roman en même temps que se déroulaient les événements qui ont bouleversé Beyrouth m’ont fait mettre de côté ma pile de polars à lire pour me retrouver au pays des cèdres.

Et ce fut le choc!

L'histoire

Tant qu’il y aura des cèdres raconte l’histoire de Samir el-Hourani. Ses parents ont quitté le Liban au printemps 1983, fuyant la guerre civile libanaise qui a fait plus de 200 000 morts. Brahim el-Hourani et sa femme Rana s’installent donc en Allemagne avec un ami et sa fille. Ils se retrouvent dans un quartier où réside une importante communauté libanaise. Et la vie continue au rythme du quotidien et des nouvelles venant de la mère patrie.

Samir est un jeune garçon plein de vie; il vit une amitié bien spéciale avec Yasmin, la fille de Hakim, l’ami de la famille. Ils sont inséparables, ils ont développé une complicité à toute épreuve. Hakim et sa fille sont musulmans, la famille de Samir est chrétienne.

Le père de Samir est un conteur éblouissant. Chaque soir, il raconte à Samir des histoires extraordinaires, peuplées de personnages mythiques souvent plus grands que nature. Le fils est émerveillé; Brahim, le père transformé en Schéhérazade, invente des personnages qui peuplent l’imaginaire du petit garçon. Certains laissent des traces tangibles dans l’esprit du jeune, plus particulièrement Abou Youssef, un héros sans peur, et son fidèle compagnon, Amir, le dromadaire parlant. Et toujours, le Liban sert de décor à ces mises en scène fantaisistes.

Puis, un jour, sans avertissement, Brahim, le père, disparait en ne laissant aucun indice, aucune trace. Pourquoi est-il parti? Reviendra-t-il? Où va-t-il? Toutes ses questions restent sans réponse et créent un vide immense dans la vie du jeune Samir. Un manque, une absence qu’il essaiera de combler pendant une bonne partie de sa vie.

Quelques années plus tard, Samir décide de partir à la recherche de l’ombre fantomatique de son père. Il retourne sur les lieux des histoires que son père lui a racontées pour tenter de trouver celui qui l’a abandonné quand il avait tant besoin de lui. Ce voyage, cette initiation au Liban, ne se fera pas sans heurts. Samir rencontre des personnes qui ont connu son père et qui laissent supposer des choses sur son passé énigmatique.

Tout au long du voyage, le lecteur apprendra comment Samir est devenu un adulte tourmenté par la disparition de son père. Cette alternance entre le passé et le présent, tout comme le portrait du pays, complexe, vu par l’adolescent qui l’imagine et le jeune adulte qui le vit réellement, donne un roman fascinant, une harmonie entre la vie, la politique et l’amour. L’amour du pays, l’amour de l’image que l’on se fait de cette terre et l’amour humain.

Plus qu’un roman géopolitique sur la complexité du Liban, son histoire et ses difficultés, le roman de Pierre Jarawan porte surtout sur l’impact sur les humains de ce pays en continuel tiraillement et en conflit destructeur.

L'auteur

L’auteur, lui-même allemand, né en Jordanie d’un père libanais et d’une mère germanique, nous présente avec beaucoup d’affection ce pays d’une beauté insaisissable, mais si souvent torturé par des guerres fratricides. Avant de se lancer dans l’écriture de ce roman, il a été scénariste, poète et slameur. En analysant son style, on retrouve les qualités de ces trois modes d’expression dans cette première œuvre romanesque.

La structure du récit apporte du rythme à l’histoire; malgré (ou à cause) des allers-retours entre les époques, le lecteur est constamment assis sur le bout de sa chaise. Surtout au moment où le récit prend presque des allures de polar avec cette recherche du paternel disparu et les rebondissements inattendus.

De plus, malgré un style sobre mais efficace, l’auteur nous offre des moments de pure poésie dans ses descriptions de paysages et dans la façon presque amoureuse dont il parle du Liban. Le poète vit et revit dans ses déclarations d’amour au pays qui le hante. La poésie vibre aux malheurs qui constamment s’abattent et se sont abattus sur le pays de ses ancêtres.

«Beyrouth est pure allégresse et pure tristesse dans un même mouvement. Beyrouth est pardon. Beyrouth est estropiée, désemparée, couverte de cicatrices, et pourtant elle danse. Beyrouth, c’est moi. »

Inutile de vous dire que je vous recommande ce roman passionnant où le plaisir de lire se double du plaisir d’apprendre un pays, son histoire et l’histoire de ses habitants. Et de mieux les comprendre!

Bonne lecture!

Tant qu’il y aura des cèdres, Pierre Jarawan. Éditions Héloïse d’Ormesson. 2020. 492 pages