20 août 2020Auteure : Françoise Genest

Livres de la semaine

Le lièvre d’Amérique de Mireille Gagné

Chez Mireille Gagné, dont j’ai d’abord découvert la poésie, puis les nouvelles de son recueil, la poétesse n’est jamais loin; d’abord dans l’écriture, mais aussi dans l’imaginaire, le sien et le nôtre, où elle nous entraîne.

Avec Le lièvre d’Amérique, paru en août 2020 à La Peuplade, Mireille Gagné signe un conte, ou plutôt une fable animalière des temps modernes, où elle aborde à la fois les liens d’appartenance et les affres de l’exil, la douleur des âmes à qui on a arraché un être cher et les effets néfastes de la course à la performance, dictat du néolibéralisme. Mais n’allez pas croire qu’il s’agit d’une histoire hermétique. Bien au contraire, l’écriture et l’histoire de Mireille Gagné coulent de source… comme le fleuve.

Diane travaille d’arrache-pied, sans aucune vie personnelle, entièrement dédiée à sa performance. Mais ce n’est pas assez. Pas assez pour river le clou à sa rivale, pas assez pour la satisfaire et pour l’apaiser. Prête à tout, elle se soumet à un traitement peu orthodoxe pour améliorer sa cadence, sa force, sa résistance.

Plus besoin de dormir autant qu’avant. Beaucoup plus d’énergie et de vitalité. Plus de concentration. Exactement comme on lui avait promis. C’était la finalité qu’elle désirait. Ne plus jamais être fatiguée. Être capable d’exécuter un plus grand nombre de tâches. Avoir plus de temps. 

Tout irait bien, si seulement son corps et son esprit ne lui envoyaient pas d’autres messages et s’il n’y avait pas les cauchemars. Et cet irrésistible besoin, cet appel quasi animal pour la nature, la terre, le bois, le fleuve et l’île qui l’a vue grandir et qu’elle a quittée 15 ans auparavant.

Nanazobo était né, celui envoyé sur Terre par le Manitou pour enseigner la sagesse aux hommes. Pouvant incarner la forme qu’il désirait, il s’était changé en lièvre, d’abord pour se nourrir des herbes fraîches poussant autour de lui, mais ensuite pour punir Nokomis de l’avoir abandonné. Depuis ce temps, la légende dit que Nanazobo apparaît sous la forme d’un lièvre à ceux qui se sont égarés. 

Le conte se lit d’une traite. Impossible de s’arrêter. L’écriture est ciselée, le scénario, bien bâti. J’aime les contes, les fables, les légendes, et Mireille Gagné a le souffle qu’il faut pour porter un tel récit. Et puis, il y a le fleuve… notre Saint-Laurent, une passion que je partage alors…

Assise sur la véranda de la maison de mon enfance, je respire. Le fleuve glisse entre mes jambes. […] J’attends les oies qui devraient se reposer sur les battures d’ici la fin de la journée. Je ferme les yeux et tends l’oreille. Le silence, ou presque. Le fleuve possède un son qui lui est propre, très rapide à la surface, mais lent dans ses profondeurs. Une peau qui se tend et s’assouplit à chaque instant, de manière irrégulière. Je ne l’avais jamais remarqué auparavant, comme s’il respirait lui aussi. 

À lire absolument. Un must, un vrai coup de cœur pour cette poétesse et romancière québécoise. Sortie le 20 août. 

Le lièvre d’Amérique, Mireille Gagné, éditions La Peuplade, août 2020, 160 pages, 21,95$