22 novembre 2023Auteur : Richard Migneault

Livres de la semaine

La femme au dragon rouge, José Rodrigues dos Santos

Douzième tome mettant en vedette l’enquêteur Tomás Noronha, La femme au dragon rouge, de l’auteur portugais José Rodrigues dos Santos, va vous donner des sueurs froides.

J’ai encore en mémoire les difficultés rencontrées par notre premier ministre canadien avec le gouvernement chinois. La séquestration de la dirigeante de Huawei, l’emprisonnement des deux Michael, l’ingérence du Parti communiste chinois et l’intimidation auprès d’un député, les supposés postes de police chinois dans certaines villes canadiennes et le face-à-face impromptu entre Xi Jinping et Justin Trudeau au sommet du G20 à Bali. Drôle d’introduction pour une chronique littéraire, mais quand même fort pertinente pour présenter La femme au dragon rouge de l’auteur portugais José Rodrigues dos Santos.

Une autre enquête de Tomás Noronha

Ici, pas de demi-mesure, le romancier, reconnu pour ses thrillers érudits, nous plonge au cœur du Parti communiste chinois avec son plan expansionniste, ses dérives en matière de non-respect des droits de la personne et ses méthodes pour conquérir le monde. J. R. dos Santos est autant journaliste qu’écrivain et sa recherche de la vérité est passionnante.

La femme au dragon rouge est le douzième tome (dix sont traduits en français) mettant en scène Tomás Noronha, cet enquêteur un peu beaucoup spécial, professeur d’histoire à l’université nouvelle de Lisbonne, spécialiste en cryptologie et dirigeant de la Fondation Calouste-Gulbenkian. Héros atypique, Tomás ne se considère pas comme un homme d’action, un homme de terrain, mais plutôt comme un intellectuel qui, forcé par les circonstances, se voit impliqué dans des histoires complexes à caractère scientifique, dans certains cas religieux, et souvent historique. Le lecteur trouve dans ces enquêtes un double plaisir: être plongé dans un thriller prenant (pas nécessairement haletant) et apprendre énormément sur un sujet passionnant. Parfois même au détriment du récit! La longue liste bibliographique à la fin des romans est assez éloquente.

Un récit complexe

L’histoire commence en Inde, où la conjointe de Tomás Noronha est kidnappée avec une femme lui ayant demandé son aide. La CIA manifeste l’intention de retrouver sa femme mais, très rapidement, Noronha se rend compte que c’est l’autre femme qui intéresse l’organisation américaine. Ce personnage mystérieux possède des informations cruciales sur les méthodes et les stratégies du Parti communiste chinois. Cette inconnue est désignée par l’organisation de renseignements américains comme étant le Dragon rouge.

Parallèlement au récit des préparatifs pour récupérer les deux femmes, nous assistons à l’histoire d’une jeune fille ouïghoure qui dès son adolescence s’implique dans les arcanes du Parti communiste chinois. Tout d’abord, de façon volontaire, mais très rapidement, elle apprend à ses dépens qu’une Ouïghoure ne peut pas être l’égale d’une Han (ethnie qui forme plus de 90% de la population chinoise). Et pourtant Madina a tout fait pour bien s’intégrer: elle apprend la langue de la majorité, lit Marx et Engels, respecte les règles du Parti et porte aux nues le dirigeant suprême. Cependant, elle possède une tare majeure: elle fait partie des minorités ethniques qui doivent disparaître. Alors commence une longue série de pressions et de répressions pour la «rééduquer»: emprisonnement, tortures de toutes sortes, intimidations, propagande, etc. De toutes les façons, on lui fait avouer des crimes qu’elle n’a pas commis et, en plus, elle doit subir des conséquences terribles. L’objectif du Parti devient de plus en plus clair, on veut éliminer ces minorités ethniques et mettre en place un plan expansionniste.

Une lecture captivante

La lecture de ce roman de J. R. dos Santos nous donne des sueurs froides. Avec sa plume au style journalistique, son écriture directe, efficace, et surtout, grâce à la qualité de ses recherches, les lecteurs sont plongés au cœur d’un drame contemporain qui se joue, parfois, à deux pas de chez nous. Emballée dans une fiction captivante, la description du plan machiavélique du Parti communiste chinois, basé sur les enseignements de L’art de la guerre de Sun Tzu, nous révèle les intentions cachées du gouvernement chinois. À chaque élément nouveau de cette stratégie, j’allais sur la toile pour vérifier la véracité des informations révélées par l’auteur. Étonnamment, la réalité était à la hauteur de la fiction.

En plus d’une histoire quand même assez prenante, au fil de la lecture, on apprend certains principes guidant les stratégies du Parti: l’établissement d’une nouvelle route de la soie (commerciale et peut-être même militaire), la surveillance étroite et intrusive de chaque personne, les camps de concentration, l’esclavage. Et la dissimulation, l’art de faire la guerre à quelqu’un sans que l’autre s’en rende compte. Tout cela me rappelle le visage du président chinois face au premier ministre canadien à Bali et le principe qu’il faut toujours cacher son couteau derrière un sourire. Glaçant…

Une occasion d'apprendre

Inutile de dire que la lecture d’un roman comme celui-là nous permet d’apprendre beaucoup. Lire du dos Santos n’est pas chose facile! Le plaisir de se faire raconter une histoire s’accompagne nécessairement de l’effort d’apprendre. Cette incursion dans un pays énigmatique nous ouvre la porte vers une meilleure compréhension des enjeux géopolitiques de l’Asie, mais aussi sur l’art complexe de la guerre, version «à la chinoise». On ne lit plus son journal avec la même candeur quand on aperçoit le sourire de Xi Jinping.

De la même manière, toutes les enquêtes de Tomás Noronha vous ouvriront de nouvelles occasions d’apprentissage, en histoire, dans le domaine des sciences, au cœur de la philosophie ou des religions. Nous sortons toujours plus «éclairés» quand on termine un roman de José Rodriguez dos Santos; le lecteur de nouvelles, le journaliste et le professeur d’histoire ne sont jamais très loin du formidable romancier portugais.

Bonne lecture!

Nous sortons toujours plus «éclairés» quand on termine un roman de José Rodriguez dos Santos; le lecteur de nouvelles, le journaliste et le professeur d’histoire ne sont jamais très loin du formidable romancier portugais.

La femme au dragon rouge, José Rodrigues dos Santos. Éditions Hervé Chopin. 2023. 624 pages