Heures d’ouverture: rendez-nous notre dimanche!

Lorsqu’au cours de la première vague de la pandémie les commerces ont pu réouvrir sauf le dimanche, nombreux sont les Québécois à avoir non seulement apprécié ces dimanches tranquilles, mais un grand nombre d’entre eux, y compris des commerçants, ont réactivé l’idée de revenir à la fermeture de tous les commerces de détail le dimanche, incluant les épiceries. Une journée par semaine pour ralentir le tempo individuel, favoriser d’autres activités que le magasinage et les centres d’achat; une journée avec moins de trafic et moins de bruit urbain. Une journée pour la culture, les loisirs, le plein air, la famille, les enfants et les aînés qu’on dit ne pas avoir le temps de visiter. Impossible, économiquement? Faux!



L’ouverture des commerces le dimanche n’est pas une fatalité. Le gouvernement doit revenir sur sa décision de «libéraliser» les heures d’ouverture prise en 1992 et dont l’impact mériterait d’être étudié après trois décennies de laisser-faire.

L’autre grand bienfait de la crise sanitaire aura été de redécouvrir que le gouvernement dispose d’un réel pouvoir pour agir selon l’intérêt général, quitte à forcer certains comportements qu’il juge bénéfiques ou nécessaires. En 2021, l’intérêt général et l’opinion militent en faveur d’heures réduites pour les magasins.

Bien que les bienfaits de la fermeture du dimanche soient autant sociaux et environnementaux, on est bien obligé de considérer d’abord l’argument économique pour la simple raison que la Loi sur les heures et les jours d’admission dans les établissements commerciaux relève du ministère de l’Économie et de l’Innovation (MEI).

Enjeux économiques: séparer le vrai du faux

Les arguments économiques pour retourner à la fermeture obligatoire le dimanche sont nombreux.

En 1992, le motif pour libéraliser les heures d’ouverture était de rehausser l’activité économique et réduire le temps «improductif». Après des années difficiles, le chômage était encore élevé. Actuellement, c’est le contraire: l’économie surchauffe et le Québec traverse une pénurie de main-d’œuvre grave. La faute à la faible natalité et aux flux migratoires, mais il y a aussi le fait que des centaines de milliers de Québécois ne veulent plus travailler des heures indécentes contre leur gré pour servir quelques millions de Québécois qui utilisent leur dimanche de congé pour magasiner.

De très nombreux commerçants soutiennent la fermeture obligatoire le dimanche, notamment si elle devient généralisée et place tout le monde sur un pied d’égalité. «Toute ou pantoute» est d’ailleurs l’expression utilisée par le propriétaire du Rona de Lachine, Yves Chartier.

Le gouvernement justifie son inaction avec un argument trompeur: aucun commerçant n’est forcé d’ouvrir le dimanche, tout le monde est libre. Une fausse liberté, plutôt: quand ses concurrents sont ouverts, un commerçant risque de voir sa clientèle l’abandonner.

En vérité, la libéralisation des heures – qui s’est traduite par l’ouverture des commerces le dimanche – a d’abord favorisé les grandes bannières. Elles se reposent sur une base de personnel très large et des attentes basses en matière de service.

L’AQMAT, l’association des détaillants de matériaux de construction du Québec, milite depuis longtemps pour le retour des fermetures le dimanche. Elle vient d’ailleurs de découvrir que la position du gouvernement du Québec – «Si vous n’êtes pas contents de vos heures, arrangez-vous!» – les place dans une situation impossible. En effet, la Loi sur la concurrence, fédérale, article 45, interdit les cartels et les accords entre concurrents. Autrement dit, des petits magasins qui s’entendraient entre eux pour fermer le dimanche, comme cela s’est fait au Saguenay et en Estrie, s’exposeraient à des amendes de 25 millions de dollars et à 14 ans de prison! Bref, cette situation impossible force le gouvernement du Québec à revoir sa loi.

Le rétablissement de la fermeture du dimanche réglerait plusieurs problèmes connexes à la pénurie de main-d’œuvre, dont la médiocrité du service de commis mal formés et celui des magasins fantômes, où le personnel est invisible.

Les grandes bannières défendent depuis longtemps l’ouverture des commerces le dimanche sous prétexte de commodité. Après tout, il y a une demande, puisque les centres commerciaux sont remplis à craquer le dimanche. L’argument est fallacieux: si la majorité des travailleurs ont congé le weekend et que les commerces sont ouverts, bien sûr qu’ils magasineront le dimanche! En réalité, presque tous les achats peuvent être prévus ou reportés, sauf pour quelques commerces essentiels comme les stations-service et les dépanneurs – et encore. C’était ainsi pendant la COVID, et avant 1992. Quant aux pharmacies, on pourrait même revenir au modèle d’un certain nombre par villes selon la population. Quant aux Fêtes, il serait possible de prévoir une période d’exception.

«Il faut préserver la fraîcheur des aliments», disent les grands épiciers. Or, quand ils ont dû fermer le dimanche pendant la COVID, on a vu qu’il n’y a pas plus de problèmes de fraîcheur que les lendemains des grands congés statutaires comme Noël, le jour de l’An, la fête nationale ou la fête du Travail.

Et les étudiants n’ont-ils pas besoin de travailler? Oui, mais ils travaillaient avant 1992 et de plus, il en manque dans les restos, commerces de détail, épiceries. Et les étudiants qui sont sur le marché ne fournissent pas ou encore doivent accepter de travailler le dimanche.

De nombreux Québécois sont en faveur d'un retour à la fermeture de tous les commerces de détail le dimanche, incluant les épiceries. Photo: Depositphotos

Pour la société et l’environnement 

Une pause des commerces le dimanche permettrait aussi d’améliorer la qualité du milieu de vie. Quel mal y aurait-il à sortir la population de la course effrénée à la consommation un jour par semaine?

Passer plus de temps de loisir, en famille, avec ses enfants, ses parents âgés, à visiter des musées, c’est aussi essentiel qu’un stationnement de centre commercial rempli. Avoir du temps pour ne rien faire, rêver, observer, réfléchir, écouter, se reposer, manger en famille, avec les amis, pour la randonnée ou la culture, cela réduit l’anxiété chez les enfants et les parents. C’est bon pour le moral, pour la santé, pour la personne. Manquer de temps pour les courses? Les épiceries sont ouvertes six soirs par semaine et il y en a partout, et même de nombreux magasins sont ouverts deux à cinq soirs par semaine. Ça devrait suffire à couvrir nos besoins essentiels (!).

Et ça ne ferait pas de tort à la planète qu’un jour par semaine, on réduise la circulation, le bruit, les livraisons.

Le gouvernement Legault veut créer de la richesse, mais la richesse, ce n’est pas seulement la productivité à outrance: c’est aussi le fait d’en jouir.

Certains diront, pourquoi le dimanche? N’est-ce pas un choix foncièrement judéo-chrétien? Pourquoi pas le jeudi ou le mercredi? Il faut choisir. Les lois du travail prévoient déjà un weekend de deux jours les samedis et les dimanches, et le choix du dimanche comme jour de repos obligatoire est une convention répandue internationalement, du moins en Occident.

Que l’on étudie la question, et vite!

L’AQMAT a parfaitement raison de demander au ministère de l’Économie et de l’Innovation de lancer une étude de fond sur la question. Cela permettrait d’examiner ce qui se passe en France et dans d’autres pays qui respectent la pause du dimanche, et de faire une estimation juste des coûts et des bénéfices économiques, sociaux et environnementaux.

Actuellement, le laisser-faire gouvernemental s’appuie sur des suppositions et des on-dit, à commencer par le «souhait» populaire. Or, en août dernier, le quotidien La Presse a mené sa propre enquête non scientifique sur la question. Elle a montré que la volonté populaire serait plutôt favorable au repos dominical, à 71% – plus de 80% pour les 65 ans et plus, et encore à 62,6% pour les 35-54 ans, le groupe le moins favorable. Ce même sondage a montré que les mêmes répondants étaient largement favorables à la fermeture des magasins pour toutes les catégories de commerce sauf pour les épiceries et les pharmacies.

La loi actuelle ne cadre donc ni avec la volonté des commerçants ni avec la volonté populaire. Et elle pourrait même être déclarée inconstitutionnelle. Le premier ministre François Legault, en bon homme d’affaires, devrait être en mesure de savoir que le repos aussi, c’est productif.

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.