Réseau électrique métropolitain: le «bas de laine» au travail

Dans les chaumières, on en a jasé tout le week-end, et avec raison. C’est que le projet de Réseau électrique métropolitain, que la Caisse de dépôt et placement du Québec a proposé vendredi, est franchement électrifiant.



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Les chiffres font rêver: 5,5 milliards de dollars pour 67 km de rails et 24 stations qui relieront Brossard, Deux-Montagnes, Sainte-Anne-de-Bellevue, l’aéroport Montréal-Trudeau en passant par le centre-ville, c’est inédit. On n’avait pas vu une telle vision depuis la mise en service du métro en 1966 – malgré tous les écueils qui se dressent devant lui.

Car même si la presse a beaucoup épilogué sur sa dimension structurante pour la métropole, il ne faudra pas perdre de vue que l’affaire est risquée pour la Caisse de dépôt et placement du Québec – et par là, pour ses déposants. Michael Sabia a beau dire que chaque billet du REM sera une contribution de plus au «bas de laine» des Québécois, il faudra l’alignement de plusieurs planètes pour y parvenir – politiquement, techniquement et financièrement.

Politiquement, d’abord. Que la Caisse soit parvenue à contourner toutes les chasses gardées, les guéguerres de clocher et les rancunes locales pour proposer un projet qui suscite l’adhésion générale est en soit un tour de force.

Mais saura-t-elle se garder de toute intervention gouvernementale? C’est une chose que d’investir dans des projets d’infrastructures à l’étranger, chose que la Caisse fait déjà très bien. C’en est une autre que de lancer un tel projet «à la maison» – là même où la Caisse est la plus soumise aux interventions politiques. Surtout que l’appel d’offres sera mondial et que Bombardier n’est pas assurée de remporter la mise.

Il n’y a qu’à voir l’intensité des efforts de relations publiques qu’Hydro-Québec doit déployer pour seulement parvenir à satisfaire le public, et par là les élus québécois, pour saisir que la Caisse embarque ici dans un guêpier dont elle ne mesure peut-être pas l’ampleur.

Et on ne parle même pas ici du risque de spéculation immobilière qu’un tel projet suscitera chez tout ce qui magouille au Québec!

Au plan technique, l’affaire est aussi beaucoup plus risquée qu’on veut bien le dire. Car il ne s’agit plus d’investir 23% dans des éoliennes au large des côtes européennes ou 47,35% dans un port en Océanie ou dans la Péninsule arabique. Cette fois, la Caisse sera la conceptrice du projet, elle le construira et elle le gérera.

Le ministre Daoust a redit plusieurs fois que le REM serait la «Baie-James de Montréal». Effectivement, c’est comme si l’on demandait à la Caisse de lancer, construire et exploiter elle-même la Baie-James à la place d’Hydro-Québec!

La Caisse n’est pas un opérateur de train: elle est un fonds d’investissement. Heureusement, elle ne part pas de zéro: c’est elle qui a financé et construit le projet de train léger à Vancouver. Mais il ne s’agit pas ici d’un projet «clé en main» qu’un autre devra gérer. Si elle se trompe, c’est elle qui sera prise avec!

Au plan financier, le défi à relever sera également très sérieux. Car il s’agira non seulement de tout construire, mais aussi de tout exploiter. L’enjeu du prix du billet sera crucial, comme l’a montré le quasi-ratage du train de l’aéroport de Toronto – dont le prix était fixé à 30$ au départ!

Il y a deux ou trois vérités que les promoteurs du projet ne disent pas. D’abord, le service devra certainement être subventionné en partie. Il est impossible que les seuls usagers assument seuls les frais de construction et d’exploitation d’un projet de 5,5 milliards de dollars. On sait que les gouvernements fédéral et provincial financeront 40% des coûts de construction, mais il faudra certainement que les villes impliquées paient une partie de la note – pour les frais d’exploitation, comme elles le font d’ailleurs pour toutes les initiatives de transport en commun.

Michael Sabia exagère un peu quand il affirme que les Québécois contribueront à leur fonds de retraite en achetant chaque billet du REM. Ce sera vrai sans doute, mais pour une partie du billet seulement. La Caisse devra sans doute vendre à d’autres investisseurs des tranches du projet avant, pendant et après les travaux. D’abord, pour réduire son risque. Mais aussi pour en établir clairement la valeur au plan financier. Car le métier fondamental de la Caisse, ce n’est pas les trains, c’est la finance et il n’y a pas d’autre manière d’établir la véritable valeur d’un actif non liquide.

Et lorsque l’infrastructure aura vieilli, en 2050 ou en 2060, l’affaire devra sans doute être revendue aux gouvernements.

Le projet en vaut la peine, toutefois, malgré toutes les embûches. Pour trois raisons très simples. D’abord parce qu’il existe des solutions connues à tous ces défis. Ensuite parce que même si l’affaire se révèle un bide financier, la Caisse pourra récupérer ses billes sur un actif de qualité. Et contrairement au Stade olympique, qui avait coûté très cher et qui n’a rien donné, le REM demeure un projet extrêmement structurant pour la métropole québécoise.

Et puis la Caisse a un intérêt très fort à ce que ce projet soit un succès, car il représente un virage stratégique majeur pour elle. Rares sont les fonds d’investissement qui sont allés aussi loin que la Caisse en matière d’infrastructures.

Actuellement, les projets d’infrastructures – énergétiques, routières, portuaires – sont tellement populaires chez les grands investisseurs que leur prix devient inabordable, voire franchement spéculatif.

La solution de la Caisse est de lancer des projets dits greenfield (à partir de rien), dans lesquels elle agira comme promotrice, conceptrice, maître d’œuvre et gestionnaire. De tels projets permettent de créer une valeur ajoutée intéressante à partir de zéro, mais ils font appel à tout un tas de compétences qui vont très au-delà de ce qu’avaient imaginé ses fondateurs en 1965.

Pour la Caisse de dépôt et placement, le REM devient donc une vitrine qui lui ouvrira d’autres grands projets greenfield sur le marché des infrastructures, notamment aux États-Unis, où son initiative suscite énormément d’intérêt. Et tout va se jouer quelque part entre Brossard et Deux-Montagnes…

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.