Maria Chapdelaine de Sébastien Pilote, un film à mettre au rang des joyaux du cinéma québécois
On l’a attendu longtemps, neuf mois!, voilà qu’il sort enfin sur les écrans cette semaine, et notre patience est récompensée, car le film Maria Chapdelaine de Sébastien Pilote est une grande réussite. Une œuvre intemporelle dans laquelle il fait bon de plonger. 158 minutes comme en apesanteur dans un autre temps, loin de la frénésie de notre époque.
Dès les premières minutes du film, on est transporté dans un tableau de Clarence Gagnon ou de Suzor-Côté. Un cheval noir tire une sleigh dans un paysage enneigé, grandiose. Une fille et son père reviennent à la maison, construite au milieu d’une forêt d’épinettes, sur une terre à défricher. C’est dans ce bout du monde que la jeune Maria vivra ce moment charnière de l’existence, celui où on s’arrache de l’emprise de nos parents pour s’unir à quelqu’un d’autre.
Dans le roman de Louis Hémon, paru il y a bientôt 110 ans, l’auteur offre trois destins à son personnage principal: une vie d’aventure et de liberté avec le trappeur et explorateur François Paradis, l’expérience de la ville et de la modernité avec Lorenzo Surprenant, ou la continuité de ce qu’elle a connu durant toute son existence avec son voisin Eutrope Gagnon, cultivateur comme son père.
C’est la quatrième fois que ce roman est porté à l’écran. La dernière fois, c’est Gilles Carle qui en a fait l’adaptation, en 1983. Ce qui est extraordinaire dans la manière dont Sébastien Pilote a choisi de raconter de nouveau cette histoire, c’est qu’il est demeuré fidèle à l’esprit du livre. Le réalisateur, qui est natif du Saguenay et y vit toujours, n’a pas fait une lecture contemporaine de cette œuvre du passé. Il a résisté à cette mode de tout actualiser. Sa Maria a 16 ans en 1910. Pas question d’en faire une féministe avant l’heure, ce n’est pas ça le personnage. Maria vit dans un environnement austère, sous le joug de la religion catholique, dans un monde où l’avenir de la femme dépend de l’homme avec lequel elle fera sa vie. Tout le bouillonnement intérieur que l’adolescente ressent est contenu, corseté. Le film est à l’avenant, d’une grande pudeur. Personne ne se touche. On ne voit pas un centimètre de peau. Même les mots sont comptés.
Le film dure 158 minutes parce qu’il laisse le temps au silence d’exister, parce qu’on s’imagine qu’en ces temps-là, il valait mieux ne pas en dire trop. Les dialogues sont donc courts, mais écrits dans une langue ancienne très agréable à réentendre, et fabuleusement défendus par toute la distribution.
Parlons-en de ce casting qui relève de l’équipe de rêve. Dans le rôle-titre, Sara Montpetit irradie. Dans cet environnement âpre, la beauté juvénile de la comédienne sert parfaitement ce personnage qui est ni plus ni moins qu’un objet de désir. Elle fait de Maria une femme jeune, belle, droite et forte, néanmoins soumise à ce que le destin lui impose. Sara Montpetit resplendit sous nos yeux comme le faisait Scarlett Johansson dans La jeune fille à la perle.
Pour incarner les prétendants, on a choisi trois jeunes comédiens qui ont dans leur faciès des traits d’époque. Émile Schneider donne à son François Paradis des airs de Brummell rustique. Robert Naylor, avec son rictus pédant, incarne parfaitement l’outrecuidance des citadins d’antan. Antoine Pilon, qu’on voit beaucoup au cinéma, surprend dans ses habits de cultivateur à la peau tannée, donnant à son Eutrope Gagnon un côté totalement attendrissant. Tous trois sont d’une justesse remarquable.
Dans le rôle des parents de Maria, Sébastien Ricard et Hélène Florent forment un duo solide comme le couple qu’ils personnifient, concentrés sur la tâche à accomplir, sans effusion. Avec bien peu de répliques à défendre, ils nous font bien ressentir que dompter une terre sauvage se faisait au prix de beaucoup de sacrifices et de peu de reconnaissance.
Même les plus petits rôles sont bien pourvus. Gilbert Sicotte en mononcle tonitruant, Gabriel Arcand en docteur irascible, Martin Dubreuil en homme à gages dévoué, Danny Gilmore en curé sévère, chacune de ces apparitions contribue à pimenter un récit qui sans leur présence aurait pu devenir linéaire.
Mais justement, Sébastien Pilote sait garder notre attention. Comme dans ses films Le vendeur et Le démantèlement, il sait faire ralentir le temps sans nous ennuyer. Il compte sur la direction photo pour nous subjuguer. Le travail de Michel La Veaux à la caméra est digne d’une récompense. Les décors très réalistes de Jean Babin, les costumes si authentiques de Francesca Gagnon, et la musique d’une grande justesse de ton de Philippe Brault sont autant d’atouts que le réalisateur utilise pour composer sa fresque.
Au final, cela donne une réalisation exemplaire. Rien d’épique, pas de pathos, foin d’intellectualisation, juste une histoire simple et prenante qui nous enveloppe et nous repose de la turpitude ambiante. Ce film, à mettre au rang des joyaux du cinéma québécois, est à voir sans faute sur grand écran pour en apprécier toute la richesse.