La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Aperçu bien subjectif de la rentrée littéraire 2021

Je n’ai pas pu lire toutes les nouveautés de la rentrée d’automne. Mea culpa. L’été, j’ai aussi envie de plonger dans des textes parus il y a un certain temps. Il y a un an, j’avais relu Le blé en herbe de Colette et un peu plus tôt, au chalet, je dévorais des essais de Deborah Levy, que je découvrais cette année avec enchantement. Un charmant m’a parlé de Vies minuscules de Pierre Michon, j’ai aussi ça au programme, en plus de Une vie de Maupassant, qui vient d’être adapté au cinéma et qui demeure un des romans préférés de Annie Ernaux, ma plus adorée, tous écrivains et écrivaines confondus. C’est sans compter tous ces articles de revues et magazines qui ramassent la poussière sur ma table de travail. Donc, si je n’ai pas encore pris connaissance de votre livre (je pense qu’il y a désormais dans mon entourage plus d’auteurs que de lecteurs), sachez que ça se bouscule au portillon. Voici un aperçu de mes réjouissances.



D’abord, il y a ce roman qui m’a comblée à tous points de vues cet été, celui qui a éveillé en moi des émotions refoulées, qui m’a peut-être même «améliorée», ébranlée, éblouie à chaque page pour cet art de raconter maîtrisé à ravir et, surtout, pour cet humour qui me parle, qui fait que cette Lucy Fricke, écrivaine allemande qui vit à Berlin, est une génialissime créatrice. Ce titre fabuleux: Les occasions manquées (Le Quartanier, 31 août), premier de ses quatre romans à être traduit en français et dont 90 000 exemplaires ont été vendus en Allemagne seulement. Cette histoire si parfaite est celle de Betty, appelée en renfort par sa grande amie Martha, qui a besoin de compagnie – et d’une conductrice – pour mener son père atteint d’un cancer dans une clinique d’aide médicale à mourir en Suisse. Ça tombe bien, Betty a justement, elle aussi, un père à aller retrouver du côté de l’Italie. Dans cette «course aux pères», les deux jeunes quarantenaires trouveront un «road trip» nouveau genre, une manière différente d’habiter le monde au fil de cuites mémorables, de souvenirs gracieux et plus disgracieux, de rencontres hallucinantes sur fond de mélancolie épique. Du grand A++. Et si j’étais chroniqueuse cinéma, je donnerais le bol de popcorn au complet à ce titre qui vous ravira. Bon coup du Quartanier d’avoir acquis ces droits.

Ce roman m’a comblée à tous points de vues.

Autre bon coup chez cet éditeur avec le grand retour d’Alain Farah, certainement un des plus efficaces et singuliers de sa génération grâce aux formes qu’il fait éclater, à sa manière d’aller au cœur des souffrances encore vives, les siennes, j’imagine, celles de tellement d’autres, à commencer peut-être par ceux de sa génération dans Mille secrets mille dangers (Le Quartanier, 28 septembre). Sixième livre du jeune quarantenaire né à Montréal de parents libanais d’Égypte, il revisite ses souvenirs et rencontres marquantes avec pour toile de fond la fois où il a épousé sa bien-aimée… à l’Oratoire Saint-Joseph! Il fait tout en grand, à commencer par raconter des histoires. D’une infinie douceur auréolée de lucidité. 

Je qualifierais aussi de ces derniers mots le brillant essai Ptoma – Un psy en chute libre (Varia, paru le 11 août) du psychologue et psychanalyste Nicolas Lévesque, suite de Phora, racine grecque qui signifie «porter». Cette fois, Ptoma, c’est pour «tomber». Puisque nous tombons tous un jour... Pour quelqu’un, pour une situation, pour quelque chose, pour pouvoir en finir avec quelque chose. Au fil de ses réflexions renversantes d’humanité écrites en fragments à partir de sa pratique, il évoque les préoccupations de ceux qui le consultent, la manière que ça a de le façonner lui-même, mais aussi, en filigrane bien sûr, on y aperçoit le portrait d’une époque empreinte de grands changements. On s’y retrouve assurément ici et là, parfois à notre plus grand étonnement.

Au fil de ses réflexions renversantes d’humanité écrites en fragments à partir de sa pratique, l'auteur évoque les préoccupations de ceux qui le consultent.

Pompières et pyromanes (Héliotrope, 22 septembre) de Martine Delvaux répond aussi aux soucis de l’ère anxiogène dans laquelle nous vivons face à la crise climatique en choisissant, on s’en doute bien, le combat, celui que mènent sa fille et ses pairs. Livre-collage porté par des fragments nés de sa fascination pour le feu, il évoque avec l’habituelle voix sensible et militante de l’auteure de quelle manière cet élément a rythmé la vie des femmes au fil du temps.

Alors que j’étais jeune étudiante à l’UQAM, Martine Delvaux, qui y est aussi prof, m’a un jour fait découvrir L’inceste de Christine Angot, dont j’ai ensuite dévoré tous les romans de celle qu’on aime ou qu’on déteste. Le voyage dans l’Est (Flammarion, 16 septembre) est fort attendu par les angotiens et angotiennes dont je fais partie, vous l’aurez deviné. L’éditeur de l’écrivaine française qui polarise parle d’un «roman fort, miroir d’Un amour impossible, qui aborde l’inceste en creusant le point de vue de l’enfant puis de l’adolescente et de la jeune femme victime de son père.»

Le voyage dans l’Est (Flammarion, 16 septembre) est fort attendu par les angotiens et angotiennes dont je fais partie.

Une autre Européenne dont l’œuvre est aussi appréciée que snobée est la Belge Amélie Nothomb, qui chaque année revient, réglée comme une horloge suisse. Cet automne, plus émouvante que jamais avec Premier sang (Albin Michel, 13 septembre), elle raconte son père pour la première fois de sa carrière d’écrivaine, du moins pour la première fois avec autant de conviction et de réalisme. Quand le récit commence, un jeune et brillant diplomate se trouve face à un peloton d’exécution et compte les secondes qui le séparent de la nuit éternelle. Cet homme en sursis, c’est Patrick Nothomb… Parfum de confessions du côté de Nothomb, qui a une horde de fans au Québec.

Avec Premier sang, Amélie Nothomb raconte son père pour la première fois de sa carrière d’écrivaine.

Les confessions ont toujours fait partie du parcours de Marie-Sissi Labrèche. L’autofiction, la rédemption et les pouvoirs infinis de l’amour habitent depuis toujours l’œuvre de celle qui revient – alléluia! – avec 225 milligrammes de moi (Leméac, 1er septembre), qui n’est pas sans rappeler son Borderline qui avait tant marqué la fin des années 1990 en littérature. Difficile de ne pas craquer pour la franchise désarmante de cette héroïne de 48 balais qui ne s’est toujours pas entièrement habituée aux aléas de la vie. «Ce qui ne me tue pas me rend plus fort, disait Nietzsche. VA CHIER, NIETZSCHE! Moi, ce qui ne me tue pas me rend plus folle», écrit celle qui, malgré les réussites et une certaine constance de la vie, ne cesse de craindre la folie à laquelle elle ne peut échapper tout à fait. Il va sans dire, j’ai toujours eu une affection particulière pour la Marie-Sissi Labrèche qui m’a donné ma première entrevue littéraire à vie à la sortie de Borderline, il y a de cela une vingtaine d’années.

Tout comme ce sera le cas pour Alain Farah nommé plus haut, je la retrouverai d’ailleurs, avec joie, dans le cadre du Salon de Claudia au Festival international de la littérature (FIL) qui se déroulera en présentiel et en ligne du 24 septembre au 3 octobre. Larry Tremblay me fera aussi l’honneur de sa présence pour parler de son grand et épatant Tableau final de l’amour (La Peuplade, 17 août), inspiré librement de la vie et des amours tumultueuses du peintre Francis Bacon. Il sera accompagné de l’auteure, animatrice et musicienne Catherine Perrin pour sa nouveauté intitulée L’âge des accidents (XYZ, 20 octobre), dans lequel elle insuffle vie à des personnages éprouvés, mais qui se soutiennent dans l’adversité, coûte que coûte.

Dans L’âge des accidents (XYZ, 20 octobre), Catherine Perrin insuffle vie à des personnages éprouvés, mais qui se soutiennent dans l’adversité, coûte que coûte.

Avec leurs nouveautés de la rentrée automnale, les écrivains Christian Guay-Poliquin (Les ombres filantes, La Peuplade, 31 août), Biz (L’horizon des événements, Leméac, 29 septembre), Audrée Wilhelmy (Plie la rivière, Leméac, 22 septembre), Clara Dupuis-Morency (Sadie X, Héliotrope, 1er septembre), Gilles Archambault (Il se fait tard, Boréal, paru le 10 août) seront aussi de la partie. Blaise Ndala y sera aussi avec son roman Dans le ventre du Congo, sorti la saison dernière chez Mémoires d’encrier. Plus de détails sur la programmation du FIL.

Je retrouverai Blaise Ndala et plein d'autres auteurs dans le cadre du Salon de Claudia au Festival international de la littérature (FIL) qui se déroulera en présentiel et en ligne du 24 septembre au 3 octobre.

S’il y en a une qui marquera à jamais mes rencontres professionnelles, c’est la grande Benoîte Groult, qui nous a quittés en 2016 à 96 ans et sans laquelle plusieurs femmes en France et chez nous ne se seraient pas émancipées de la même manière. J’ai encore souvenir de quelques-uns de ses titres dans la bibliothèque de ma mère, initiée comme moi au féminisme dans sa jeune vingtaine. Dans la préface de Journal amoureux 1951-1953 (Stock, déjà paru), que j’attendais en piaffant d’impatience, sa fille, Blandine de Caunes, écrit ceci: «J’ai toujours su que ce Journal amoureux existait même si je ne l’avais jamais lu ni même vu… Ma mère m’en avait parlé et elle l’évoque dans son autobiographie, Mon évasion. C’est Paul [Guimard] qui est à l’origine de ce projet car il voulait aider maman à prendre confiance en son talent, auquel elle ne croyait guère à l’époque. […] Tout Paul et maman était déjà là: les rôles étaient distribués, et chacun allait jouer sa partition, comme dans une pièce écrite à l’avance, pendant le demi-siècle de vie commune qui les attendait encore.»

J’attendais en piaffant d’impatience ce livre de la grande Benoîte Groult.

Marquante pour ses fameuses Filles de Caleb, bien qu’elle ne doit plus être capable de s’en faire parler, Arlette Cousture a cette fois imaginé dix histoires, une par province, inspirée par des êtres croisés lors d’un voyage en train à travers le Canada. En voiture/All aboard (Libre Expression, 1er septembre), pour ce que j’en ai lu jusqu’à maintenant, est un doux mélange d’humanité, d’histoire du pays et de destinées ordinaires, sans être banales. Francine Ruel aussi a toujours accordé une place particulière aux êtres qui pourraient passer inaperçus si ce n’était de ce qu’elle leur donne comme couleurs, vivacité, amour même. Dans Le promeneur de chèvres (Libre Expression, 6 octobre), elle nous fait découvrir Gilles, 29 ans, qui se retrouve amoché dans le Montréal d’après la pandémie alors qu’après avoir perdu boulot, amoureuse et logement, il se retrouve chez son grand-père, qui lui confiera la tâche de promener des chèvres, une expérience transformatrice à travers laquelle il fera de nouvelles rencontres.

Ce roman est un doux mélange d’humanité, d’histoire du pays et de destinées ordinaires, sans être banales.

Je débute à l’instant Un cœur habité de mille voix de Marie-Claire Blais (Boréal, 28 septembre). Il n’y en a pas deux comme elle. Elle renoue ici avec les personnages qui avaient donné vie à deux importants romans parus il y a quelques décennies, Les Nuits de l’Underground et L’Ange de la solitude. Hâte de vous en reparler dans la section Bouquiner. À très vite. Bonne rentrée littéraire.

Dans ce roman, Marie-Claire Blais renoue avec les personnages qui avaient donné vie à deux importants romans parus il y a quelques décennies.