Funérailles nationales pour Claire Kirkland-Casgrain
Il est scandaleux qu’en 2016 Claire Kirkland-Casgrain soit la première femme honorée par des funérailles nationales. Première femme députée, première femme ministre, première femme premier ministre intérimaire, première femme juge de la Cour du Québec, Claire Kirkland-Casgrain est une géante de l’histoire québécoise qui mérite assurément les obsèques officielles qui seront célébrées à la cathédrale Marie-Reine-du-Monde.
L’honneur est rare: elle sera seulement la onzième personne à recevoir des funérailles nationales depuis les premières du genre en 1996, pour Gaston Miron.
Mais il est difficile de croire qu’aucune autre femme ne le méritait avant elle. Pas même Thérèse Casgrain, à qui l’on doit le vote des femmes en 1940? On a fait des funérailles nationales à Jean Béliveau, Jean-Paul Riopelle, Maurice Richard, Claude Ryan, mais pas à Anne Hébert, Pauline Julien, ou Marcelle Ferron?
Le fait que Claire Kirkland-Casgrain soit la première Québécoise honorée de la sorte en dit long sur le chemin qu’il reste à parcourir pour les femmes du Québec.
Cette avocate, première femme élue à l’Assemblée nationale en 1961, aura été la seule femme parmi ce club d’une centaine d’hommes jusqu’à son départ en 1973.
Sa grande affaire fut un projet de loi qui donnait la «capacité juridique aux femmes mariées». Sous le jargon se cache une réalité terrible: en 1964, une Québécoise mariée ne pouvait signer aucun contrat sans le consentement de son mari. La ministre en avait elle-même fait l’expérience. C’est son mari qui avait dû contresigner le bail pour son appartement alors qu’elle était nouvellement élue députée à Québec!
Cinq ans plus tard, en 1969, alors qu’elle siège à l’opposition, Claire Kirkland-Casgrain dépose un projet de loi privé qui modifiera le régime matrimonial et créera la société d’acquêts, qui vise à protéger les biens propres des femmes mariées. Puis en 1973, elle crée le Conseil du statut de la femme.
La même année, elle devient la première femme juge de la cour provinciale, après avoir inscrit trois autres premières: première femme députée, ministre et premier ministre intérimaire (du 2 au 6 août 1972). Elle ne fut d’ailleurs pas la femme d’une seule cause. Ministre du Tourisme et ministre de la Culture, on lui doit l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec et la loi sur les Biens culturels.
Évidemment, cette pionnière du féminisme a profité de nombreux alliés – des femmes, mais aussi des hommes de bons sens. Les droits de la femme ont beaucoup progressé par l’intermédiaire de dizaines de modifications à nos lois et règlements.
S’il reste peu de pierres à retourner en matière de droits des femmes au Québec, il en va tout autrement en matière de mœurs, qui demeurent étrangement à la traîne.
Les femmes sont encore largement minoritaires dans la députation, dans les conseils d’administration et à la tête des entreprises. Sans oublier des salaires très inférieurs en moyenne, malgré les lois sur la parité. Malgré aussi tous les efforts pour contrer le fléau – dont le fameux «parce qu’on est en 2015» de Justin Trudeau pour justifier la parité homme femme de son cabinet.
Claire Kirkland-Casgrain refusait l’étiquette de féministe (tout comme l’actuelle ministre de la Condition féminine, Lise Thériault). Cela donne la mesure des obstacles culturels que chaque femme doit surmonter – hors du droit – par elle-même et pour elle-même.
Mais oublions la question des étiquettes pour considérer la femme à l’aulne de ses réalisations. Claire Kirkland-Casgrain était une grande féministe malgré elle et la condition féminine aura encore besoin de femmes de sa trempe. Parce qu’on est en 2016.