Photo: Facebook Jean Boulet - député de Trois-Rivières

Travail chez les plus de 50 ans

Entrevue exclusive avec le ministre Jean Boulet

Le maintien et le retour au travail des plus de 50 ans est une des solutions à la pénurie de main-d'œuvre. Dans un dossier en deux volets, nous faisons le point sur la situation, les enjeux et les défis. Cette semaine: une entrevue exclusive avec Jean Boulet, ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale.



Jean Boulet, ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, a mis en place, à la fin de l’année 2019, un programme de 892 millions de dollars pour favoriser spécifiquement le maintien et le retour au travail des personnes de 55 ans et plus afin de lutter contre la pénurie de main-d’œuvre, qui risque de plomber l’économie québécoise. Ce plan comprenait de nombreux crédits pour les individus et les employeurs, ainsi que pour la formation. L’initiative avait aussi lancé un grand plan de communication auprès des employeurs pour mieux faire connaître les programmes, favoriser le maintien et l’embauche des travailleurs dits «expérimentés» et lutter contre la discrimination fondée sur l’âge. Malgré le grand hiatus de la COVID et la mise sur pause de l’économie québécoise pendant plus d’un an, le plan demeure en vigueur. À l’heure où le gouvernement du Québec prépare le retour à la normale, le ministre Jean Boulet répond aux questions d’Avenues.ca dans une entrevue exclusive sur les enjeux et les défis de l’heure.

Ne manquez pas, la semaine prochaine, la suite de notre dossier complet sur la situation.

Avenues.ca: Quel est le plan pour favoriser l’emploi des travailleurs expérimentés?

Jean Boulet: Notre taux d’emploi pour les travailleurs expérimentés est plus bas qu’en Ontario et que dans les autres pays membres de l’OCDE. Pour moi, c’est super important d’en intégrer le plus grand nombre. Premièrement pour soutenir la croissance économique du Québec, et deuxièmement pour répondre au problème de rareté de main-d’œuvre qui touchait déjà tous les secteurs et toutes les régions avant même la pandémie. Et la rareté est particulièrement préoccupante dans les secteurs stratégiques comme la santé, l’enseignement, la construction, les technologies de l’information.

La population vit de plus en plus longtemps et en meilleure santé, alors oui, j’ai un plan pour permettre à ces personnes de rester actives sur le marché du travail.

En 2019, nous avons annoncé 892 millions de dollars sur cinq ans. Il y avait 532 millions pour un crédit d’impôt pour prolongement de carrière et 338 millions pour la réduction des taxes sur la masse salariale. Ça, c’est en plus de tout ce que nous faisons en matière de formation. Ma mesure phare était la subvention salariale pour les travailleurs expérimentés.

Nous finançons aussi un comité consultatif pour les travailleurs de 45 ans et plus, qui relève de la Commission des partenaires du marché du travail, qui conseille le ministère. Son travail est de cerner les problématiques et de nous proposer des mesures et des plans. Ça nous permet d’établir des priorités d’actions. C’est en gros ce que nous faisons.

Avenues.ca: Les entreprises vont souvent dire que la solution à la pénurie de main-d’œuvre, c’est l’immigration. C’est encore ressorti dans un sondage du Conseil du patronat. Qu’est-ce que vous répondez à ça?

J.B.: Je dis que oui, ils ont raison. Mais ce n’est qu’une des options. Il y a 200 000 jeunes de 15-29 ans qui ne sont ni en emploi, ni aux études, ni en formation. C’est crucial, aussi. Il y a un potentiel. J’ai un programme des jeunes en mouvement vers l’emploi. Nous avons de beaux succès: on ne le dit pas assez, mais le taux d’emploi des Québécoises est un des plus élevés sur la planète, grâce à nos politiques familiales très progressistes. Autre chose qu’on ne dit pas assez: le taux d’emploi des personnes de 15-64 au Québec était à 75,1% en mars. En Ontario, 71,8%. Ça démontre que nos mesures sont efficaces et donnent de bons résultats.

Avenues.ca: Mais il reste que sur la tranche des 60 ans et plus, il y a quand même un retard.

J.B.: Oui, on y travaille, et l’écart s’est rétréci dans les deux dernières années. On passe des messages aux employeurs là-dessus. Mais il ne faut pas oublier non plus qu’il y a des bénéfices croisés: nos programmes destinés aux femmes, aux handicapés, aux autochtones, aux immigrants touchent aussi des travailleurs expérimentés. On est en action sur tous les fronts.

Avenues.ca: Avez-vous l’impression que les entreprises sont suffisamment au courant des programmes concernant les travailleurs expérimentés?

J.B.: Non, en effet. Les sondages me permettent de croire que nos mesures ne sont pas assez connues. Notre plan d’action en emploi, déposé en septembre 2019, est toujours en action, mais il faut constamment mieux faire connaître ce qu’on fait et ce qu’on offre.

Avenues.ca: Est-ce que le gouvernement joue son rôle d’employeur exemplaire?

J.B.: On a des mesures pour le télétravail, la numérisation, les technologies de l’information. Chaque ministère a son plan et les travailleurs expérimentés sont une des clientèles qu’on privilégie. Il y a plein de gens de 50 ans et plus qui participent à nos mesures de requalification en intégrant des programmes de formation de courte durée ou des programmes travail-étude, ça s’applique dans tous les secteurs d’activité. On est exemplaires, on fait ce qu’on dit, et nos services donnent des résultats intéressants.

Avenues.ca: Mais le gouvernement est le plus gros employeur du Québec. Est-ce qu’il encourage ses enseignants, ses fonctionnaires à travailler au-delà de l’âge de la retraite?

J.B.: Je ne peux pas me prononcer pour tous les ministères, mais je peux certainement présumer que dans tous les ministères, on s’assure d’intégrer et de maintenir en emploi les clientèles auxquelles je fais référence. Mais chaque ministère a son plan. Je suis persuadé qu’ils s’assurent d’intégrer et de maintenir les travailleurs expérimentés.

Avenues.ca: Que faites-vous pour assouplir les normes du travail, les contributions obligatoires au régime de rente, les critères d’assurance collective, pour créer un régime québécois d’assurance pour les proches aidants qui fonctionnerait comme le RQAP?

J.B.: Ma collègue Marguerite Blais [ministre responsable des Aînés et des Proches aidants] lance une grande politique nationale pour les proches aidants. Je pense que ça aura des retombées bénéfiques. Pour les régimes de retraite et d’assurance collective, je ne peux pas me prononcer, c’est négocié avec les syndicats. Quand il n’y a pas de syndicat, ce sont des rapports individuels de travail. Je vous ai fait part plus tôt des mesures en place, mais le Comité consultatif 45+ a pour tâche de cerner les problématiques et nous fait des recommandations. Nous, dans la mesure du possible, on les met en application.

Avenues.ca: Certains crédits d’impôt ne s’appliquent que pour les PME. Voulez-vous élargir ça aux grandes entreprises?

J.B.: Durant la pandémie, on a mis en action le Plan d’action concerté pour le maintien en emploi, le PACME. C’était une subvention aux entreprises pour leur permettre de former leur main-d’œuvre stratégique, pour augmenter la productivité, le commerce électronique ou pour trouver de nouvelles stratégies de croissance. Le PACME s’appliquait à toutes les entreprises, petites, moyennes et grandes. Pareil pour le PARAF [Programme d’aide à la relance par l’augmentation de la formation]. Un chômeur pandémique qui participe à un programme de trois mois dans un cégep ou université pour être requalifié en technologies de l’information va pouvoir intégrer une entreprise petite, moyenne ou grande. On établit des mesures générales qui profitent aux entreprises indépendamment de leur taille.

Avenues.ca: Mais certains crédits d’impôt sont réservés aux PME…

J.B.: Ça dépend des conditions d’application. Mais le PACME et le PARAF profitent aussi à la grande entreprise.

Avenues.ca: Que faites-vous pour lutter contre les préjugés, contre l’âgisme?

J.B.: Ça relève plus de Marguerite Blais. Elle a des stratégies et des plans d’action, mais mon ministère y contribue. Ce n’est pas parce que tu as 64 ans que tu ne peux pas être rentable et bénéfique pour une organisation de travail. Au contraire, j’ai visité des entreprises hyper automatisées qui emploient des travailleurs expérimentés qui font une prestation de travail impeccable autant sur le plan qualitatif que quantitatif. Ils sont dévoués, ils font du mentorat et ils ont une expérience inestimable. Et avec l’augmentation de l’espérance de vie, ils seront plus nombreux à contribuer à la croissance de l’économie. L’âge, c’est un atout plus qu’une barrière. Je pense qu’avec ce discours, on peut combattre les préjugés contre les gens d’un certain âge.