Le « WOW ! » de la semaine
Le centre commercial du Domaine-de-l’Estérel, un héritage qui se dégrade
Le mois dernier, avec son article 10 choses que vous ne savez (peut-être) pas à propos des Laurentides, Marie-Julie Gagnon a piqué ma curiosité en parlant du Domaine-de-l’Estérel, érigé en 1937 dans la municipalité de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson. Cette phrase de Paul Trépanier, historien d’art et d’architecture, a particulièrement suscité mon intérêt: «l’héritage le plus exceptionnel reste l’ancien centre commercial qui a été classé patrimonial par l’État québécois en 2013». Il n’en fallait pas plus pour que je me lance dans des recherches…
Un des premiers centres commerciaux au Québec et au Canada
Selon le Répertoire du patrimoine culturel du Québec, «le centre commercial du Domaine-de-l’Estérel serait l’un des premiers centres commerciaux à voir le jour au Québec et au Canada».
Comme le mentionne l’article de Marie-Julie Gagnon, c’est l’industriel et financier belge Louis Empain qui fait construire la station de villégiature Estérel en bordure du lac Masson. On y trouve un hôtel, des écuries, un centre sportif, un ski lodge, des résidences et… le centre commercial. Ce dernier est quasi un domaine à lui seul. En effet, en plus des boutiques, on y trouve aussi des bureaux, un restaurant-cabaret, une salle de cinéma, des appartements pour les employés, un garage et une station-service!
Un édifice de style Art déco
C’est l’architecte et designer belge Antoine Courtens qui est responsable des plans du centre commercial et des autres édifices du Domaine-de-l’Estérel; un projet de taille auquel il se consacre exclusivement pendant deux ans avec un collègue, Louis Nicolas. «Le Domaine de l’Estérel est une œuvre charnière de la carrière de Courtens, à partir de laquelle son architecture sera tournée vers des formes plus modernes de l’Art déco», peut-on lire sur la fiche du bâtiment patrimonial.
Deuxième bâtiment du Domaine à être construit, le centre commercial est entièrement fait de béton. Sa proximité du lac a inspiré Courtens, qui a multiplié les références navales dans sa construction. «Les volumes courbes, les surfaces lisses, le crépi blanc des étages supérieurs et le crépi noir du rez-de-chaussée rappellent la proue d’un navire. Les larges terrasses, les volumes verticaux évoquant les grandes cheminées, les coins arrondis et les garde-corps métalliques sont autant d’éléments associés aux paquebots», peut-on lire ici.
Du rêve au cauchemar
Inauguré en juillet 1937, le centre commercial devient vite un incontournable. Résidents et touristes internationaux sont nombreux à s’y rendre. La chic et célèbre bannière Holt Renfrew y ouvre une boutique. La salle de cinéma pouvant accueillir 300 personnes est souvent pleine et le restaurant devient un lieu très prisé.
La Deuxième Guerre mondiale vient cependant couper court à cette magie. Le Domaine-de-l’Estérel, y compris le centre commercial, comme tous les biens immobiliers dont les propriétaires sont citoyens de pays occupés par les Allemands, est mis sous séquestre par le gouvernement du Canada.
Après la guerre, Empain vend le centre de villégiature. Entre 1946 et 1978, plusieurs propriétaires se succèdent. Des bâtiments sont transformés, d’autres sont détruits. Survit le centre commercial, un des derniers témoins de l’ensemble, qui est acquis par la municipalité de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson. Il est alors utilisé pour abriter des locaux de l’hôtel de ville et diverses activités culturelles. En 2013, la ville de Sainte-Marguerite cède le bâtiment à un promoteur immobilier. Un projet de copropriétés hôtelières de 130 logements voit alors le jour… mais est stoppé le 4 mars 2014 lorsque le centre obtient sa classification d’immeuble patrimonial. Depuis, l’ancien centre commercial est laissé à l’abandon.
Si certains se réjouissent d’avoir pu sauver ce bâtiment, d’autres considèrent qu’il s’agit plutôt d’un obstacle pour le faire revivre et redonner à ce site exceptionnel ses lettres de noblesse. Ce litige a d’ailleurs fait l’objet d’une exposition de l’artiste belge Bruno Goose à Montréal en 2020.
L’histoire tumultueuse de ce centre commercial n’est donc pas terminée…!