12 choses que vous ne savez (peut-être) pas à propos de l’Abitibi-Témiscamingue
Méconnue, l’histoire de l’Abitibi-Témiscamingue s’avère pourtant captivante. En remontant le temps, on fait la rencontre de personnages hauts en couleur, mais aussi de certains plus sombres. Entre les premiers colons, les prisonniers de guerre et les stars des années folles, on réalise rapidement que les richesses de la région vont bien au-delà des gisements de métaux précieux. De quoi donner envie de pousser l’exploration sur le terrain… quand les déplacements seront plus sécuritaires pour tous.
1- Le Fort Témiscamingue a vu défiler les marchands de fourrure pendant 200 ans
Habité par les Algonquins depuis plus de six millénaires, le secteur où se trouve le lieu historique national Obadjiwan-Fort-Témiscamingue est aussi celui du premier poste de traite français établi en 1720. «Aux XVIIe et XVIIIe siècles, il occupe un rôle stratégique dans la lutte entre les Français et les Anglais pour le monopole de la traite des fourrures dans les bassins hydrographiques de l’Outaouais supérieur et de la baie d’Hudson», souligne Parcs Canada.
L’un des plus beaux campings de la province, La Bannick, se trouve à quelques minutes du Fort… à 135 km de Rouyn-Noranda et à 240 km de Val-d’Or et Amos.
2- Pour attirer les vaillants agriculteurs dans la région, les missionnaires promettaient aux nouveaux arrivants une vie plus saine qu’à Montréal, «hors de l’emprise de Satan»
C’est ainsi que l’historien Benoît-Beaudry Gourd, cité dans le magazine Québec Science, raconte les débuts de la colonisation dans la région. La première famille à s’être installée du côté de l’Abitibi? Celle d’Ernest Turcotte, qui a élu domicile près de la rivière Harricana, au nord du 48e parallèle, en 1910. Le train qui relie toujours Montréal à Senneterre permettait jadis de traverser le Canada entier. Après l’Abitibi, les passagers pouvaient rejoindre les grands chantiers de colonisation ou poursuivre le voyage jusqu’au Manitoba.
3- L’alcool a été interdit dans le village de Béarn pendant 56 ans
Béarn, au Témiscamingue, est l’un des endroits où la prohibition a duré le plus longtemps au pays. Bien qu’un référendum avec une majorité de 13 000 voix ait démontré en 1898 que les Canadiens étaient en faveur de la prohibition de l’alcool, c’est seulement en mars 1918 qu’une loi fédérale a confirmé son entrée en vigueur.
Quelques mois auparavant, en 1917, la ville de Béarn avait tenu son propre référendum et déclaré l’alcool interdit dans la municipalité. L’année suivante, le Québec a décidé de faire marche arrière, en laissant cependant les municipalités libres de conserver la loi ou non, ce que fit Béarn jusqu’en... 1969! Dans cet article publié sur le site de Radio-Canada, on découvre qu’un curé exerçait à l’époque une forte influence sur la communauté, condamnant aussi la danse (bienvenue dans Footloose… dans la vraie vie!).
4- Pendant la Première Guerre mondiale, des prisonniers ont été envoyés à Spirit Lake, près d’Amos
Quand l’internement préventif de tous les citoyens provenant de pays ennemis a été décrété par le Canada lors de la Première Guerre mondiale, plus de 8500 personnes ont été emprisonnées en raison de leur origine ethnique. De ce nombre, 1200 ont été envoyées à Spirit Lake, dont 90% d’Ukrainiens. L’autre 10% était composé d’Allemands, de Turcs et de Bulgares.
«En janvier 1915, des soldats canadiens enlèvent, ni plus ni moins, les citoyens ukrainiens qui se trouvaient majoritairement dans la paroisse Saint-Michel, à Montréal, relate le Journal de Montréal. On les a fait embarquer dans un train en direction de l’Abitibi, et on les a débarqués au camp d’internement de Spirit Lake.»
Bien que la Convention de La Haye exigeait de traiter les prisonniers de guerre comme des soldats, les détenus étaient plutôt utilisés pour défricher des terres et couper du bois de chauffage. Tout autour, la forêt rend vaine toute tentative d’évasion.
L’église de La Ferme a abrité un centre d’interprétation témoignant de cette époque entre 2011 et 2018, fermé faute de financement. Le vieux cimetière se trouve à proximité. C’est le seul des 21 cimetières liés à des camps de détention de la Première Guerre mondiale à n’avoir jamais été restauré et ouvert au public.
5- Une histoire d’amour serait à l’origine de la découverte du gisement de la mine qui a mené à la fondation de Rouyn-Noranda
La légende veut qu’Edmund Horne, prospecteur qui a découvert le gisement ayant mené à la fondation de Rouyn en 1921, soit parti à la recherche de travail dans les mines après qu’une jeune fille dont il était tombé amoureux, dans son village natal de Nouvelle-Écosse, lui ait promis de lui donner sa main s’il faisait fortune.
Il s’est retrouvé au Québec après avoir roulé sa bosse au Colorado, en Colombie-Britannique, en Angleterre et en Ontario, résume cet article de Radio-Canada. L’histoire ne dit pas si la femme qu’il a finalement épousée dans son village natal en 1927, près de vingt ans après l’avoir quitté, est celle qui l’avait poussé à partir.
6- Dans les années 1920-1930, l’Abitibi avait des allures de Far West
Après la découverte du gisement d’Edmund Horne, devant l’éventualité d’un nouveau Klondike, le plan de colonisation original s’est effondré. D’autres gisements sont alors découverts le long de ce que les géologues baptiseront la faille de Cadillac, comme le raconte Québec Science. «C’est le big-bang de l’Abitibi. Une série de villes surgit le long de la fameuse faille: Noranda (1926), Rouyn (1927), Duparquet (1933), Bourlamaque (1934), Val-d’Or (1935) et Malartic (1939). Les chevalements rivalisent avec les clochers d’église.»
Les maisons se mettent à pousser comme des champignons, des hôtels accueillent les visiteurs et des trottoirs de bois bordent d’immenses rues de terre battue. Bien loin de l’idéal du clergé, Rouyn devient de plus en plus cosmopolite... comme Montréal. Environ le quart de la population ne parle ni français ni anglais!
6- La vie culturelle s’est développée en même temps que les mines
Construit avant la première église, le Théâtre Regal fait figure de pionnier. Appelé «théâtre» à cause de l’affichage anglophone, il est le premier à diffuser des films américains à Rouyn. «Le clergé voyait ces films comme de la propagande au contenu amoral et corrupteur qui ne pouvait être présentée le jour du Seigneur, rapporte Radio-Canada. C’est pour cette raison qu’en janvier 1928, le Conseil de la Corporation de la ville de Rouyn adopte une résolution interdisant les représentations cinématographiques le dimanche.»
À Noranda, toutefois, James Murdoch, président de la mine Noranda, a résisté aux pressions et maintenu les présentations le dimanche, plaidant notamment que c’était la seule journée de congé des mineurs.
7- Plusieurs célébrités ont visité l’Abitibi-Témiscamingue dans les années 1920
Dans les années 1920, la Paramount Pictures tourne quelques films au Témiscamingue, alors surnommé «Rapides Hollywood». Parmi les plus grandes stars à séjourner dans ce qui constitue aujourd’hui le secteur du sentier pédestre Grande Chute, mentionnons Rita Hayworth, Lana Turner, John Wayne et Kirk Douglas. Lana Turner, alors mariée à Bob Topping, actionnaire du club de baseball des Yankees de New York, était même propriétaire d’une maison dans la région.
Le célèbre Howard Hughes, homme d’affaires, producteur de cinéma et actionnaire de Lamaque Gold Mines, aurait pour sa part séjourné à Bourlamaque dans les années 1930.
L’acteur Bruce Greenwood, qui a joué dans plus de 150 productions hollywoodiennes, est par ailleurs né à Noranda le 12 août 1956. On l’a vu dans plusieurs films et séries cultes, dont Batman, Star Trek, Rambo, Mad Men et Dirty Dancing (Dr Houseman dans la version de 2017).
8- La cathédrale d’Amos témoigne de l’audace architecturale de l’époque
Entièrement fait de béton afin de résister aux feux de forêt, ce bâtiment de style néobyzantin imaginé par l’architecte Aristide Beaugrand-Champagne a été construit en 1922-1923. Classée monument historique en 2003 par le ministre de la Culture et des Communications, la cathédrale s’élève sur un promontoire naturel, non loin de la rivière Harricana. Un orgue Casavant 1953 fait aussi partie de son patrimoine. Tourisme Abitibi-Témiscamingue propose une visite en vidéo.
Ce n’est pas le seul bâtiment religieux à piquer la curiosité dans la région. Érigée en 1955, l’église orthodoxe russe Saint-Georges de Rouyn-Noranda fait sans contredit partie des lieux qui étonnent.
9- Le coucher de soleil de l’ancienne carte d’assurance-maladie a été immortalisé en Abitibi
Pendant 40 ans, les Québécois ont dégainé leur «carte soleil» sans forcément savoir que la photo qu’elle arborait avait été prise au lac Faillon, près de Senneterre. Frère de l’un des fondateurs de l’agence Cossette, qui a eu l’idée du concept du soleil couchant, Robert Larivière a croqué le paysage iconique le 24 juillet 1974.
Le fils du concepteur Louis Larivière a raconté la naissance de l’image mythique à Infopresse au moment de sa disparition: «Mon père [Louis Larivière] était concepteur et responsable du compte pour le mandat de la RAMQ. Deux ou trois concepts sous forme d’esquisses ont été présentés; à l’époque, tout se faisait au feutre et à la table à dessin. C’était en février, le concept avec un coucher de soleil a été retenu. L’annonceur avait bien choisi! Une fois le concept approuvé, mon père se demandait comment il allait arriver à livrer la carte en deux mois, ce qui était très court compte tenu des procédés de production de l’époque. Il a pensé à mon oncle [Robert Larivière], qui vivait encore en Abitibi et qui avait photographié une multitude de couchers de soleil d’un endroit qui s’appelle le lac Faillon, à Senneterre. Mon père le taquinait d’ailleurs souvent sur le nombre de photos qu’il prenait de ce fameux coucher de soleil...» La suite est passée à l’histoire.
Avis aux intéressés: il est possible d’admirer le coucher de soleil «en vrai» à la Pourvoirie du Lac Faillon.
10- La Cité de l’or de Val-d’Or est accessible au public depuis le milieu des années 1990
C’est Robert C. Clark, un prospecteur américain qui voyageait en compagnie d’un guide algonquin, Gabriel Commandant, qui a découvert une veine d’or dans le canton de Bourlamaque. Exploité de 1935 à 1985, le site est classé par le ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine du Québec depuis 2010. Il faut absolument prendre part à une visite guidée des lieux et descendre dans la mine pour mieux comprendre le mode de vie des travailleurs.
Le village de Bourlamaque, où se sont installés les premiers arrivants au pays de l’or, est également digne d’intérêt.
11- La région compte deux parcs nationaux, ainsi que la plus grande zone d’exploitation contrôlée au Québec
Inauguré en 2019, le parc national d’Opémican est bordé par les lacs Témiscamingue et Kipawa. Anne Pélouas s’y est arrêtée l’été dernier.
Divisé en trois secteurs distincts, le parc couvre un territoire de 252,5 km2. Les activités y sont nombreuses, été comme hiver. En plus du camping, quatre emplacements de prêt-à-camper Étoile sont disponibles de la mi-mai à la mi-octobre.
Reconnu pour ses phénomènes géologiques, tels les marmites de géants et les coussins volcaniques, le parc national d’Aiguebelle séduit les amateurs de plein air en toute saison. «Une passerelle haute de 22 mètres permet de franchir une faille gigantesque pour une traversée remplie d’émotion, résume la SÉPAQ. Depuis là-haut, on peut admirer des paysages profondément marqués par le travail de milliards d’années. De nombreuses activités de découverte s’ouvrent sur une diversité d’espèces fauniques: orignal, castor, vison, héron, balbuzard, pour ne nommer que ceux-là.»
Avec ses 2574 km2, la ZEC Kipawa, au Témiscamingue, couvre par ailleurs la même superficie que le Luxembourg, à une douzaine de kilomètres carrés près.
12- La région compte le plus grand nombre de ponts couverts au Québec
Tourisme Abitibi-Témiscamingue a concocté un circuit permettant de voir les 14 ponts couverts de l’arrière-pays.
«On couvrait les ponts pour les préserver des intempéries, peut-on lire sur le site. En plus de "ponts de la colonisation", on appelait souvent ces structures "ponts des amoureux" ou "ponts de légendes". Le pont couvert du village servait de salle de réunion; on y tenait assemblées et encans. Certains l’utilisaient comme tableau d’affichage tandis que les amoureux voyaient là l’occasion de fuir le regard des curieux.»
(Sources: Radio-Canada, Commission de toponymie, Répertoire du patrimoine culturel du Québec, Journal de Montréal, Grand Québec…)